Algérie

Quelle vie après le traumatisme ?



Quelle vie après le traumatisme ?
À travers ce que les médecins de la Forem ont appelé “les dessins témoignages”, des enfants ont raconté leurs traumatismes. Des années après, ce sont des adultes, et l’association a voulu savoir ce qu’ils sont devenus.Younès a 7 ans lorsqu’il assiste au massacre de ses voisins à Bentalha. Cachés dans le jardin, sa maman et lui échappent à l’incursion des terroristes. Son père qui a également survécu avait pris la fuite lorsque les terroristes ont débarqué, laissant derrière lui sa famille.
La maman de Younès a mis longtemps pour pardonner ce geste à son mari. Comme pour le punir, elle et ses enfants l’ont quitté pendant deux ans. Des années après ce drame, Younès qui n’est plus un enfant “reste encore très éprouvé par ces évènements, malgré sa réussite scolaire, il nécessite toujours une longue prise en charge” précisent les médecins qui le suivent psychologiquement depuis aujourd’hui 11 ans.
Après avoir assuré le suivi thérapeutique de beaucoup d’enfants, notamment ceux de Bentalha, la Forem a entrepris cette année une enquête de continuité portant sur 269 cas parmi les patients traités. Cette étude, intitulée “Devenir psychosocial et relationnel des enfants traumatisés, onze années après”, a pour objectif de réévaluer les répercussions d’évènements traumatiques sur l’avenir de ces enfants qui sont devenus aujourd’hui des adolescents ou encore de jeunes adultes.
Parmi les cas les plus emblématiques de cette étude, Sid Ali qui avait 2 ans quand son père a été égorgé en 1998. Deux ans plus tard, le jeune enfant est admis au centre de consultation de la Forem. Il y a été traité pour trouble du comportement, agressivité et phobie.
Aujourd’hui, on note en ce qui le concerne une bonne évolution scolaire, mais il demeure suivi psychologiquement car sa phobie est résistante. Houria à 9 ans quand elle est blessée par balle et hospitalisée pendant 3 mois au CHU Douéra. Orpheline de père et de mère, tous deux tués à Bougara, elle présente des troubles psychologiques graves. Elle bénéficie du programme du parrainage des orphelins mais Houria n’est plus scolarisée et souffre énormément de l’incompréhension de son tuteur. L’évolution est négative à cause du climat familial défavorable. Sa thérapie est en cours.
Athmane a été traumatisé une première fois en 1995 lorsqu’il perd son meilleur camarade de classe dans un attentat perpétré dans son école. Puis une deuxième fois lors du massacre de Bentalha. Il se présente aux consultations de la Forem tardivement. À 14 ans, c’est déjà un jeune garçon qui ne croit plus à rien. Il arrête les études et se met à fréquenter les groupes de délinquants et de drogués. Il ne se présente plus à la consultation et bascule dans le monde de la délinquance. Il est à présent dans une maison d’arrêt pour vol aggravé, son état de santé psychique est grave et dans 6 mois, il sera relâché.
En ce 11 mai 1996, Djazia a 10 ans et survit à un attentat à la bombe aux Eucalyptus. Au bout de plusieurs années de thérapie, les médecins notent une évolution positive de son état, notamment à travers ses dessins. Aujourd’hui, Djazia a 20 ans. Elle a réussi dans ses études et prépare une licence en psychologie.
Fayçal a 5 ans lorsqu’il assiste au massacre de Bentalha. Il a développé après cela un comportement très agressif avec son entourage familial et avait des rapports violents avec ses camarades d’école. Son état a nécessité 12 années de prise en charge psychologique. Aujourd’hui, son évolution se résume à une bonne scolarité et une bonne insertion sociale également.   
Younès, Sid-Ali, Houria, Athmane, Djazia et Fayçal font partie de ces victimes dont le devenir a été un jour compromis par un évènement traumatisant. Cette étude ne veut cependant pas s’arrêter à déterminer la part du traumatisme dans la vie de ces enfants. Elle s’appuie sur les travaux du neuropsychiatre Boris Cyrulnik affirmant qu’“il ne faut jamais réduire une personne à son trauma”. Celui-ci explique comment même dans les cas les plus terribles, les personnes peuvent s’en sortir et reprendre le cours de leur vie, grâce à quelques facultés acquises dans l’enfance et quelques soutiens après l’expérience traumatisante. L’importance du support psychosocial mais aussi sa perception par le patient sont deux points sur lesquels insiste cette étude. L’impact d’une thérapie diffère selon que le patient perçoit d’une façon positive ou négative le support social dont il bénéficie. Et même si rien ne permet d’indiquer avec certitude la fin d’une thérapie concernant un enfant traumatisé, la situation de ceux que la Forem a suivis pendant 11 années témoigne d’une certaine stabilité. Ceci est certainement dû au soutien psychosocial dont les patients ont bénéficié. Mais la question qui se pose à présent est celle du devenir de toutes les autres victimes qui n’ont bénéficié d’aucun soutien psychologique, qu’elles soient jeunes ou moins jeunes.


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