Algérie

Quelques choses d'une vie '10 février 1998 - 10 février 2018 ' (Suite et fin )


Ses interventions publiques sont remarquées et appréciées par leur pertinence. Sid Ali force le respect par son humilité, son altruisme et son combat pour le progrès social. Il n'hésite jamais à soutenir des causes justes.L'Algérie s'oriente vers l'option socialiste.
C'est la période de la révolution agraire et de la gestion socialiste des entreprises. Vers la fin des années 1970, il est sollicité pour occuper un poste de commissaire adjoint du FLN au niveau de la fédération de Blida.
Il accepte la proposition tout en assurant sa fonction d'enseignant paramédical à l'hôpital psychiatrique. Il organise et anime des rassemblements politiques et participe aux activités des structures du parti. Il est toujours disponible et prêt à aider autrui dans la mesure de ses possibilités. Des citoyens le sollicitent pour des interventions diverses sur le plan social.
Le café au jasmin et au jasmin sambac (fell)
Sid Ali débute ses journées, entouré de sa famille autour de la table ronde du petit déjeuner. Des gâteaux faits maison accompagnent toujours le café avec, près du sucrier, des pétales de jasmin et de fell, dont les senteurs embaument, Yemma Kheira, puis son épouse Aïcha protègent jalousement pour perpétuer la tradition.
Ce sont des moments précieux avant d'entamer la journée. Sid Ali coule des jours heureux auprès d'une famille unie, où sa femme le seconde et où ses enfants, ses nièces, ses neveux se retrouvent souvent ensemble. Il y a également la présence de Messaouda et Harkati, deux patients de l'hôpital, qui partagent leur quotidien au même titre que les membres de la famille. Les regroupements familiaux sont légion, à l'occasion de fêtes religieuses, comme le Mouloud ou l'Aïd, ou lors de la célébration de mariages, de baptêmes d'enfants mais aussi de décès. Tout est occasion pour se rencontrer et sa maison ne désemplit pas.
Sid Ali affectionne ces rassemblements conviviaux qui peuvent durer des jours et des jours. Il y a ces journées et soirées inoubliables de boqala, où ses s?urs aînées (Lalla Hafsa et Amti Zineb) excellent, en présence de son frère aîné (Ammi Makhlouf), de sa s?ur (Amti Fatma) et de leurs enfants et petits-enfants. Son épouse (Yemma Aïcha) est souvent à la cuisine avec sa s?ur (Khalti Fatma Zohra), ses belles-s?urs (Lalla Djamila et Oukheiti Mina), dans une totale complicité, sans oublier Khali Mohamed et Didi Missoum, beaux-frères de Sid Ali.
Yemma Aïcha est d'ailleurs toujours sollicitée par tous les membres de sa famille élargie pour préparer les repas de mariage ou d'autres événements, assurer les tâches domestiques, sans rechigner au labeur et en prenant sur elle, parfois, des remarques désobligeantes teintées d'ingratitude.
Sid Ali garde des liens étroits avec des collègues et amis français, comme les Delpech, qui quittent l'Algérie à la fin des années1960. Les heures de repas sont des moments privilégiés pour discuter des choses importantes, accorder de l'attention à tel ou tel aspect de la scolarité des enfants, évoquer des souvenirs de la guerre.
Sid Ali, rompu à des règles de pédagogie et de psychologie, acquises dans son domaine professionnel au contact de médecins psychiatres et à travers son riche parcours de vie, favorise l'échange et respecte le droit pour chacun de s'exprimer. Il a une écoute active, suscite l'adhésion sans imposer son point de vue. Il est comme un père, un ami, un compagnon. Citons, à ce propos, la réponse suivante de Sid Ali à l'enseignante de sa benjamine Tamani, alors adolescente, lorsqu'elle le convoque et se plaint du fait que sa fille ne soit pas totalement concentrée sur ses études et qu'elle a tendance à rêver : «Et vous, ne vous est-il pas arrivé de rêver quand vous aviez son âge '»
La retraite et l'ingratitude
Après plus de 40 ans de service, Sid Ali Longo accède à la retraite à la fin des années 1980.
A ce moment-là, Sid Ali occupe toujours un logement de fonction, comme d'autres de ses collègues qui ont pris également leur retraite. Ces logements de fonction sont situés à l'extérieur de l'hôpital. C'est une période où s'effectuent beaucoup de cessions de biens dont l'Etat veut se décharger. Les services des Domaines de la wilaya de Blida entament d'ailleurs le recensement de ces biens en vue de leur cession.
Les personnes occupant ces logements sont des travailleurs de la santé. Ils sont légitimement éligibles à ces cessions de logements d'astreinte, car ayant accompli toute leur carrière à l'hôpital Frantz Fanon. Rappelons que Sid Ali avait abandonné tout simplement sa demeure antérieure pour répondre à l'appel de l'hôpital au début de l'indépendance. Les résidants sont sommés de quitter les lieux, notamment à la suite des propos d'une personnalité publique qui qualifia ces logements de «châteaux de Versailles» en affirmant qu'ils étaient occupés par des personnes n'ayant aucune relation avec l'hôpital ! Des pressions de toutes sortes sont exercées par des milieux intéressés pour expulser ces travailleurs retraités du secteur de la santé.
La justice est saisie en vertu d'une procédure d'urgence. Officiellement, le motif consiste à faire valoir que ces logements de fonction sont destinés à reloger du personnel travaillant à l'hôpital et qu'ils ne sont donc pas cessibles. Pourtant, des personnes, n'ayant aucun lien avec l'hôpital Frantz Fanon, occupent déjà des logements de fonction, situés à l'intérieur même de l'enceinte, destinés, selon la règlementation en vigueur, au relogement de médecins psychiatres.
Les occupants résistent. Sid Ali, aidé par ses enfants, saisit par écrit différentes institutions de l'Etat. Il se démène comme il peut, alertant toutes les personnes pouvant l'aider dans ses démarches pour empêcher l'injustice. L'affaire s'ébruite. Le tribunal ordonne finalement l'expulsion des résidents mais avec obligation de relogement. On propose à Sid Ali de rester dans son logement, mais juste à titre individuel. Sid Ali, restant fidèle à ses principes, repousse cette offre, par esprit de solidarité avec ses collègues.
C'est ainsi qu'en 1985, il se retrouve expulsé de sa demeure et contraint de loger, pendant un mois, avec sa famille, chez son fils aîné Chérif, qui venait de perdre prématurément, en 1984, sa femme qui laissait derrière elle deux garçons en bas âge. Sid Ali se voit finalement attribuer un modeste appartement dans une cité populaire de la périphérie de Blida. Il vit des moments difficiles et gardera un souvenir amer de cet épisode avec un sentiment profond d'injustice et d'ingratitude. Il n'en sera, pour autant, ni revanchard ni rancunier.
Peu après, Sid Ali fait une demande de passeport.
C'est la première fois que Sid Ali envisage de se déplacer à l'étranger pour un voyage familial, depuis la guerre de Libération. Sa demande est bloquée sans motif par les autorités de la wilaya de Blida. Sid Ali sait que ce refus est inexplicable et simplement lié à son engagement politique de gauche, son passé de communiste, ses prises de position courageuses et patriotiques.
De plus, ses démarches de protestation lors de l'opération d'expulsion de l'hôpital ont pu déranger certains milieux et intérêts occultes. Pour Sid Ali, ce n'est qu'une tentative d'intimidation de plus à son endroit. Qu'à cela ne tienne, il annulera ce projet de voyage. Sid Ali fait partie de cette trempe d'hommes forgés par les épreuves, qui ne s'abaissent ni ne supplient. A la suite d'une intervention d'un tiers devant une autorité supérieure, son passeport lui est finalement délivré. Des excuses lui sont même présentées par les autorités de la wilaya de Blida.
Sid Ali a une capacité extraordinaire de résilience, un trait de caractère hérité de ses parents. Il s'adapte rapidement à sa nouvelle situation. Il partage son temps libre entre sa famille, dont, l'éducation et le suivi de la scolarité de son petit-fils, et assiste son fils aîné qui vit des difficultés.
De plus, il travaille à temps partiel pendant une courte période dans une pharmacie de sa localité.Très vite, tout le monde dans ce quartier connaît «Ammi Ali», l'infirmier. Il est sollicité de partout pour dispenser des soins, faire des injections à des patients qui ne peuvent se déplacer et aider à la prise de médicaments prescrits. Le reste de son temps est consacré à la lecture, domaine qu'il affectionne particulièrement, à des travaux manuels domestiques et à réparer sa vieille R16, de couleur verte, qui lui permet de se déplacer en cas de besoin.
Sid Ali reste attentif, observe et analyse le virage politique et économique libéral opéré dès le début des années 1980. La chute brutale des prix des hydrocarbures met l'Algérie à nu. Des émeutes «spontanées» éclatent un peu partout, annonciatrice d'un péril dévastateur avec en point d'orgue Octobre 1988. Le pouvoir alors en place répond brutalement à la contestation sociale qui s'amplifie.
Ces événements seront récupérés par une mouvance politique d'essence religieuse et serviront d'antichambre à la horde barbare des années 1990. La répression touche particulièrement les forces de gauche. Des membres progressistes de la société civile, syndicalistes, militants, sympathisants du PAGS sont ciblés et emprisonnés. L'ironie du destin fait que son fils cadet est arrêté à l'improviste et torturé. Sid Ali vit des moments intenses d'émotion, de douleur, parce qu'il a subi la torture dans sa chair et devine le traitement infligé à son fils.
La vie continue. Sid Ali aborde les années 1990 avec stoïcisme. Le pays pour lequel il a combattu, risqué sa vie, qui a vu mourir des centaines de milliers de patriotes pour la liberté, sombre dans le terrorisme et l'obscurantisme. Sid Ali est toujours disponible pour administrer des soins à des habitants de sa localité, là où il habite. Sid Ali, qui a apprivoisé la peur, se déplace, même la nuit, malgré l'insécurité et le danger pour accomplir son devoir.
Ainsi, lorsqu'il assiste, depuis le parking de voitures à l'attentat contre l'un de ses voisins, un gendarme, il court précipitamment porter secours à la personne en train d'agoniser pendant que les terroristes quittent tranquillement l'endroit. De la même manière, Sid Ali n'hésite pas à se rendre à Alger, pendant la nuit et bravant le danger omniprésent, au chevet de son neveu, victime d'une tentative d'assassinat, dès qu'il apprend la nouvelle.
Le dernier combat
En 1997, Chérif, le fils aîné de Sid Ali, qui n'a pas eu la vie facile, est diagnostiqué d'un cancer du cavum. Il a vraisemblablement contracté cette maladie à la suite de l'effet de l'amiante ou de l'incendie provoqué par des terroristes, de l'entreprise dans laquelle il est employé. Chérif est soutien d'une famille de quatre enfants, encore très jeunes et sa femme ne travaille pas. Sid Ali jette toute son énergie dans une bataille à l'issue incertaine. Il s'investit totalement dans les soins à apporter à son fils. Sid Ali vit un stress terrible, dans une région où le danger est permanent.
Il mange et dort très peu, fume beaucoup. Il veille sans relâche à ce que son fils suive scrupuleusement le traitement, en l'encourageant et le soutenant de toutes ses forces. Sid Ali sort très affaibli en janvier 1998 de cette épreuve. Lorsqu'il apprend que son fils a vaincu le cancer, il est rassuré et conscient qu'il vient de le sauver.
Malgré le climat d'insécurité et de désolation, trois de ses neveux, qui le considèrent comme leur grand frère, sont très proches de Sid Ali et resteront à ses côtés jusqu'à la fin : Abdennour Longou, Bachir Korchi qui le rejoint à l'hôpital psychiatrique comme infirmier et Sid Ahmed Boukri, ce dernier est décédé en octobre 2008.
Le 7 février 1998, Sid Ali se rend chez un cardiologue, à la suite d'un malaise cardiaque. Il est 16h. Le médecin refuse de le recevoir au motif que sa journée est terminée. Le lendemain, il consulte un autre médecin, qui l'hospitalise immédiatement.
Sid Ali est admis au service de cardiologie de l'hôpital Frantz Fanon, mis en place depuis peu et ne disposant pas encore d'une salle de réanimation ! Il tente de rassurer et accompagne ses proches qui lui rendent visite, ne sachant pas que c'est son dernier jour. Il décède, le 10 février 1998 aux environs de 23h, d'une crise cardiaque. Sa femme n'apprend la nouvelle que le lendemain matin en venant lui apporter son petit déjeuner.
Sid Ali Longo quitte ce monde au pavillon Declerembault dont il avait la charge et où il termina sa carrière professionnelle comme enseignant paramédical. Un patriote s'en est allé, discrètement, humblement comme il avait vécu, dans son pays ravagé par le terrorisme. Il est parti rapidement, sereinement et conscient d'avoir accompli son dernier devoir.
Il est enterré au cimetière familial de Sidi El Kébir sur les monts de Blida. Il repose en paix, selon son v?u, avec sa mère, à côté de son père, de son frère et de ses s?urs. Ses enfants tiennent à respecter son souhait d'être enterré à cet endroit, malgré l'insécurité permanente. Des patriotes combattant le terrorisme intégriste lui rendent un dernier hommage en assurant la sécurité du cimetière pendant la cérémonie d'inhumation.
Sid Ali Longo reste gravé dans nos mémoires. Toujours présent dans nos c?urs et nos esprits, il nous accompagne dans nos chemins de vie.
Ces quelques vers du grand poète turc Nazim Hikmet lui sont dédiés ainsi qu'à tous ces oubliés, ces anonymes, ces patriotes qui ont tout donné à leur pays, l'Algérie :
«Si je ne brûle pas, si tu ne brûles pas, si nous ne brûlons pas, comment les ténèbres deviendront-elles clarté '»

Farid Longo
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