Algérie

Quelle place pour l'Algérie ?



«Les pires choses en général sont faites des meilleures qui ont mal tourné». V. Hugo

Des voix de plus en plus nombreuses, qui ne cultivent pas spécialement le pessimisme bien national, prédisent l'impasse pour les réformes voulues par M. Bouteflika. Le fossé, déjà immense entre le pouvoir et l'opposition, s'est élargi, à supposer que cela soit possible encore. Les gouvernants passent en force dans tous les domaines, sans se soucier une minute de ce que disent les élites, les experts nationaux, étrangers, et de ce que propose l'opposition. La pensée unique s'estime indépassable malgré les multiples changements de cap, les scandales financiers à répétition, la déliquescence du système éducatif et le délabrement des hôpitaux qui sont devenus un problème de sécurité nationale. Juste à côté, la Tunisie et le Maroc, pacifiquement et dans les limites imposées par leur histoire récente et dans des registres différents, cumulent des progrès démocratiques, soumis à de nombreux aléas, et instaurent pas à pas des consensus entre des partenaires dont les orientations sont pourtant fortement contrastées.

Des majorités conformes aux réalités du terrain sont générées, le débat contradictoire et un grand civisme scandent la vie politique de ces deux pays, pour le moment, avec la bénédiction des grandes puissances qui sont les premières économies et des démocraties si enviées dans les pays arabes et africains. Les évolutions au grand jour, quelles que soient les lectures faites sur la Tunisie, la Libye et le Maroc, ne peuvent laisser en l'état ce fameux Maghreb chanté depuis les années cinquante et toujours en chantier. Si l'histoire semble prendre de la vitesse dans cette région stratégique pour les intérêts américains et européens, les partis à l'APN et le gouvernement ne font montre d'aucune idée nouvelle et encore moins d'une réflexion après débat sur le Maghreb nouveau dont les contours sont sculptés devant toute la planète. La place de l'Algérie dans cet espace, le fonctionnement, de nouvelles structures à imaginer dans cette contrée ne semblent intéresser que très peu de politiques en Algérie. Seuls le parti, le fauteuil et la rente sont les «constantes».

Les opposants d'hier au Maroc, en Tunisie sont aujourd'hui au gouvernement, à la présidence et ont une large représentation au sein du législatif. Comment aller à un Maghreb unitaire, en faire une voix économique qui porte tout en excluant l'opposition algérienne et en verrouillant l'information, la culture, le mouvement associatif et le débat démocratique ? Ces questionnements, complètement occultés par l'exécutif et le législatif en Algérie, sont pourtant urgents. La Tunisie et le Maroc, sans tirer des plans sur la comète, une fois des institutions librement choisies, des pratiques démocratiques installées auront à cÅ“ur, chacun de son côté, pacifiquement, de devenir leader dans un Maghreb différent de celui d'aujourd'hui. Les intérêts des grandes puissances poussent à un Maghreb cohérent sur le plan économique, proche des standards universels en matière de gouvernance, des droits de l'homme, d'investissements étrangers et des libertés. Où va se situer l'Algérie dans ce qui apparaît au grand jour ? Le monde arabe, l'Afrique et le Maghreb seront complètement différents des schémas en vigueur, il y a à peine quelques mois, n'en déplaise aux rentiers bureaucratiques.

On a bien vu la Ligue arabe, une caisse creuse, condamner des régimes qui étaient, il y a si peu, ses «joyaux». On a bien vu des dirigeants arabes financer, participer militairement à la chute de dictateurs qui ont la même langue et la même religion que celles de leurs «Brutus». La grande mécanique mise en marche, les feuilles de route distribuées, et les tribunaux internationaux qui prennent de nouvelles activités ne laisseront indemne strictement aucun pays arabe en dehors des restructurations stratégiques managées par les USA, Israël et l'Europe. Les enjeux sont clairs, simples et parfaitement lisibles. Quelle place, à quel prix, comment et avec qui ? Ce sont là quelques questions posées au pouvoir, aux élites, à la société civile et à l'opposition algériens, et dans l'urgence. La crise qui frappe durement toute l'Europe et l'Amérique va rendre plus fébriles, plus exigeants et, surtout, plus menaçants les maîtres du monde vis-à-vis des régimes sanguinaires, conservateurs ou qui traînent la patte devant des réformes qui seront mises en place, de gré ou de force. Même les riches dynasties en Arabie Saoudite et au Koweït sont prises de panique et doivent faire des concessions à l'intérieur, à leurs protecteurs-tuteurs, aux opinions et ONG occidentales.

En Algérie, il y a des forces archaïques, rentières et peu compétentes qui pensent que le pétrole ne peut pas baisser, que l'Algérie de 2012-2013 sera la même, avec les mêmes mécanismes qu'en 2009-2011. Ce qui reviendrait à croire que, partout, des mutations se font et que l'histoire en Algérie est figée pour l'éternité. Or, pour les grandes puissances où les dirigeants pensent, font de la prospective, de la planification autour de consensus internes puissants et de démocraties durables, il y a des priorités, un calendrier et un plan d'action. En plus des problèmes sécuritaires, économiques, culturels, sociaux et de représentation, les dirigeants algériens auraient tout intérêt à inclure d'autres acteurs dans la marche du pays, à prévenir, sinon prévoir et anticiper. Pour que la place de l'Algérie dans le monde soit consensuelle et protégée par tous, un front intérieur, patriotique, et en adéquation avec la rapidité des changements qui se font au Maghreb et au-delà. L'omniscience de responsables jamais élus nulle part, qui savent tout et mieux que toute la matière grise planétaire, ne fait même plus sourire. Elle fait peur quant à l'avenir du pays qui peut être entraîné par ses dirigeants dans les ténèbres des conflits intérieurs.








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