Algérie

Que faire des écrits littéraires et touristiques du temps colonial sur Tlemcen ?



Les écrits innombrables du temps colonial sur l’Algérie placent le lecteur et le chercheur devant un dilemme qui a connu plusieurs tentatives de dépassement depuis l’indépendance. Soit on cède à la tentation de faire table-rase du passé colonial en refoulant le plus complètement possible tout ce qui en émane, une posture qui a son pendant chez certains Français d’Algérie qui cultivent exclusivement la mémoire de « leur » Algérie en voulant tout ignorer de l’Algérie postcoloniale. Soit l’imbrication exceptionnelle de l’histoire des deux sociétés (bien soulignée par Etienne Balibar dans un célèbre article) invite à tenir compte des effets de connaissance qu’apportent les productions du temps colonial sur la société musulmane algérienne et ses interactions avec la société dominante. Mais on se heurte alors à un autre phénomène lié à l’imbrication des histoires et qui est la guerre des mémoires. En pratique, le rapport aux écrits coloniaux est complexe et il a évolué dans le temps. Beaucoup de productions discursives de l’époque coloniale ont été validées sans bruit par l’Etat indépendant et appropriées par la société algérienne. C’est le cas du discours juridique, formellement « algérianisé » et qui avait été pourtant un outil essentiel de la domination coloniale. De nombreux discours savants ont aussi échappé au refoulement, ou sont sortis du purgatoire après bilan, y compris en histoire et en anthropologie, disciplines où la sensibilité coloniale s’était le plus explicitement exprimée. Du côté des écrits politiques, il est aisé d’isoler les discours explicitement colonialistes mais plus difficile de dégager l’effet de connaissance produit par les autres discours politiques, notamment ceux qui adoptaient une posture critique par rapport à l’ordre colonial ou qui dialoguaient avec le discours national. Enfin, la complexité est encore plus grande pour les textes littéraires, où les connotations idéologiques sont fréquentes, mais qui constituent, moyennant des méthodes d’analyse appropriées, des documents précieux sur la représentation des rapports interpersonnels à l’époque coloniale. Pour eux tout particulièrement, la frontière entre temps colonial et temps postcolonial n’est pas étanche. D’une part, parce que beaucoup d’auteurs, comme Mohamed Dib ont produit une œuvre qui s’est inscrite à cheval entre ces deux temps. D’autre part, parce que les processus mémoriels, dont la littérature est une expression privilégiée, ont un calendrier qui fait franchir allègrement aux imaginaires les frontières temporelles. Comme en témoigne aujourd’hui la redécouverte du temps colonial par plusieurs auteurs algériens, l’interaction des mémoires ne prend plus seulement la forme d’une guerre des mémoires, mais reflète aussi le souci de faire revivre un passé délaissé. Il est vrai que la réappropriation du temps colonial et de ses sources reste plus difficile en Algérie qu’au Maroc, où la domination coloniale a duré trois fois moins longtemps. Mais Tlemcen occupe peut-être dans ce processus une situation intermédiaire. C’est, après Alger, une des villes algériennes sur laquelle on a le plus écrit à l’époque coloniale. Traitée en témoin d’une société traditionnelle qui se survivait à elle-même, la culture musulmane y était moins ignorée et moins dévalorisée qu’ailleurs en Algérie, Même si cette exception n’échappait pas, comme pour les écrits sur le désert, à la caricature exotique et à la recherche d’une Algérie alibi, il est intéressant de revenir sur l’apport de ces textes sur Tlemcen à la connaissance de l’Algérie du temps colonial et à la formation des imaginaires. C’est la démarche que nous proposerons dans cette intervention à partir de la relecture de quelques productions littéraires et touristiques destinées au grand public.



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