Dans les hameaux de Mizrana, si la sécurité est revenue, le développement n'a pas suivi : pas de poste, pas de transport, pas de loisirs ni pas même de couverture réseau l Ici, les villageois se sentent littéralement «hors champ».
Mizrana (Daïra de Tigzirt)
De notre envoyé spécial
Belle Algérie que j'aime ; arrosée de mon sang ; je lui ai offert mon âme ; aux portes du printemps.» Ce poignant poème est signé «Djino», surnom affectueux d'un jeune citoyen de la commune de Mizrana, dont le portrait alpagué en médaillon orne la stèle érigée en sa mémoire aux abords du siège municipal. Sur la stèle, cette inscription : «Ici repose Djamel Tounsi dit «Djino», sauvagement assassiné par les gendarmes le 1er avril 2002 au centre-ville de Tigzirt.» Sur le trottoir d'en face, une autre stèle. A la mémoire d'un autre Tounsi, le cousin de Djamel, nous dit-on. Martyr de la barbarie terroriste celui-là. «Ici est tombé le 11 mars 1995 le chahid Tounsi Mohamed à l'âge de 26 ans. Mort pour la patrie !», décline l'autre monument. Deux pages de l'histoire tumultueuse de la commune de Mizrana. Ici, nous sommes précisément au village Aït Saïd, chef-lieu de la commune.
Celle-ci chapeaute pas moins de 17 villages. Mizrana, c'est le nom de la grande forêt qui couvre toute la région et qui s'étend jusqu'aux abords de Dellys. Au plus fort du terrorisme, Mizrana était le nom à ne pas prononcer. Le genre de noms qui vous donne froid dans le dos à lui seul, comme lorsque, dans le temps, on disait Zbarbar ou Bentalha. «Le siège de l'APC a été brûlé en 1994 ainsi que le parc communal», témoigne Mohamed Hachemani, maire de Mizrana.
Au pic de la folie meurtrière des années 1990, la forêt était un sanctuaire du terrorisme. Elle était infestée de casemates et autres tunnels où s'embusquaient les djihadistes. Pas moins de 35 casemates ont été détruites lors d'une importante opération de ratissage lancée à l'automne 2008, rapporte La Dépêche de Kabylie (13 décembre 2008). «Mais personne, ici, n'a abandonné sa maison», affirme orgueilleusement Mohand, un chauffeur de taxi de Tigzirt qui nous sert de guide. Une tradition de résistance s'est vite installée au sein de la population. «L'un des tous premiers groupes d'autodéfense est né ici même», assure fièrement un natif de la région.
Cette tradition jette sans doute ses racines dans le Mouvement national, la forêt de Mizrana ayant été l'un des bastions de la Wilaya III historique. Mohand nous propose un circuit à travers un chapelet de villages situés sur les hauteurs du massif forestier. Nous empruntons ainsi la RN24 depuis Tigzirt et roulons le long de la route côtière jusqu'à Mazer. Chemin faisant, Mohand nous indique une construction inachevée. «Cette maison appartient à Abassi Madani», glisse-t-il. Sur le bas-côté, on peut apercevoir à hauteur d'Iferès, un centre de loisirs complètement sinistré.
«Avant, ce centre était très animé, mais il a été laissé à l'abandon du fait de l'insécurité qui régnait ici», explique Mohand. A Mazer, village situé à 6 km de Tigzirt, un important barrage militaire filtre les véhicules. De là, nous bifurquons à gauche et nous nous engouffrons dans un chemin vicinal qui se perd dans les méandres de la forêt. Nous traversons une série de hameaux complètement enclavés : Ivakhtaouène, Haouch Saïd, Iguer Guès, Tala Mimoun, Ouatouba. La nature est vertigineuse et l'air revigorant : alternance de bosquets plantureux et de pitons calcaires. Des guérites et autres forts militaires trahissent un quadrillage étroit du site forestier par les forces de l'ANP. Certains pans de la forêt ont été ravagés par le feu. «Ce sont les militaires qui ont fait ça», affirme Mohand. La route est déserte et rares sont les véhicules qui transitent par là.
Des hameaux hors champ
Halte devant un groupe de villageois attablés dans l'unique café de Tala Mimoun, hameau situé à quelque 12 km de Tigzirt (via Mazer). Leur liste de doléances est longue. Ici, Mizrana rime avec «misère». «Certes, la sécurité est revenue, mais pour le reste, nous manquons de tout», résume un habitant du village. Première carence : le transport. Certes, de nombreux transporteurs privés assurent la ligne Tigzirt-Mizrana, mais ils desservent uniquement le chef-lieu de la commune, à savoir le village Aït-Saïd. Mais les villages enfoncés dans la forêt sont très peu desservis. «Nous devons faire de l'auto-stop pour nous déplacer», déplore un villageois. Un autre renchérit : «Figurez-vous que nous sommes totalement hors champ. Nous n'avons pas de couverture réseau. Aucun des trois opérateurs de téléphonie mobile ne marche ici.» Joignant le geste à la parole, il arbore un téléphone portable totalement amorphe. A cet isolement téléphonique s'ajoute l'absence de services postaux. «Nous n'avons aucun bureau de poste dans aucun des villages alentours. Nous manquons également d'un CEM pour nos enfants», ajoutent-ils.
Un autre villageois réclame que des pistes soient ouvertes «afin que nous puissions avoir accès à nos terrains et pouvoir les cultiver». Si l'ouverture du tronçon maritime est de nature à les soulager, il faut dire que cela ne contribue pas tellement au désenclavement de leurs patelins. Ils demandent à ce qu'un geste similaire soit fait pour une liaison directe vers Tigzirt. «Il y a un tronçon de 5 km seulement qui nous relie directement vers Tigzirt en passant par Attouri et Lazaïeb. Nous souhaitons que cette route soit ouverte», réclament-ils. L'éclairage public fait également défaut à Tala Mimoun. Last but not least : ces villages ne reçoivent pas la presse. «Nous n'avons même pas les journaux. Nous sommes vraiment coupés du monde», lâche un jeune du village. Nous poursuivons notre petit périple en collant à la route sinueuse qui serpente vers les hauteurs. A l'orée du village d'Ouatouba, des militaires perchés sur une crête jouent allègrement au foot. En contre-bas paissent paisiblement des vaches dans un décor bucolique. Un berger solitaire se fond dans la brousse avec son troupeau. Au village Azroubar, l'animation est déjà bien meilleure.
Une petite foule s'est formée autour d'une magnifique fontaine d'où coule une eau diaphane. Elle a été entièrement rénovée par la mairie de Mizrana pour la coquette somme de 3 millions de dinars. La route débouche sur le lieudit la Crête avant de recouper la RN 72 qui redescend vers Tigzirt. Nous voici sur le principal axe routier reliant Tigzirt à Tizi Ouzou via Makouda. Ici, Mizrana n'est plus la forêt ogresse. Elle rappelle plutôt le côté festif de Yakouren. Une belle forêt récréative plutôt qu'une mangeuse d'hommes'
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Posté Le : 28/07/2012
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Mustapha Benfodil
Source : www.elwatan.com