Algérie

Quel code pour les marchés publics '



Les pouvoirs publics ont certes décidé de revoir leur copie concernant ce code qui a fait l'objet, ces dernières années, de plusieurs changements, mais uniquement pour apporter «plus de flexibilité», à  en croire le ministre des Finances, Karim Djoudi.  «L'idée est de prendre en considération les contraintes exprimées par les différents secteurs qui souhaitent plus de flexibilité dans la commission nationale des marchés (publics) et de trouver ensuite des points de passage entre ceux qui veulent aller vite dans leurs marchés, et ceux qui sont tatillons dans le respect strict de la réglementation, à  savoir les commissions des marchés»,  a-t-il dit, plus explicite. Pourtant de l'avis de nombreux observateurs, l'Etat devrait se pencher davantage sur de nombreux autres aspects de ce texte de loi qui régit les marchés publics  afin de réduire les retards et lenteurs dans la réalisation des projets, rationaliser les dépenses en évitant la récurrente surévaluation des coûts, mettre fin à  une gestion bureaucratique handicapante et lutter efficacement contre une corruption quasi endémique. Autrement, les actions du gouvernement s'apparenteront à  des coups d'épée dans l'eau et tous les problèmes qui freinent le développement économique et social du pays persisteront.  La bureaucratie à  l'algérienne Le gouvernement devra entre autres remédier aux lourdeurs d'une administration incapable de rompre avec des pratiques bureaucratiques d'une autre époque. Le coup de gueule de l'ambassadeur du Japon en Algérie, Tsukasa Kawada, qui s'est exprimé il y a quelques jours sur les colonnes d'El Watan, illustre parfaitement cet état de fait qui fait fuir de nombreux investisseurs étrangers. «J'ai parlé avec des représentants des entreprises japonaises, ils m'ont dit que l'Algérie est le marché le plus difficile au monde. Peut-être que le premier est celui de la Corée du Nord ! (…) J'ai envie de dire quelque chose sur la bureaucratie, on est critiqué pour ce fléau au Japon, mais j'ai l'impression que c'est un peu trop en Algérie. (…) Il faut simplifier les procédures administratives, cela se répercutera positivement sur l'économie», a-t-il martelé. Même dans les plus hautes sphères de l'Etat algérien, on reconnaît que la bureaucratie est un véritable fléau ayant été à  l'origine de retards et de surcoûts considérables. L'absence de compétences en matière de gestion de projets peut expliquer en partie cette situation. Selon un spécialiste de la télécommunication ferroviaire, l'Algérie est à  la traîne dans le domaine de la télécommunication ferroviaire, car il y a très peu de cadres à  l'Agence nationale d'études et de suivi de la réalisation des investissements ferroviaires (Anesrif) qui chapeautent les projets de déploiement du système sans fil GSM-R sur des lignes de chemin de fer en Algérie. «La charge de travail est énorme pour eux et ils sont dépassés. Résultat des courses : la Tunisie va inaugurer en décembre prochain sa première ligne équipée de cette technologie bien avant l'Algérie qui a été pourtant la première à  vouloir le faire», note cet expert. L'Algérie a ainsi perdu son statut de précurseur. Une préférence pas si nationale L'Algérie a en outre apporté des rectifications à  sa réglementation inhérente aux marchés publics afin de donner la part belle aux entreprises nationales. En mars dernier, un décret présidentiel avait introduit des modifications sur les dispositions de l'article 24 du décret d'octobre 2010 portant réglementation des marchés publics. Le nouveau décret consacrait la «préférence» accordée aux entreprises nationales et initiées par le code amendé de 2010. Ce décret avait donné aux entreprises algériennes une marge de  préférence de 25% lors des soumissions aux appels d'offres et a, d'autre part, obligé les investisseurs étrangers à  conclure un accord avec un partenaire algérien selon le principe du 51/49%. On ne peut accuser le gouvernement de protectionnisme économique excessif puisque peu de pays dans le monde offrent une ouverture à  la concurrence internationale pour les marchés publics. Même les économies les plus libérales telles que le Japon et les Etats-Unis font preuve d'une fermeture immodérée dès qu'il s'agit des marchés publics. Cette question taraude même la commission de l'Union européenne. L'Algérie ne fait donc que surfer sur la vague. Cependant, le principe de la préférence nationale profite en réalité que très peu aux entreprises locales, notamment dans certains secteurs, dont les investissements exigent certaines capacités et qualifications qu'elles n'ont pas. Dans le secteur du bâtiment, les entreprises publiques n'ont obtenu que 5% des marchés dans le précédent programme quinquennal pour la réalisation de logements, selon le ministre de l'Habitat et de l'Urbanisme, Noureddine Moussa. Il avait indiqué que sur les 34 000 entreprises qui activent sur le marché national de la construction, 400 entreprises seulement ont les équipements nécessaires pour de grands chantiers. La plupart de ces entreprises sont de petite taille, soit de catégorie 1 (moins de dix salariés) et elles n'ont pas les moyens techniques ou d'encadrement pour prendre en charge des chantiers de construction. Les entreprises publiques sont souvent imbriquées dans d'inextricables procédures - du fait de la gestion centralisée - qui exigent de leurs gestionnaires, au pouvoir de décision réduit, de demander l'autorisation de la société de gestion des participations dont l'entreprise dépend ou du ministère de tutelle pour l'achat de la moindre petite pièce de rechange. Pots-de-vin La dépénalisation de l'acte de gestion a certes ôté aux chefs des entreprises publiques une chape de plomb qui bloquait leur esprit d'initiative, mais ils subissent toujours des formalités administratives dont sont exempts leurs concurrents. Dans certains secteurs où la maîtrise des technologies de pointe est un impératif, les entreprises nationales qu'elles soient privées ou publiques sont carrément exclues. L'introduction de la préférence nationale dans le code des marchés publics reste donc insuffisante surtout lorsqu'on sait que certaines entreprises ont recours à  des pratiques déloyales pour décrocher des projets voire des mégaprojets. Un câble rendu public par Wikileaks dévoile une note de l'ancien ambassadeur des Etats-Unis, David D. Pearce, datant de novembre 2008 dans laquelle il n'hésite pas à  accuser les Chinois de «verser des pots-de-vin aux agents de l'administration afin d'accélérer la délivrance de documents». Il a raconté que l'un des employés de Cisco lui aurait affirmé que les concurrents chinois «avaient recours aux dessous de table pour disqualifier une offre de Cisco en la rendant moins compétitive».  L'entreprise chinoise la China State Construction Engineering Corporation (CSCEC), qui fait partie d'une liste noire des entreprises corruptrices établie par la Banque mondiale, a même été gratifiée de contrats de réalisation de  la Grande Mosquée d'Alger et du Centre international de conférences de Club des Pins. Avec tous ces mégaprojets aux montants faramineux, l'argent coule à  flot, les pots-de-vin aussi. C'est dire que l'introduction de l'éthique dans la gestion des dépenses induites par les investissements publics n'est pas le moins ardu des défis que doivent relever les législateurs qui élaboreront les amendements qui seront apportés au code des marchés publics.                 


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