Le premier président de la Cour suprême, nommé à la tête de la plus haute juridiction judiciaire, par le premier magistrat du pays, le 27 septembre dernier, jour de l’ouverture de l’année judiciaire, devrait entamer dès aujourd’hui le programme qu’il s’est tracé. Celui d’appliquer la réforme de la Justice au niveau de l’institution.
À peine installé, Kaddour Berradja n’y est pas allé avec le dos de la cuillère pour annoncer la couleur. Celle d’un changement et d’un dépoussiérage certains au niveau de la plus haute institution judiciaire d’Algérie. “Comme de coutume”, avancent ceux qui le connaissent. Dans le secteur judiciaire, Kaddour Berradja ne passe pas inaperçu. Membre élu du Conseil supérieur de la magistrature, jusqu’à sa désignation, ce natif de Labiadh Sidi Chikh, dans les Hauts-Plateaux, a une réputation “sans failles”.
Sa tâche paraît simple ou aisée à première vue. Ce n’est pourtant pas le cas. Elle reflète, selon de nombreux observateurs, le “caractère” de celui qui aura la charge de la mettre en application. L’homme est réputé “affable” mais “intransigeant”, “bosseur” mais “exigeant”. à sa décharge, son entourage précise qu’il l’est en premier avec lui-même. “Il a une conviction absolue et acharnée qui lui confère une certaine rigueur”, précise un membre de son entourage. Il croit réellement en une “relative” justice, celle de la loi et des hommes. Loin de s’offusquer d’une telle description, Kaddour Berradja en a même fait un leitmotiv. Il s’agit là de sa marque de fabrique. Et nombreux sont ceux qui au détour des couloirs des palais de justice qu’il a eu à fréquenter qui s’y sont frottés. Le conflit avec le bâtonnat d’Alger durant la dernière session criminelle, c’était lui. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’ancien procureur général d’Alger a eu des rapports tendus avec les avocats de la défense. Sellini en sait quelque chose. Surtout qu’il a vu nombre d’affaires importantes ou à caractère éminemment politique transiter par son bureau. L’affaire du 8e congrès du FLN lui a valut une levée de boucliers d’un courant du parti qui n’a pas manqué de l’attaquer avec virulence dans les médias. Le magistrat est resté imperturbable “Il aime la contradiction, les divergences de points de vue dans le cours d’une affaire mais sur la base du droit et de la loi, pas sur d’autres considérations”, précise un magistrat du parquet.
Son parcours se décline comme une carte de visite. Il aura connu tout au long de ses trente-deux ans de carrière tous les rouages du secteur. Magistrat du siège, du parquet, responsable au niveau de l’administration centrale de la Justice. Diplômé de l’université en 1975, il est nommé juge au tribunal de Mostaganem en 1976. L’année suivante, il est désigné président du tribunal de Mostaganem. Sa nomination en cette qualité sera confirmée par décret en 1980. Tout au long de sa carrière, il a été sous-directeur du personnel au ministère de la Justice, puis sous-directeur des magistrats, notaires, puis sous-directeur de la jurisprudence. Kaddour Berradja a également été nommé président des Cours de Chlef et de Tlemcen. Il a occupé le poste de procureur général près la Cour d’Alger de 1989 à 1990. Il a été nommé par la suite au même poste à Tizi-Ouzou et à Blida. Il a intégré la Cour Suprême par la suite en qualité de conseiller. Si beaucoup considèrent la Cour suprême comme une “voie de garage”, les initiés des milieux judiciaires voyaient surtout une charge importante complémentaire à “sa passion” pour la jurisprudence.
Il est revenu en août 2000 à la cour d’Alger en qualité de procureur général. Il occupera ce poste pendant six ans jusqu’à sa nomination en septembre dernier en qualité de premier président de la Cour suprême. Une désignation qui vient ponctuer un parcours dédié à la justice. Un parcours assez dense qui lui permet aujourd’hui de dépasser le but qu’il s’était assigné “Jeune étudiant, il se voyait finir à la Cour suprême… Pas forcément en qualité de président mais plutôt en qualité de conseiller”, assure un membre de son entourage.
Le nouveau premier président de la Cour suprême s’est engagé à appliquer la réforme de la Justice principalement le volet qui concerne l’institution qu’il dirige depuis moins de dix jours. Celui-ci s’articule en premier par l’accélération dans le traitement des pourvois en cassation. L’institution voit ces dernières années le nombre de dossiers à traiter s’accumuler et se multiplier, d’où l’obligation d’accélérer et de réduire le nombre d’affaires à traiter. Cet objectif ayant une répercussion directe sur les citoyens. Il s’agit là d’un paramètre “quantitatif”. En second, à instaurer une jurisprudence algérienne claire, accessible et surtout ouverte au monde judiciaire et universitaire. Celui-ci a une incidence sur la Justice, la loi, le droit, les hommes. “La Cour suprême ne représente pas juste la cassation. En dehors de l’intime conviction des magistrats, il faut lire la loi, voire la loi et l’exécution de la loi. Donc, sa conformité avec les jugements prononcée” sont les nouvelles orientations qu’on entend dorénavant dans les bureaux de la Cour suprême. Là, il s’agit d’un paramètre “qualitatif”. Celui qu’il a réellement “à cœur” de réaliser.
Son plan de charge se décline en axes de travail prioritaires. Ces axes sont, pour lui, des “points juridiques” qui doivent être “bien” exécutés pour que “le citoyen ait le droit à un traitement rapide” de ses affaires. “Kaddour Berradja considère que ces axes sont à réaliser comme il a réalisé le même objectif au niveau de la Cour d’Alger”, précise un proche. Notamment la “modernisation et l’informatisation” de la Cour suprême qui entraînera à terme l’accélération du traitement des pourvois en cassation. Il y a également la “réorganisation du corps du greffe” au sein de la cour en assurant également la formation des hommes.
Il s’agit entre autres de généraliser l’utilisation de l’outil informatique au niveau de l’institution, de la mise en place d’un réseau interne qui permettrait le suivi des dossiers. Dès la fin de la semaine,Kaddour Berradja devrait s’atteler à cette tâche avec les ingénieurs informaticiens. “L’informatique permet un meilleur suivi des affaires et facilite les statistiques. Au guichet unique de la Cour d’Alger, il suffit du numéro de dossier ou du nom des parties concernées pour avoir le suivi informatisé immédiat du dossier. En moins d’un mois, après la signature par le magistrat du jugement celui-ci est disponible au greffe. On peut retirer aussi dans tous les tribunaux d’Alger le casier judiciaire facilement. Il veut introduire la même célérité à la Cour suprême”, précise un magistrat, habitué du tribunal de Abane-Ramdane.
L’axe “essentiel” que s’est néanmoins assigné le nouveau premier président de la Cour suprême est plus difficile mais d’une importance “majeure” pour la loi et la justice algérienne. Il s’agit de “l’homogénéisation et de la publication de la jurisprudence” délivrée par les magistrats dans les arrêts de la Cour suprême. Et ce, de manière à ce qu’elle soit, assure-t-on dans son entourage, “à la portée” de tous, magistrats, professeurs de droit, membres de la défense, étudiants, chercheurs ou universitaires. “En publiant la jurisprudence, il suscitera les avis, les commentaires et les critiques sur les points de droit. Peut-être également un débat contradictoire pour le plus grand bien de la Cour suprême”, précise un magistrat ancien conseiller près de l’institution. L’homogénéisation de la jurisprudence, signifie pour ce magistrat, d’uniformiser les avis et les arrêts de la Cour suprême. “Dans chaque chambre de la Cour, il y a trois ou quatre sections qui parfois ont des arrêts contradictoires. Il n’y a pas de coordination pour aboutir à un même point de vue”, indique-t-il. Le passage de Kaddour Berradja au niveau de l’institution est, entre autres à l’origine de ce constat. Son désir de le réaliser trouve peut-être sa justification dans sa passion pour le droit, la littérature arabe, l’histoire et l’arithmétique. Comme il pourrait aussi s’expliquer par son passage par lecture assidue du saint Coran et du “Fikh”, l’exégète.
La prise de fonction tonitruante de Kaddour Berradja à la tête de la Cour suprême augure déjà d’un changement certain au niveau de l’institution. “Je serais toujours sévère comme je l’ai été auparavant…”, ne cesse-t-il de marteler à ceux qui l’interrogent sur ses intentions. Fin connaisseur du secteur, il ne s’attend pas à ce que la tâche soit forcément facile. Et c’est peut-être bien là ce qui lui plaît réellement.
Le garde des Sceaux, Tayeb Belaïz, dont il est proche, ne tarit pas d’éloges sur le nouveau locataire du palais de marbre où le temps semble figé. Si le président Bouteflika a entériné, sans discussions, sa nomination à ce poste, au moment où il a fustigé le travail de certains magistrats lors de l’ouverture de l’année judiciaire, renseigne sur la mission sans ambages que doit mener un magistrat réputé ne pas faire dans la dentelle.Â
Posté Le : 11/10/2006
Posté par : hichem
Ecrit par : Samar Smati
Source : www.liberte-algerie.com