La ficelle est
grosse, énorme même, mais Nicolas Sarkozy, ses serviteurs et ses obligés, de
gauche comme de droite, semblent penser que la diversion peut réussir.
Alors que
l'affaire Woerth-Bettencourt est loin d'avoir livré tous ses secrets et tandis
que la côte de popularité du président français est au plus bas, voici que les
discours musclés, martiaux pourrait-on dire, à propos de l'immigration et de la
sécurité font une réapparition simultanée. Mais jusqu'où ira-t-on dans ce
revival pétainiste ?
En déclarant que
les personnes d'origines étrangères reconnues coupables de graves délits à
l'encontre des forces de l'ordre seraient déchues de leur nationalité
française, Sarkozy a d'abord entériné le fait qu'il ne faisait guère cas du
premier article de la Constitution de son pays qui déclare que tous les
Français sont égaux devant la loi et cela quelque soit leur origine. Comme l'a
expliqué l'ancien Garde des Seaux socialiste Robert Badinter, un mauvais
citoyen reste toujours un citoyen avec les mêmes droits et les mêmes devoirs
que les autres. Dieu merci, il existe en France des hommes et de femmes qui
font honneur à ce pays !
Comme toujours,
il y a plusieurs aspects dans les déclarations de Sarkozy à propos des Français
d'origine arabe ou sub-saharienne – car c'est bien d'eux qu'il s'agit. Ainsi,
la tentative de reconquête des électeurs et sympathisants du Front national est
plus qu'évidente. En les caressant dans le sens du poil, ce n'est plus le
président de tous les Français mais bien le candidat pour le scrutin de 2012 qui
est à la manÅ“uvre. Il reste à savoir si ces derniers ne vont pas, comme cela a
été souvent le cas, préférer l'original à la copie et si, par conséquent,
Marine Le Pen ne risque pas de se retrouver au second tour de la prochaine
présidentielle. Si cela devait arriver, on sait déjà que le locataire actuel du
Palais de l'Élysée en portera une grande part de responsabilité.
L'autre aspect
concerne l'expression d'un non-dit finalement très prégnant à droite mais
aussi, hélas, à gauche. La sortie présidentielle fait écho à cette conviction,
plus ou moins assumée, selon laquelle un citoyen d'origine maghrébine ou
africaine ne peut être considéré comme un Français à part entière. Même s'il
cherche par tous les moyens à s'intégrer, même s'il élève ses enfants – auxquels
il aura donné des prénoms français pour faire plaisir à Eric Zemmour – dans le
respect de la République et de ses valeurs, il y aura toujours un Sarkozy ou un
Hortefeux pour déraper et lui rappeler, au besoin par la loi, que certains
seront toujours plus Français que d'autres. Souvenons-nous des propos du
sénateur Gérard Longuet, le patron des sénateurs UMP, à propos de l'importance
de nommer un représentant du « corps français traditionnel » à la tête de la
Halde, organisme de lutte contre les discriminations, plutôt que Malik Boutih.
On objectera que
les déclarations présidentielles à propos de la déchéance de nationalité ne
concernaient que des bandits et des criminels. Peut-être, mais si Kadour,
français né à Grenoble de père algérien et Roger, né dans la même ville d'un
père auvergnat, tirent tous les deux sur un policier, leur peine, sévère, doit
être la même. C'est un principe élémentaire de la République. Ajoutons à cela
le fait que, souvent, Kadour, n'a pas d'autre nationalité que française (il lui
faut même un visa sur son passeport français pour se rendre en Algérie) et que
l'en déchoir serait le transformer en apatride ce qui est interdit par la
Constitution !
Plus important
encore, c'est le fait que cette future loi d'exception – puisqu'il semble qu'un
texte sera examiné à la rentrée – est comme à chaque fois un test qui annonce
d'autres dérives. Si cela passe – à l'image du ministère de l'identité
nationale qui ne semble plus déranger personne – cela créera un précédent et
Sarkozy ira encore plus loin dans la stigmatisation des personnes d'origine
étrangère. Je prends les paris que ce chantage à la déchéance de nationalité va
resurgir au gré de l'actualité et concerner d'autres thèmes. Mais gageons au
passage qu'il ne sera toutefois jamais question de retirer la nationalité à
celles et ceux qui poignardent la France dans le dos en fraudant le fisc et en
plaçant leurs millions d'euros en Suisse ou ailleurs…
Il faudra aussi
que l'on nous explique à partir de quel moment quelqu'un n'est plus considéré
comme étant d'origine étrangère. Dans les cités, puisque c'est aussi de cela
qu'il s'agit, on en est déjà à la troisième voire même parfois à la quatrième
génération de néo-Français. Il fut un temps, où l'on désignait cette partie de
la population par l'expression « Français, fils d'immigrés ». Cette appellation
était déjà détestable car réductrice et spécialement destinée à certaines
origines (maghrébines, africaines,…) –Sarkozy est rarement présenté comme étant
le fils d'un immigré hongrois – mais elle risque fort d'être surpassée par une
nouvelle – encore à inventer – qui désignerait celles et ceux qui risquent – la
vie étant ce qu'elle est – de perdre leur nationalité en raison d'un délit
qu'ils auraient commis. Que va-t-on inventer ? Français « temporaire », « en
suspens d'intégration », « en probation citoyenne » ?
Les mois qui nous
séparent de l'élection de 2012 risquent d'être insupportables et il faudra
certainement hausser le ton et faire entendre sa voix. A ce propos, un ancien
collègue journaliste s'est longtemps répandu à mon propos en prétendant aux uns
et aux autres que j'étais un « communautariste », accusation censée
décrédibiliser mes écrits y compris ceux qui concernent la situation au
Proche-Orient. La vérité, c'est que ces sujets commencent à me fatiguer et que
les tchaklalas perpétuelles autour de l'islam en France ou de l'intégration
deviennent lassantes. Mais il est difficile de rester coi et indifférent quand
on sent que c'est toute une machine à exclure qui s'emballe et que ceux qui
sont visés n'ont pas toujours la possibilité de se défendre. En France, il y a
des centaines de milliers d'Arabes et d'Africains qui aimeraient vivre
tranquilles sans se sentir en permanence agressés ou provoqués pour maintes
raisons politiciennes…
Voilà le
paradoxe. Parler, dire ce que l'on pense à voix haute, ne pas accepter de se
faire molester, même verbalement : c'est être communautariste. Mais dans le
même temps, se taire, faire le dos rond, laisser l'orage passer en n'en pensant
pas moins, se détacher de la Cité, se replier vers ceux qui ressentent la même
chose, c'est aussi, quelque part, du communautarisme. Est-ce à cela que Sarkozy
souhaite aboutir ? Cela ne ferait que diviser encore plus les Français et on
est en droit de se demander si ce n'est pas ce qu'il cherche pour se maintenir
au pouvoir.
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Posté Le : 05/08/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Akram Belkaid: Paris
Source : www.lequotidien-oran.com