Photos de chocs, interrogations insistantes, envoyés spéciaux en zone hot
et éditoriaux inquiets : la presse londonienne fait ses «unes» sur le cas
libyen depuis des semaines. Encore plus depuis l'engagement des Britanniques
dans la coalition contre Kadhafi. Quelques réponses cueillies dans les couloirs
du journal anglais le plus influent : The Times Newspaper.
Le petit enfant de Rupert Murdoch qui a acheté le journal depuis une
trentaine d'années ne diffère pas des ambiances des rédactions des grands
journaux occidentaux quand ils «font la guerre». Open Space et moniteurs y
tentent de donner des images au monde pour une opinion aux intérêts cycliques.
Dans le cas présent, la Libye fait la une depuis des semaines. Mr Edward Gorman
y est rédacteur en chef adjoint «international». Un chapitre de la presse qui
ne fait l'actualité, et ceux qui sont du métier le savent, que lorsqu'il y a
guerre, bombes ou cataclysmes. Pour le cas présent, le Japon comme Kadhafi
assurent donc «la matière». Que pensent donc les Anglais de l'engament de leur
pays dans la démocratisation de la Libye ou, du moins selon le texte du Conseil
de sécurité, dans la protection des Libyens rebellés ? «Ils sont tièdes pour ne
pas dire sceptiques», résumera ainsi Gorman. Les plaidoyers de Cameroun, le
Premier ministre, sur tous les fronts pour expliquer l'initiative, n'arrivent
pas à faire écran sur les interrogations des Anglais. «Beaucoup se disent que
cela nous coutent déjà deux guerres, l'une en Irak et l'autre en Afghanistan,
pourquoi ajouter une 3ème et qui va en payer les frais ?», expliquera notre
interlocuteur.
La veille, The indépendant publiera un article de Robert Fisk, le célèbre
journaliste, sur les victimes collatérales des bombardements des coalisés sous
la photo de Raafat Al-Ghosain. Cela illustre un peu le débat anglais. Au Times,
cependant, on essaye de comprendre et de faire comprendre, explique notre
interlocuteur avec, pour preuve, la feuille de route du «numéro» de demain :
lourdes questions sans réponses en Occident. D'abord celle de «la véritable
chaîne de commandement». C'est-à-dire qui commande la coalition ? Qui la dirige
vraiment ? Qui prend la décision et qui va mener cette «guerre» jusqu'à sa fin
? Que faire contre les boucliers humains dont use le Colonel ? Le débat
occidental est résumé sous la question sans réponse de «Les options pour
Kadhafi : la décapitation ou la désertion ?». Les pages sont ouvertes aussi à
quelques écrivains et porteurs d'opinion libyens. Dans le tas, malgré son
drame, le Japon n'occupe pas la devanture. Enjeu pétrolier derrière cet effet
de loupe, comme le répète l'opinion arabe depuis des semaines ? Le journaliste
du Times explique : «Le cas de la Libye est différent de celui du Yémen.
D'abord parce qu'aucun régime n'a réagi avec autant de férocité contre des
manifestants, ensuite parce que le Yémen offre des cas de figures complexes
avec ses compositions tribales, et ensuite parce que la Libye a un intérêt
stratégique pour l'Occident». Euphémisme sur les sécurités des
approvisionnements énergétiques, grand souci des Occidentaux après l'islamisme.
D'ailleurs, parle-t-on encore de risque d'islamisme ici ? «Oui, un peu. Il y a des
résidus de cliché dans la façon qu'ont les Anglais de voir les choses.».
L'équation qui divise est celle de «Stabilité contre démocratie contre
pétrole». L'analyse de Gorman est que l'Occident a tardé à trouver une réponse
clair au cas du printemps arabe : on y a longuement hésité entre soutenir des
démocratisations ou des régimes qui assurent la sécurité contre la menace
islamiste. «Le leadership d'Obama a été diminué par la lenteur de ses
réactions». A cela s'ajoute aussi le reliquat d'une crise de confiance entre
les Arabes et l'Occident et qui remonte à des siècles. Un état des lieux que le
journaliste du Times admet. «Oui et c'est pour cela que les pays engagés dans
la coalition doivent mener une vraie campagne médiatique, sur El Jazeera ou
ailleurs, pour expliquer cette intervention, ses buts et ses raisons». Sans
cela, la fissuration des coalisés, déjà en voie à cause des suites à donner à
cette opération, va s'aggraver. D'ailleurs, c'est l'une des questions
éditoriales du journal anglais depuis des jours : «Que va devenir cette guerre
? Que faire ensuite ?
A la question, Edward Gorman répond : «Personne ne sait. Dans l'ensemble,
nous fonctionnons sur des scénarios de probabilité. Le premier est que la Libye
va être scindée en deux régions, avec pour capitales respectives tripoli et
Bengazi. Le second scénario est celui d'une chute rapide du Colonel, causée par
l'affaiblissement de ses moyens militaires». Notre journaliste reste cependant
sceptique : cette guerre est annoncée comme une guerre qui va durer, par manque
de buts, de moyens. Reste «que nous sommes dépassés», avoue le journaliste du
Times à la tête du service international. A la question du Who's the next ?, il
répond par un sincère : «Honnêtement, on ne sait pas. Personne ne sait et personne
n'a jamais prévu ce qui se passe maintenant dans vos régions. On traite au cas
par cas mais il y a une tendance à voir dans le Yémen et la Syrie des cas de
figures mûres pour le changement». Deux poids, deux mesures entre Gaza et
Benghazi ? «Oui», avoue notre interlocuteur. «Cela est vrai, mais les
situations sont complexes dans chaque cas. Cela provoque de lourdes questions
sur la région et sur la voie que vient d'ouvrir cette intervention. Il y a eu
deux évènement qui ont changé notre perception sur la crise dans le monde arabe
: d'abord le cas libyen et, ensuite, l'intervention de l'Arabie saoudite dans
le Bahreïn». Même avec un correspondant à Tripoli, un autre à Benghazi et un
dernier dans les sphères de la décision militaire des coalisés, le Times ne
comprend pas. Que se passe-t-il «là-bas» ? Que veulent les arabes ? Le
veulent-ils tous ? Pourquoi doit-on faire la guerre ? Les réponses diverses
font vivre la presse anglaise depuis des semaines. Avec autant de bonnes et
mauvaises réponses que leurs centres de décisions majeurs. «D'ailleurs,
personne n'a de réponse à la question de base : faut-il tuer Kadhafi ou
seulement le bombarder ?». Sans cette réponse, la guerre sera longue ou
peut-être même inutile, résumera notre journaliste anglais.
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Posté Le : 23/03/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Kamel Daoud : De Londres
Source : www.lequotidien-oran.com