Algérie

Quel régime politique convient-il pour l'Algérie ?



L'Algérie connaîtrait d'ici à la fin de l'année sa troisième constitution depuis l'avènement du multipartisme. Quoi qu'on puisse épiloguer sur la nature de la révision constitutionnelle, le but sous-jacent n'est rien d'autre que la remise en cause de la clause limitative du nombre de mandats présidentiels. Par ailleurs, si les deux premières constitutions ont été adoptées dans des situations de crise, après la fin du régime à parti unique, celle en préparation surviendrait dans une conjoncture financière favorable. En effet, c'est les événements du mois d'octobre 1988 qui ont donné naissance, au forceps, à la démocratie. Un an plus tard, une constitution autorisant les partis politiques a vu le jour. Bien qu'elle ne soit pas parfaite, elle a au moins le mérite d'avoir donné la chance à tous les Algériens de participer aux joutes électorales sans que soit manifestée une quelconque allégeance aux hauts responsables. Celle de 1996, quant à elle, est survenue après une crise qui a failli remettre en cause l'essence même de la nation. En effet, la violence qui a accompagné l'arrêt du processus électoral de décembre 1991 a plongé le pays dans une crise abyssale. Les militaires qui s'étaient retirés en 1989 du comité central du FLN sont revenus sur le devant de la scène au lendemain du premier tour des législatives de 1991. Si leur mission était de sauver la république, leur maintien à la tête de l'Etat serait antinomique à l'esprit républicain. D'où la velléité d'introduire plus de démocratie. Est-ce alors par compromis que la clause limitative du nombre de mandats présidentiels a été introduite ou parce que celle-ci ne s'applique qu'à des régimes présidentiels ou présidentialistes ? Les deux en tout cas ne s'excluent pas concomitamment. Cependant, pour rendre possible la troisième mandature du président, le chef du gouvernement et secrétaire général du FLN joue un rôle prépondérant pour que la clause limitative soit supprimée. Son parti et les partisans de la révision constitutionnelle ne cessent de répéter que la nature du régime algérien, ni présidentiel ni parlementaire, ne convient guère à notre pays. Par conséquent, il va falloir réviser la Constitution dans le but de consacrer le régime présidentiel, plus adéquat semble-t-il. Cette présentation de la situation n'est pas fausse mais ne correspond pas à la réalité historique de la clause limitative. Car jusqu'à aujourd'hui, les pays qui l'ont adoptée sont soit présidentiels, soit semi-présidentiels. En effet, lorsqu'un président est élu pour cinq ans, celui-ci ne peut être contraint, constitutionnellement parlant, au départ quelle que soit la majorité qui se trouve au parlement. En revanche, en régime parlementaire, le Premier ministre qui peut, par ailleurs, bénéficier d'un nombre illimité de mandats se maintient à la condition sine qua non de la cohésion du groupe qui le soutient au parlement. Son départ devient inéluctable dès lors qu'il ne dispose plus de majorité pour gouverner. C'est ce qui est arrivé à Romano Prodi, président du Conseil italien, le 24 janvier 2008. Dans les pays où le pouvoir présidentiel est prépondérant, la clause limitative du nombre de mandats présidentiels est un gage d'alternance à la tête de l'Etat. Cette pratique remonte par ailleurs à un temps très lointain. Bernard Manin, politologue, écrit à ce sujet: «Ce principe a été théorisé et pratiqué par les démocraties antiques. A Athènes, la plupart des fonctions que n'exerçaient pas l'assemblée du peuple étaient confiées à des citoyens de plus de 30 ans, candidats, tirés au sort, pour un mandat d'un an, renouvelable une seule fois». Cependant, l'ère la plus riche en enseignement est la période contemporaine. Les Etats-Unis, pays à régime présidentiel par excellence, n'ont pas introduit la clause limitative dans la Constitution de 1787. Le premier président, George Washington, aurait pu rester au pouvoir aussi longtemps qu'il le voulait tellement il était populaire, soutient Kathryn Tenpas de l'institut Brookings. Mais, en 1797, après deux mandats, il a décidé de rentrer en Virginie, Etat fédéral de sa résidence. Son exemple a été quasiment suivi par ses successeurs. Ainsi, s'est imposée une coutume selon laquelle le président des Etats-Unis ne pouvait exercer plus de deux mandats consécutifs. Bien qu'il y ait eu des tentatives pour outrepasser cette clause, comme celle du président Theodore Roosevelt en 1912, les Américains ne l'ont pas approuvé. Le seul, en revanche, à avoir brigué plus de deux mandats était le président Franklin Roosevelt, élu en 1932 et qui est resté au pouvoir jusqu'à sa mort en 1945. Ceci était possible à la faveur de la conjoncture de l'époque: le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Le long mandat du président Roosevelt a poussé les républicains, à ce moment-là dans l'opposition, à exiger un amendement de la Constitution pour limiter le nombre de mandats du président. C'est le fameux XXII amendement. La loi est entrée en vigueur en 1951 et dit en substance que «nul ne peut être élu à la présidence plus de deux fois pour un mandat de 4 ans à chaque fois». Toutefois, dans le monde occidental, seule la France a eu du mal à définir la nature de son régime au cours du XIXe siècle, bien qu'elle ait prétendu exporter la démocratie hors de ses territoires. Selon Jean Pierre Camby, dans cent ans de septennat (1873, 1973), sous la seconde et la troisième République, la course pour le pouvoir était sans pitié. Il note à juste titre: «En France, sous l'impulsion d'Alexis de Tocqueville, le constituant de la seconde République va consacrer en 1848 le principe de la non réélection du président sortant. Louis Napoléon est ainsi élu le 10 décembre 1848 pour un mandat de 4 ans non renouvelable. Un an avant l'expiration de son mandat, il opère un coup d'Etat pour se maintenir au pouvoir». Quant à l'Afrique, le problème est plus alambiqué. Une analyse détaillée a été faite par D. Bourmand dans son livre la politique en Afrique. Pour élucider son propos, il écrit ceci: «Dans l'ex-Afrique d'influence française, le modèle constitutionnel de la Ve République a prévalu. A peu près partout s'est imposé un régime semi-présidentiel». Néanmoins, si la France a attendu plus d'un siècle pour choisir son régime, les pays africains ne pouvaient expérimenter plusieurs modèles pour en choisir à la fin le plus idoine. Le retard accumulé dû à la colonisation a été déjà grandissime. Il faut ajouter à cette contrainte l'héritage très lourd de conséquence en matière d'instruction. Michel Winock, historien français, a constaté qu'à la fin des années cinquante, 94% de la population algérienne masculine était illettrée en français; 98% chez les femmes. Par conséquent, au sortir de la période coloniale, l'élite algérienne était plus nationaliste que libérale. Il en a découlé de ce fait que les organisations de masse se trouvaient dans une cruelle alternative de soutenir sans vergogne le régime ou de s'effacer carrément. Du coup, le président dispose, du point de vue constitutionnel, d'énormes pouvoirs. En Algérie comme dans d'autres pays africains, la limitation du nombre de mandats présidentiels n'est survenue qu'au moment où le pays allait s'écrouler. Au Burkina Faso, écrit Augustin Loada, professeur de droit à l'université d'Ouagadougou, «un compromis a été trouvé, consistant à octroyer aux uns un mandat présidentiel, le septennat, en lieu et place du quinquennat qui constitue une tradition des constituants burkinabés, et à concéder aux autres la limitation des mandats présidentiels consécutifs à deux». La comparaison s'arrête là car en Algérie le pouvoir ne s'appuie pas sur les ethnies. L'élément commun réside dans la difficile alternance dans les pays africains. Pour le professeur Loada, la clause limitative est un antidote aux réélections automatiques et un frein à la présidence à vie. Pour lui, «le fait de savoir que le président en place n'est pas rééligible permet en outre aux challengers de mieux planifier et préparer à l'avance leurs campagnes. Cela est de nature à améliorer la qualité des campagnes, à susciter davantage de qualité et de concurrence». Pour conclure, l'annonce qui sera faite incessamment par le président pour affirmer sa volonté de réviser la Constitution devrait susciter un grand intérêt chez les citoyens. L'Algérie du XXIe siècle ne devrait pas compter sur un seul homme, brillant soit-il. Il faut que les citoyens sachent que cette limitation n'est pas la panacée à leurs problèmes, mais elle permettra, en revanche, de faire vivre la démocratie avec la chance pour chaque citoyen d'être gouvernant et gouverné. Il faut rappeler, in fine, que la Constitution de 1996 a été adoptée à la majorité écrasante des suffrages. Les mêmes seront convoqués pour répondre par oui ou non à la révision constitutionnelle. Vont-ils confirmer leur choix de 1996 ? La souveraineté appartient au peuple.


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