Il y a quelques
semaines, l'hebdomadaire Newsweek a publié un long article mettant en garde
contre les conséquences possibles de la banalisation de la parole xénophobe aux
Pays-Bas. Intitulé « Quelqu'un peut-il demander à Geert
Wilders d'arrêter ses diatribes contre les musulmans
avant que quelqu'un ne soit blessé ? », il mettait en cause les effets
insidieux et potentiellement dévastateurs du discours radical du leader
populiste néerlandais (*). A l'époque, j'ai mis de côté cet article estimant
qu'il serait nécessaire d'en écrire un de comparable à propos de la France et du climat
délétère et islamophobe qui y règne depuis le début
des années 2000. Comme nombre d'amis, pas forcément tous des coreligionnaires,
il y a bien longtemps que je crains que cela ne débouche sur une ou plusieurs
tragédies dont les musulmans seraient les victimes. Pour moi, ce qui s'est
passé en Norvège l'été dernier, avec le massacre de dizaines de jeunes
militants de gauche par un terroriste d'extrême-droite,
était une première alerte. Une mise en garde vite oubliée, vite escamotée comme
si l'horreur et l'impensable ne pouvaient se répéter ailleurs, en France ou
dans tout autre pays européen confronté à la montée conjointe des surenchères
et de la démagogie identitaires.
Aujourd'hui,
après les tueries de Toulouse et de Montauban, il est évident qu'un tel papier
ferait figure de provocation car, dans l'affaire, et à l'heure où je boucle
cette chronique, c'est bel et bien un homme de confession musulmane, et
d'origine algérienne, qui s'est rendu coupable de ces actes lâches et
monstrueux que rien, mais absolument rien, ne peut excuser ou justifier. C'est
lui, djihadiste se réclamant d'Al-Qaïda,
qui a tué, horreur suprême, des enfants au nom de la vengeance des musulmans de
Palestine et d'Afghanistan. Comment, dès lors, ne pas se sentir indigné et
accablé par tant de vilenies et de bêtise crasse ? Comment garder son
sang-froid face à de tels agissements qui souillent non seulement la religion
musulmane mais aussi la cause des Palestiniens ? Et comment faire entendre sa
voix face à celles et ceux qui entonnent le chant vicieux du « on vous l'avait
bien dit ! Vous étiez prévenus ! » ?
Bien sûr, il y a
les déclarations, y compris celles de Marine Le Pen,
qui se veulent rassurantes et qui mettent en garde contre tout amalgame. Dans
une posture de rassembleur, Nicolas Sarkozy a appelé à ne « céder ni à
l'amalgame ni à la vengeance » après avoir réuni les représentants des cultes
juif et musulman. Mais personne n'est dupe. Nous sommes mercredi après-midi et,
déjà, on entend ici et là des voix mettre en cause la couverture partiale
(comprendre pro-palestinienne) des événements au
Proche-Orient ou s'insurger contre l'angélisme et la naïveté face à l'expansion
de l'islam en Europe. Comme après les attentats du 11 septembre 2001 aux
Etats-Unis, c'est toute une dynamique de mise en cause, assumée ou non, des
musulmans qui se met en branle. On sent bien que la
retenue est encore de mise mais que gronde en amont un flot d'accusations et de
stigmatisation.
Il s'agit de
circonstances où beaucoup de choses peuvent basculer, où les digues habituelles
de la paix civile peuvent soudain se révéler bien fragiles. Nous voici donc,
musulmans de France, de nouveau sommés de nous expliquer et de nous amender
comme si nous étions forcément solidaires ou complices du tueur de Toulouse. On
va nous demander de condamner un comportement dont la majorité d'entre nous n'a
de cesse de se démarquer depuis des années.
On va nous
reprocher notre silence en feignant d'oublier qu'il nous est guère possible de
nous faire entendre, que les grands médias comme les télévisions et les radios
nous sont difficilement accessibles, surtout lorsqu'il s'agit de porter un
discours qui se revendique de la démocratie, du respect des lois républicaines
mais qui, dans le même temps (ceci expliquant peut-être cela), refuse de
sombrer dans le bénioui-ouisme. Alors, oui, bien entendu, il y aura forcément
quelques tarés et autres idiots utiles qui, sur internet
ou ailleurs, vont défendre cet assassin. Mais cela ne saurait représenter le
sentiment de l'immense majorité qui n'en peut plus d'être prise en otage par
les soldats perdus du djihadisme. Une immense
majorité qui aimerait aussi rappeler que, dans le monde, les premières victimes
de cet extrémisme sont d'abord les musulmans comme viennent de le prouver les terribles
attentats qui ont ensanglanté l'Irak au cours de ces derniers jours.
Le tueur de
Toulouse vient de faire très mal à la France. Il a assassiné sept de ses enfants et
placé toute une communauté dans une position difficile. Mais il n'y a pas que
cela. A cause de lui (ou grâce à lui), le débat politique va prendre une autre
tournure. Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen vont
sortir renforcés de cette crise alors que l'opinion publique française
commençait à se lasser de leurs diatribes sécuritaires et de leur manière
brutale de faire campagne. Dans le même temps, les discours mettant en garde
contre la stigmatisation des musulmans - comme ce fut le cas avec la campagne
débile sur la viande halal – vont avoir du mal à passer. Surtout, il va être
impossible de réfléchir sereinement à la manière dont ce pays a évolué au cours
des cinq dernières années. Avant les drames de Montauban et de Toulouse, la
situation était déjà tendue, clivée, avec une banalisation croissante des
discours de haine, de stigmatisation des uns et des autres, de mise en cause de
telle ou telle minorité, de mise en opposition entre confessions ou entre
Français d'origines diverses. Et ce qui vient de se passer ne va pas arranger
les choses. La campagne électorale va reprendre ses droits. Un temps remisées, les stratégies de tension
referont très vite leur réapparition. Pourtant, c'est du besoin d'apaisement de
la société française dont il devrait être question. Quand toute une communauté
craint pour elle-même en raison du comportement d'une personne isolée, c'est
qu'il y a un problème. Quand nombre de Juifs de France sont persuadés que les
musulmans espèrent (préparent ?) de nouveaux actes de violence contre eux,
c'est qu'il y a un autre problème. Et l'on en arrive à se demander s'il existe
un candidat qui aura le courage de faire campagne sur la nécessité de
renforcer, et de reconstruire, le principe du vouloir vivre ensemble.
(*) «Can't someone tell Geert
Wilders to stop his anti-muslim diatribes before
somebody gets hurt?», Christopher Dickey, 23 janvier 2012.
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Posté Le : 22/03/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : Akram Belkaid: Paris
Source : www.lequotidien-oran.com