En temps
habituels, c'est un instant rare, magique, à nul autre égal en cette période
hivernale. C'est le moment qui, à la tombée du jour, précède l'illumination des
réverbères. Le soleil se couche, la nuit s'annonce. Entre chien et loup,
s'impose pour quelques secondes une luminosité inattendue, déconcertante. La
ville est alors plongée dans un clair-obscur que ni les enseignes des commerces
ni les faisceaux des phares d'automobiles n'arrivent à dissiper. Pour qui lève
un peu la tête, la perspective est soudain différente, étonnement claire, presque
scintillante, surtout si l'on regarde vers l'ouest, là où les derniers
rougeoiements annoncent, ou pas, le temps qu'il fera demain. Mais tout cela ne
dure guère longtemps. Très vite, la lumière artificielle, mélange de jaune et
de blanc plus ou moins agressifs, se charge d'effacer l'éclat du crépuscule.
Pourtant, en ce
début de semaine, les choses se passent différemment. Dans la rue, ou plutôt
dans le bloc rectangulaire quadrillé par quatre rues, l'heure est à
l'inquiétude. On croise des regards soucieux, des corps en alerte, comme s'ils
se préparaient à bondir ou à courir. Alors qu'ailleurs les réverbères se sont
progressivement illuminés, ici ils restent éteints comme ce fut le cas la
veille et l'avant-veille. Marcher devient aventureux car l'on ne sait pas
vraiment où l'on met les pieds.
Certes, quelques
vitrines de magasins permettent d'y voir un peu et d'éviter, outre quelques
déjections canines, les tranchées creusées par les ouvriers du gaz ou par les
installateurs des bornes pour voitures en libre-service. Mais cela ne suffit
pas. L'obscurité règne déjà en maîtresse.
La chaussée et
les trottoirs sont à elle. Les arbres, pourtant si familiers, deviennent des
formes menaçantes, des hydres aux multiples tentacules. Un homme de sac et de
corde pourrait s'y adosser, attendant tranquillement sa proie sans risque
d'être vu ni reconnu.
Mais voilà que,
justement, par hasard ou nécessité, quelques gens du quartier se retrouvent
devant le tailleur du coin. Dans sa vitrine, un serpentin multicolore, vestige de
fêtes de fin d'années déjà lointaines, ne cesse de clignoter. Cela permet de se
reconnaître, de voir à quelques mètres, du moins par intermittence, un peu
comme si l'on s'était réunis devant un feu au beau milieu d'une clairière. Oui, c'est bien de cela qu'il s'agit. Tout
autour, se dresse une forêt de béton, lugubre et porteuse de périls. Venu aux
nouvelles, le vendeur de motos, des américaines chantées jadis par Brigitte
Bardot, fait connaître sa colère. Sans éclairage dans la rue, sa vitrine et ce
qui s'y trouve derrière comme blousons, bottes et autres accessoires coûteux
est une offrande pour les mauvais larrons. Il explique qu'il ne peut laisser
son magasin allumé car, paradoxalement, cela attiserait les mauvaises
tentations. On le comprend, on le plaint. Le restaurateur, concocteur
de cuisine italienne, tente de rassurer les uns et les autres en assurant qu'il
restera ouvert jusqu'à au moins minuit et que ses garçons sortiront
régulièrement jeter un coup d'Å“il dans la rue.
Et après, lui
demande-t-on ? Et demain matin, à l'heure où les enfants partent à l'école ? ajoute-t-on. Il ne dit rien. Un silence s'installe. Un
gardien d'immeuble ronchonne. Pour lui, cette panne qui dure depuis plusieurs
nuits est encore un coup des Roumains qui, fausse pétition à la main, chassent
le portefeuille ou la carte bancaire. Il parle en chuchotant comme s'il voulait
éviter de réveiller les mauvais esprits qui pourraient sortir de la pénombre.
Son visage prend tour à tour les couleurs successives du serpentin et l'on se
demande alors si c'est bien de lui qu'il s'agit ou si ce n'est pas quelqu'un
d'autre qui aurait pris sa place. Mais on l'approuve. La liste, réelle,
fantasmée ou exagérée des méfaits de ces bandes venues d'Europe de l'Est est
longuement commentée. On parle de ces vieilles personnes agressées au
distributeur automatique, de celles suivies jusqu'à chez elles et violentées à
l'intérieur de leur domicile. Quelqu'un évoque d'autres méfaits, largement
décrits par la presse. Il parle de portrait robot, d'un homme dangereux. Il
hésite un peu, puis précise qu'il s'agirait d'un Africain. On l'écoute sans
rien dire avec l'estomac qui se serre un peu.
Alors on s'en
prend aux travaux interminables qui ont sûrement dû couper quelques lignes ou
fait disjoncter un transformateur qui n'est certainement plus aux normes. Gaz,
chauffage urbain, lignes téléphoniques... On se croirait à Alger, ville où l'on
a gardé l'habitude de creuser, boucher (mal), recreuser puis reboucher (encore
plus mal). Justement, Alger… L'habitué des coupures de courant et de
l'inexistence d'éclairage public s'est rendu compte que ses vieux réflexes
n'ont pas disparu.
En sortant de
chez lui, il a mis dans sa poche la lampe du même nom. Il conseille aux autres
d'en faire autant, sans évoquer la ville blanche, bien sûr. La suggestion leur
plaît. Ils n'y avaient pas pensé.
La nuit est
désormais totale. Le petit groupe s'est épaissi. Certains se sont proposés pour
raccompagner la vielle dame du soixante-dix. D'autres se demandent s'il ne va
pas falloir organiser un guet. On évoque un courrier tranchant comme une lame
électorale qui serait adressé au député, au maire de l'arrondissement et à
celui de la ville. On n'arrive pas à admettre l'obscurité. Trois jours de
panne, c'est trop long, c'est inadmissible pour qui paie des impôts locaux. On
menacera de voter pour les autres, cela fera certainement son effet, du moins
feint-on d'en être persuadé.
Il commence à se
faire tard. On se sépare. Au loin, les halos des réverbères qui fonctionnent
semblent baliser la frontière d'un autre monde, privilégié et envié.
En marchant dans
la rue obscure et sinistre, tête et cou rentrés dans les épaules, on réalise
alors que l'éclairage public n'est rien d'autre qu'un ami mystificateur. Un
stratagème certes bienfaisant mais destiné à faire oublier que l'homme et la
nuit ne peuvent faire alliance, qu'elle sera toujours
porteuse de dangers et de peurs.
Un artifice qui
fait perdre de vue, au fil des ans et des générations, qu'elle reste une
ennemie et que celles et ceux qui la chantent et la vénèrent le font presque
toujours à l'abri de leurs murs et d'une douce lumière, à la fois protectrice
et rassurante.
je cherche coment faire pour devenir makhfi
liazidiidriss - ... - tizi gheniff, Algérie
21/01/2012 - 25860
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Posté Le : 19/01/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : Akram Belkaid: Paris
Source : www.lequotidien-oran.com