Algérie

«Que l'Algérie soit une puissance régionale est une évidence que nul gouvernant ne peut contester»



Né le 20 novembre 1935 à Chartres (Eure-et-Loir), Yves Bonnet, Directeur de la surveillance du territoire (DST, services secrets français) de 1982 à 1985, est un homme politique et du renseignement français qui a occupé plusieurs autres postes, dont celui de député de 1993 à 1997 (groupe parlementaire UDFC).
Il est aussi l'auteur de plusieurs ouvrages qui vont du document d'enquête au roman d'espionnage. Parmi les nombreux ouvrages édités, «Contre-espionnage, mémoires d'un patron de la DST», «De qui se moquent-ils '», «Portraits de nos chers politiques» (Paris, Flammarion, février 2001), «La cour des miracles», «La Liberté surveillée», «La trahison des ayatollahs» et «Les grandes oreilles du Président».
L'homme, rompu au renseignement, est aussi l'auteur de la phrase «un service de police vaut à travers ses archives, à travers sa mémoire. Un bon policier, c'est premièrement quelqu'un dont on ne parle pas, et deuxièmement quelqu'un qui a de la mémoire.
La police, c'est le silence et la mémoire.» Il décortique, dans cet entretien accordé au «Temps
d'Algérie» les relations algéro-françaises dans les cinq prochaines années, à la faveur de l'élection
de François Hollande, président de la République française, la situation sécuritaire au nord du Mali,
donc aux frontières algériennes sud, l'enlèvement de sept diplomates algériens par le Mouvement pour l'unicité et le djihad en Afrique de l'Ouest (Mujao) le 5 avril dernier à Gao (ville du nord du Mali) et le «cadeau inespéré» offert à des organisations terroristes par les ingérences étrangères en Libye.
Le Temps d'Algérie : Quelle serait selon vous la nouvelle politique française envers l'Algérie avec le départ de Sarkozy de l'Elysée et l'élection de François Hollande 'Yves Bonnet : La France ne manquera certainement pas l'occasion de redonner au dialogue franco-algérien ce supplément de fraîcheur et de sentiment qui ne sont pas inconciliables avec la recherche de solutions communes aux difficultés qui les assaillent au Sahel ni au développement d'échanges de biens et de services de haut niveau. Je pense que le Président Hollande voudra rompre avec une approche exclusivement mercantile des problèmes, sinon une attitude de méfiance que plus rien ne justifie.
L'opportunité qu'offre la célébration du cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie ne peut être ignorée ni mésestimée. Je suis de ceux qui y voient un clin d''il du destin. Pour en revenir au fond même de votre question, je crois réaliste de nous engager mutuellement dans une concertation permanente et organisée avec l'Algérie, de même nature et contenu que celle entretenue avec l'Allemagne.
La paix et la prospérité régionales en sont l'enjeu et la condition, surtout si nous admettons enfin, de part et d'autre de la Méditerranée, que nous ne pouvons nous désintéresser de l'Afrique subsaharienne.

Vous avez maintes fois appelé à une coopération renforcée entre l'Algérie et la France pour ce qui concerne notamment la lutte antiterroriste dans la région du Sahel. Croyez-vous que François Hollande exaucera ce v'u'
Le Président Hollande est un homme réaliste et lucide qui sait qu'il n'est pas possible de sortir «par le haut» de l'enlisement au Sahel sans une étroite coopération avec l'Algérie. Il l'a dit, il l'a manifesté au moins à deux reprises : lors de son voyage en Algérie en décembre 2010, où malheureusement aucune porte «officielle» ne lui a été ouverte, et le 17 octobre 2011 où son premier geste de candidat élu fut d'aller rendre hommage aux Algériens victimes d'une déshonorante «ratonnade».
Un tel homme qui doit probablement changer les têtes de ses services ne peut éluder la relance de la coopération opérationnelle entre nos deux pays. Croyez-vous que le nouveau président de la République française, François Hollande, veillera au respect des accords de coopération sécuritaire conclus entre l'Algérie et des pays d'Afrique comme le Mali ' Le Président Hollande est un légaliste convaincu et rigoureux ; nous verrons bientôt qu'il aura à c'ur de se placer dans la ligne des accords conclus en leur temps par ses prédécesseurs.
Dans son dernier meeting entrant dans le cadre de la campagne électorale pour le deuxième tour de la présidentielle française, Sarkozy
a reconnu que «l'Algérie est une puissance régionale» et qu'«elle possède les clés du règlement de la situation dans la région. Comment expliquez-vous cette déclaration faite par le président sortant'
Le Président Sarkozy a eu, quant à lui, la lucidité tardive, et je regrette profondément que,
lors du «printemps arabe», il n'ait pas pris soin de se concerter avec le «vieux sage» qu'est le Président Bouteflika. Nous aurions évité les déconvenues que nous connaissons aujourd'hui. Que l'Algérie soit une «puissance régionale» est une évidence que nul gouvernant ne peut contester.

Comment évaluez-vous la situation actuelle dans le nord du Mali'
Même dans des limites qui sont gigantesques, et qui, au passage, ne signifient pas grand-chose, la déstabilisation du Sahel est contenue par les Etats riverains, entre lesquels les disparités d'efficacité sont grandes. Indiscutablement, le Mali connaît les pires difficultés que la France a la capacité, avec l'Algérie à mon sens, de maîtriser. Ces trois pays doivent coopérer de manière impérative ; s'ils le font, la partie sera gagnée.

Comment expliquez-vous l'apparition d'une multitude d'organisations terroristes (AQMI, MUJAO et Ansar Eddine) dans le nord du Mali'
Les mouches prospèrent et se multiplient sur des terrains favorables : nous vivons les suites de la déstabilisation de la Libye et de la disparition d'un Etat, certes critiquable, mais qui remplissait plutôt bien son office d'obstacle aux métastases du terrorisme salafiste. Il était irresponsable de jeter à bas une structure, même dictatoriale, sans s'assurer des capacités de ceux qui en prenaient la relève.
Quelle serait votre lecture quant à l'ultimatum fixé par le MUJAO, menaçant d'exécuter les diplomates algériens retenus en otages, et comment expliquez-vous que cette organisation terroriste sévisse au nord de l'Afrique alors que d'après son appellation, elle est censée sévir en Afrique de l'Ouest '
Je veux seulement souligner quel cadeau inespéré a été fait à ces organisations par les ingérences étrangères en Libye. La localisation du MUJAO en est probablement une autre conséquence.




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