Questions simples

«La vie est simple pour ceux qui ne cherchent pas à comprendre, soit parce qu'ils sont très naïfs, soit parce qu'ils sont très intelligents. Mais ceux qui ne sont ni assez naïfs, ni assez intelligents, ne trouvent aucune réponse à leurs questions.» Samuel Joseph AgnonMon ami Lounès brandissait le journal qu'il avait ouvert à la page cinq. Il fronça un peu les sourcils, me regarda, peut-être pour voir dans quelles dispositions d'esprit j'étais, puis lança: «Tu vois! Cela manque un peu de punch! J'aurais voulu un peu plus de vigueur et d'agressivité! Une chronique doit être comme, pas toujours un coup de poing dans la gueule de ceux d'en face, mais elle doit un peu secouer, piquer, chatouiller... Cependant, je dois avouer à mon grand plaisir que tu as su éviter le ton doctoral. C'est bon de rester dans les généralités bien qu'il faille de temps en temps rappeler au lecteur les choses qu'il a oubliées. On n'a pas besoin de dates historiques ou de noms propres: il faut que ce soit le lecteur qui aille lui-même les chercher dans ce magnifique outil qu'est Internet. Il faut seulement mettre sur la table des évènements passés qui ont une relation avec l'actualité: le lecteur fera vite le lien et cherchera à en savoir plus sur la question qu'on traite. On peut même faire de la politique -fiction pour amener le citoyen moyen uniquement préoccupé à satisfaire ses besoins matériels immédiats afin qu'il se projette dans un avenir proche. Dans une chronique on peut se permettre de créer un univers parallèle, une sorte de continuum espace-temps où le lecteur peut retrouver l'enchantement des contes de son enfance, avec ceci que les évènements et les personnages de ces «Mille et Une Nuits» lui rappelleront immanquablement les personnages qui ornent les unes de nos quotidiens! L'essentiel est de faire réfléchir le lecteur. Celui-ci n'est pas un simple consommateur de papier journal à la recherche de sensationnel ou de blagues bon marché. Il est important de lui faire mettre le doigt sur les questions qu'il doit se poser et de lui proposer des réponses qui n'auraient pas effleuré son esprit. Je suis par ailleurs satisfait que tu aies traité en premier de l'identité sans clamer haut et fort ton inclination sans passer au pilori les partisans de la langue de bois. Mais j'aurais souhaité avant cela, que tu poses la question autrement. Cette question qui relève autant de la philosophie, de la psychologie que de l'anthropologie: pourquoi diable ce peuple qui vit depuis des temps immémoriaux entre l'oasis de Siouah et les îles Canaries n'a-t-il connu qu'invasions et colonisations' Si l'on excepte le règne de Shashnaq 1er qui a occupé le trône d'Egypte, pacifiquement, il faut le préciser, ce peuple n'a jamais éprouvé le besoin d'aller planter ses tentes ailleurs. C'est vrai! Ce peuple n'a jamais soumis un autre peuple. Pas plus qu'il n'a cherché à imposer sa langue, sa culture et ses croyances à ses voisins. Au contraire, il a dû subir tous les impérialismes et toute les influences du Bassin méditerranéen. Il a subi l'influence mercantile des Carthaginois, il s'est frotté à la culture grecque qui a illuminé un moment cette partie du monde, il a subi pendant des siècles la domination romaine avant celle des Byzantins. Il a ployé sous les cimeterres arabes et musulmans dont il a épousé la foi et le parler au point de s'enchaîner au Moyen-Orient; il a connu l'occupation turque qui l'a rendu encore plus colonisable; finalement, il a connu l'infâme colonialisme français qui a essayé vainement de le rapprocher de l'Europe et des temps modernes. Mais par contre, il faut s'émerveiller de ses capacités de résistance: il a su garder malgré tous ces désastres, sa langue, sa culture et sa complexe personnalité. Voilà un beau sujet de réflexion avant d'aborder celui de la guerre de Libération.»