Selon Hannah
Arendt, le fascisme ne peut vivre que par une idée de mouvement qui se
reproduit sans cesse et qui s'accélère, au point que dans l'histoire du
fascisme, plus la guerre risque d'être perdue par les fascistes, plus son
exaspération et son accélération s'intensifient.
Le processus
révolutionnaire arabe en cours qui n'a réussi jusqu'à présent à démanteler
qu'une partie des régimes politiques totalitaires, traverse actuellement une
grande période d'incertitude. Les pays ayant réussi à passer cette première
phase avec réussite : la
Tunisie, la
Libye et l'Égypte sont en train d'expérimenter une transition
politique dans une conjoncture de pressions internationales intéressées et de
résistances au changement de la part de groupes politiques conservateurs
locaux, qui renforce de plus en plus la tendance vers cette incertitude. C'est
une transition qui est conduite dans l'indifférence d'un «réformisme», dont la
substance ne se résume qu'à sa simple référenciation.
Le recours à ce concept n'est déployé que sous forme d'argument électoraliste
générique, y compris pour les régimes nationalistes conservateurs encore sous
la pression de la rue et des impératifs géostratégiques, dont l'unique objectif
est le maintien au pouvoir (l'Algérie, la Syrie, le Yémen)… sans aucune perspective
d'impact significatif sur la transformation du statut personnel pouvant
conduire à l'avènement de la démocratie et de la citoyenneté. Dans leurs
majeures parties, les populations, elles-mêmes portent une part de
responsabilité, du fait de leur profonde aliénation dans les valeurs
conservatrices de la société.
C'est une
transition, qui semble aller vers la reconduction de toutes les aliénations et
les enchaînements antérieurs, propres aux conservatismes du substrat culturel
arabo-islamique dans sa négation de la citoyenneté, d'une part, et aux forces
hégémoniques internationales qui ne sont pas prêtes à céder leur position
hiérarchique privilégiée dans la prise des décisions sur la redistribution
mondiale des richesses et sur un développement harmonieux des nations.
Dans cette
situation d'immobilisme endémique qui se profile, il est à craindre, que le
statut personnel ne sera pas seulement maintenu au stade pré politique, mais
renforcé et l'individu étroitement surveillé, jusqu'aux derniers retranchements
de son intimité. Malgré les garanties que s'efforcent de promettre les
islamistes dits «modérés», sortis vainqueurs dans cette première phase
révolutionnaire, de ne pas islamiser les constitutions, dans un double langage
qui se veut rassurant. Il ne pourra faire oublier l'apparent oxymoron de cette
«modération» du fait de la mésentente sur le rapport du religieux et du
politique. Devant cette perspective de reconduction des mêmes mécanismes de
domination et de privation des libertés individuelles, par un
«néo-totalitarisme», sous une forme ou une autre (islamiste ou nationaliste
conservateur), la société arabe court à sa perte et sa paix civile risque
encore une fois de s'exposer au pire. Car, la «masse d'individus» qui compose
généralement la population de ces sociétés, jeune à de très fortes proportions,
qui aspire, elle aussi, comme les indignés partout dans le monde, à son
implication dans les processus de mondialisation de la culture, de la politique
et de l'économie, à la quête de conditions de libertés individuelles et de
justice sociale et économique, s'y trouvera contrariée.
Par ailleurs,
cette aspiration à la libération, avec les révoltes en cours, ceux que mènent
le peuple syrien, bahreini, yéménite et la
résignation conjoncturelle des peuples algériens et marocains, ne semble être
qu'à son balbutiement et s'annonce être très longue à accomplir et présage de
nombreux autres obstacles. C'est le prix à payer pour le triomphe de toute
révolution.
Face à cette incertitude, la volonté de
souveraineté et d'auto-détermination des peuples
arabes, longtemps exclus des décisions, qui présidaient à leur existence, est
rudement mise à l'épreuve par des forces antagonistes, dont l'intérêt inavoué
est de faire échouer l'accomplissement de cette volonté, qui représente une
menace pour leur suprématie. Au même titre que la volonté de souveraineté de
leurs États, qui n'a jamais été acquise pleinement du reste, car, hypothéquée
en permanence par les forces néo-colonialistes, qui leur accordé néanmoins le
pouvoir de domination sur leurs propres peuples, qu'ils leur sous-traitent.
C'est à une
contre-révolution cynique que les peuples arabes doivent aujourd'hui se
confronter. Aussi bien, celle des résidus de l'ancien système politique
totalitaire en cours de déchéance, que celui d'un potentiel totalitarisme sous
couvert d'un islam politique dit «modéré», instrumentalisé par une coalition
prédatrice, représentée par les visées des forces hégémoniques sur l'échiquier
géostratégique et leurs alliés du Conseil de Coopération du Golfe (CCG). Les
conséquences que peut engendrer un tel reflux risqueraient d'autre part,
d'avoir des incidences incontrôlables sur la paix civile ou provoquer une régression
politique durable.
Les premiers
symptômes de cette contre-révolution se sont manifestés en même temps que le
déclenchement du processus révolutionnaire. Si dans un premier temps les médias
acquis aux forces hégémoniques et particulièrement français, sous l'effet de la
surprise et en même temps pour rattraper le grossier lapsus de la ministre
Michèle Alliot-Marie à soutenir la barbarie de la
répression du soulèvement populaire en Tunisie, qui a évolué ensuite en un
passage à l'acte de l'OTAN par l'assassinat du Président Muammar
El Gueddafi, en violation de la résolution 1973, ont
loué ce qu'ils ont qualifié de «printemps arabe», la réalité des calculs
stratégiques les a vite rattrapés et recadrés et la machine de la censure et de
la manipulation s'est vite ébranlée. La censure au détriment des forces
démocratiques et progressistes arabes, porteurs d'espoir d'émancipation de
toutes ces aliénations, déjà valide, sera renforcée et
le concept de l'islamisme politique «modéré» sera privilégié comme mode manipulatoire
vers quoi devra s'orienter leur stratégie. Il sera par la suite mis en avant
systématiquement à travers les analyses de l'intelligentsia médiatique, aussi
bien occidentales qu'arabes elles-mêmes. À partir de
ce moment-là ! le «printemps arabe» deviendra l'«hiver islamique» comme alibi à
la pression sur les futures classes dirigeantes émergentes, et fonctionnera
paradoxalement comme un leurre, qu'il faut privilégier et «surveiller» à la
fois. Cette stratégie sera relayée par une rhétorique classique chargée de
délires islamophobes et d'intimidations de toutes
sortes pour freiner l'ardeur révolutionnaire. Dans la foulée, la censure
s'institutionnalise et frappe dorénavant, sans discrimination, tous ceux qui se
mettent aux travers des arrière-pensées des forces hégémoniques et de leurs
alliés du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), jusqu'aux intellectuels
français eux-mêmes, dont Pascal Boniface, connu pour son franc parler, subira
les frais. On justifia alors, l'inoffensivité de l'islamisme politique
«modéré», au détriment des salafistes considérés
comme plus radicaux, et on attribua les raisons de l'avènement de cet islam
politique dit «modéré» au détriment des forces démocrates et progressistes, du
fait du conservatisme de la société et non de son ancrage dans l'Islam
politique, comme si le conservatisme de la société est resté imperméable à
l'islamisme durant quatorze siècles ! Cette confusion symptomatique entre
islamisme et conservatisme ! exprime une volonté de
diversion, aussi cynique, afin de discréditer les craintes exprimées par les
forces démocratiques et progressistes en termes de reflux, au profit des forces
identifiées comme un islamisme «modéré», pour mieux tromper et manipuler encore
une fois les opinions publiques et maintenir volontairement les peuples arabes
dans une conscience pré politique pour rendre leur domination insoupçonnée.
Dans cette
perspective, les attaques sous forme d'ingérences dans le processus
révolutionnaire en cours, par des menaces sous forme de mises en garde et
relayées par les médias à l'adresse des pouvoirs émergents dans le nouveau
champ politique, qui est en train de se dessiner dans ces premiers instants
post-révolutionnaires, traduisent une volonté contre révolutionnaire,
dissimulée derrière une cynique préoccupation pour le sort des droits de
l'Homme, dont l'objectif pervers est la privation des droits de l'Homme de ces
mêmes peuples arabes, dont ils prétendent être les défenseurs. Cette volonté
contre révolutionnaire est surtout, l'expression des préoccupations pour leurs
intérêts dans la région, menacés par les bouleversements des données
politiques, engendrées par ce sursaut révolutionnaire, contre une situation
dont ils étaient les principaux instigateurs, par le soutien aveugle, des
systèmes totalitaires déchus. La menace se traduit par l'accès de ces peuples
aux droits de l'Homme, qui signifie l'accès à la liberté d'expression, à la
liberté de conscience, à la citoyenneté souveraine, en un mot à la démocratie,
dont ils cherchent en permanence à les priver, et d'en priver d'ailleurs, d'une
manière plus subtile encore leurs propres populations.
Cette offensive
est relayée par des médias arabes soumis à des pouvoirs eux-mêmes vassalisés,
alliés à ces forces hégémoniques, qui ne sont pas du reste dans cet état de
fait et participent activement, volontairement ou involontairement, aux côtés
des médias occidentaux à l'entretien de cette trajectoire vers le reflux du
processus révolutionnaire. Ceux-ci jouent généralement un rôle prépondérant,
que ça soit Al Jazeera, El Arabya
ou une grande majorité de médias arabes, dont la censure est instituée comme
règle. Généralement, contre les discours des forces, qui constituent une
résistance aux intrigues contre révolutionnaires. Notamment, celui des forces
démocratiques et progressistes, qui luttent pour la séparation du religieux et
du politique et pour l'avènement de la citoyenneté au profit de leurs peuples.
Ceux-ci subissent une censure systématique contre leur visibilité, et leurs
discours ne sont ni diffusés, ni relayés, ni même pris en compte, contrairement
aux «coalitions» porteuses de discours passifs, dits «modérés» ou
«conservateurs», qui bénéficient d'une très grande audience, particulièrement
les islamistes. D'autant que ces derniers reçoivent du soutien et des aides
financières directement de la
Turquie de l'AKP et de l'Arabie
Saoudite, du Qatar, et des autres monarchies du Golfe Wahhabite.
Parce que leurs
discours, fondés sur le débat contradictoire du principe démocratique, et ne
peuvent rester passifs sur le plan des relations internationales, les forces
démocratiques et progressistes sont amenées à fonder leur politique
internationale sur une réelle souveraineté, et basée sur un principe de
réciprocité de fait, aussi bien au niveau des termes de la négociation des
échanges économiques et commerciaux, que celui de la solidarité avec le peuple
palestinien au détriment de l'allié israélien, ou l'indignation devant la
comptabilisation des passifs des violations des droits de l'Homme et de toutes
sortes de crimes, dont les sociétés arabes ont été victimes dans l'impunité et
sans leur reconnaissance depuis la nuit coloniale, ou ceux qui sont
contemporains, les crimes et abominations contre le peuple irakien tout
récemment et contre les musulmans généralement depuis le 11 Septembre 2001. La
neutralisation des forces démocratiques et progressistes signifie objectivement
la neutralisation du droit international.
Le paradoxe est,
que la solution de l'islam politique «modéré» est celle qui convient et arrange
au mieux les forces hégémoniques et leurs alliés du Conseil de Coopération du
Golfe (CCG). Sachant que le système politique de ces derniers est théocratique
et recourt à la chari'a comme unique source
d'élaboration juridico-politique, représentant l'islam politique le plus
radical, le plus archaïque et le plus répressif à l'égard des droits de
l'homme, dont, leurs alliés et protecteurs ne trouvent rien à redire. Il est à
la limite, considéré comme un «blasphème» toute initiative de contestation de l'ordre
établi, et chaque tentative est réprimée très violemment avec une aide très
organisée et très efficace de leurs alliés, à l'exemple des révoltes du peuple bahreini, qui sont étouffées à la racine : absence totale
de leur médiatisation, répression violente de chaque manifestation et
assassinat ou déportation vers des endroits tenus secrets de tous meneurs ou
leaders.
Les instigateurs
de ces intrigues contre révolutionnaires, poussant leur cynisme à outrance,
c'est un islamisme «modéré», à tendance conservatrice, qu'ils jugent convenir
au mieux pour remplacer les nationalistes conservateurs déchus, ni plus, ni
moins. Car, leurs objectifs seraient plus faciles à réaliser avec la complicité
d'une classe politique «molle» (plutôt que «modérée»), facilement maniable et
très perméable à la corruption. Cette classe politique «molle» serait plus
disposée, pour se maintenir au pouvoir, à adopter une attitude passive sur tous
les différends à venir et les passifs déjà cités. Car, un islamisme, qui
tendrait un peu plus vers le salafisme, serait
porteur d'un discours plus patriotique, afin qu'il puisse satisfaire les
attentes populaires ajustées à leur insu à sa rhétorique, pour se maintenir au
pouvoir. À l'exemple du système de pouvoir de l'Iran, qui est obligé d'adopter
cette ligne idéologique radicale, en résistant à la pression permanente de ces
forces hégémoniques dans une fuite en avant sans fin, par l'intensification de
sa stratégie provocatrice pour satisfaire son opinion publique, qui lui
garantira le maintien au pouvoir. Devant cette situation de résistance à leurs
prétentions hégémoniques par l'islamisme politique radical, ces forces contre
révolutionnaires n'ont d'autres choix que de suivre à leur tour cette
trajectoire infinie de fuite en avant et recourir à la pression permanente et à
l'agression militaire quant c'est nécessaire, caractéristique d'une violation
cynique du droit international. Les démocrates progressistes, disqualifiés
d'emblée par la conjoncture qui leur est défavorable, sont tenus à l'écart du
conflit et ne représentent qu'un concurrent potentiel, dont l'avènement n'est
pas à l'ordre du jour. Quant à la tendance «molle» de l'islam politique, elle
est la soupape qui maintient l'équilibre des énergies déployées par les
protagonistes du conflit en assurant le statut quo.
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 17/11/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Youcef Benzatat
Source : www.lequotidien-oran.com