Algérie

Quelle histoire l'Algérie va-t-elle écrire après Bouteflika ?



Quelle histoire l'Algérie va-t-elle écrire après Bouteflika ?
Photo : Une femme s'enroule du drapeau algérien pour demander le départ du « système », l'ensemble des clans au pouvoir gravitant autour d'Abdelaziz Bouteflika. - RYAD KRAMDI/AFP

ANALYSE - Alors que la contestation ne faiblit pas en Algérie, on voit mal comment le président, Abdelaziz Bouteflika, pourrait rester au pouvoir au-delà du 28 avril. L'inévitable transition politique sera soumise à de redoutables défis, notamment celui de valoriser enfin les atouts du pays.

« Système dégage. » Sous la pression de millions d'Algériens - on a vu encore vendredi et mardi dernier que la mobilisation ne faiblissait pas -, les chances de survie du régime Bouteflika s'amenuisent de jour en jour. Signe qui ne trompe pas, les défections et manifestations de défiance se multiplient parmi les relais habituels du régime, les syndicats, la magistrature, voire, mercredi, Ahmed Ouyahia, qui dirigeait le gouvernement il y a encore dix jours, le FLN et même, de manière cryptique, le chef d'Etat-major. Et les dirigeants ne se bousculent pas pour « vendre » la fiction d' une transition d'un an ou deux ans qu'Abdelaziz Bouteflika, invisible, tente d'imposer. Autant dire que le 28 avril, date de fin de son quatrième mandat, sera une date clef. S'il se maintient au-delà, le régime deviendrait inconstitutionnel et pourrait déboucher sur un véritable soulèvement.... Le chef de l'Etat s'est engagé à quitter le pouvoir à l'horizon 2020 mais pourrait être poussé vers la sortie dès le mois de mai. Mais ardue et cahoteuse sera la voie à suivre pour que le pays puisse enfin décoller et ne plus gaspiller ses atouts.

Le contraste est en effet saisissant entre ce que l'Algérie pourrait être et ce qu'elle est. Ce qu'elle pourrait être, un pays prospère, attirant les investisseurs dans le tourisme, l'agriculture, l'énergie ou l'industrie, grâce à son climat, ses paysages, ses gisements de gaz, de fer ou de phosphates, ses entrepreneurs audacieux et sa main-d'oeuvre correctement formée, jeune (la moitié des 42 millions d'habitants a moins de trente ans) et bon marché, puisque les salaires planchers tournent autour de 150 euros. Ce que l'Algérie est : un pays à l'exécutif fossilisé et kleptocratique, au développement entravé par la bureaucratie et la corruption, un Etat de droit incertain, des infrastructures médiocres et des jeunes désoeuvrés, les « hittistes » en argot d'Alger, « ceux qui soutiennent les murs » dans la rue.

Le cadeau empoisonné de la rente

Aujourd'hui, la plupart des économistes, y compris au sein du régime, jugent urgent que l'Algérie repense entièrement son système de distribution étatique de la rente gazière (95 % des exportations). On sait depuis le « syndrome néerlandais » des années 1970 que toute rente est un cadeau empoisonné, cannibalisant les ressources d'un pays au détriment de son industrie (moins de 7 % du PIB en Algérie) et le poussant à importer la quasi-totalité de ses besoins. La rente finance en outre un système mafieux et clientéliste qui a poussé le pouvoir à « n'engager aucune réforme sérieuse », estime Saddek Fenardji, du think tank Nabni, et à acheter la paix sociale à grand renfort d'octroi de prêts à taux zéro et de subventions à l'essence (15 centimes d'euro le litre) et aux produits de première nécessité. Malgré des réussites prometteuses, comme Condor, le premier smartphone local, « le dynamisme économique demeure faible, souligne Saddek Fenardji, et s'appuie surtout sur la commande publique », notamment pour les chantiers d'infrastructures massivement confiés aux Chinois. L'urgence menace d'autant plus qu'Alger vit d'expédients en faisant marcher la planche à billets pour compenser la chute des prix depuis 2014.

Sortir du piège de la rente sera toutefois compliqué, puisque aucun exportateur d'hydrocarbures, à l'exception de la Norvège, n'y est vraiment parvenu. Diversifier une économie passe par une stratégie irrationnelle en apparence, l'investissement dans des activités moins rentables que celles pour lesquelles le pays dispose d'un avantage concurrentiel évident. Parmi les révisions déchirantes que le prochain exécutif devra opérer figure aussi le nationalisme économique en vigueur, qui oblige notamment les étrangers à des contorsions pour respecter la fameuse règle du 49-51 imposant le contrôle majoritaire par un partenaire local de toute filiale en Algérie. Rien d'étonnant à ce que le flux d'investissements étrangers n'ait pas dépassé 1,2 milliard de dollars en 2017, une misère pour la quatrième économie d'Afrique.

En quête de plate-forme commune

Reste à savoir qui pilotera cette transition-révolution au prix de la délicate mise en place d'une culture du compromis. Les clans rescapés du régime actuel ? Difficile d'imaginer leur soudaine conversion à la probité. Les partis d'opposition ? Ils sont discrédités. Le mouvement de contestation lui-même ? Son absence de leaders offre peu de prises au pouvoir pour le manipuler mais handicape sa capacité à s'insérer dans un processus. Semble émerger une « Coordination nationale pour le changement » de personnalités telles que l'avocat Mustapha Bouchachi. Une partie de l'armée pourrait aussi se décider à prendre le train du changement en marche, au risque d'imiter la junte égyptienne récupérant la révolution de 2011 en sacrifiant seulement Hosni Moubarak.

Autres questions brûlantes ; les islamistes profiteraient-ils de la crise pour revenir en politique et la crise peut-elle susciter un flux soudain d'émigration vers la France ? Les « barbus » font pour l'heure profil bas et seraient plus intéressés par leurs empires financiers ou leur influence, manifeste, dans la vie quotidienne. Quant au risque d'émigration en cas de déstabilisation, sans être nul, il peut se mesurer au fait que durant la décennie noire de la guerre civile (150.000 morts entre 1991 et 2002) il n'avait pas suscité de flux comparable aux crises syrienne ou libyenne...


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