L'Etat cède du
terrain. Ça commence par un bout de rue et ça finit par le rétablissement de
l'ordre.
A Bab El-Oued, des « ouled houma » veulent créer une milice pour se défendre contre
les gangs. Ulcérés par ces bandes qui opèrent régulièrement des descentes dans
le quartier, en toute impunité, les habitants ont cherché une parade, et se
sont tout naturellement orientés vers une méthode primaire : s'organiser en
milice pour pallier à ce qu'ils considèrent comme une défaillance de l'Etat.
Avant même de
concrétiser leur initiative, les partisans de la milice ont voulu montrer leur
force. Ils ont demandé le départ d'un commissaire de police, exigé des
décisions administratives pour renforcer leur action, et engagé un travail de
mobilisation pour obtenir le soutien de la population. Les représentants de
l'administration locale ont été contraints d'engager la négociation, alors que
les élus, sans pouvoir réel, se sont faits tout petits.
Curieusement,
l'idée de créer une milice a été bien accueillie par de nombreux commentateurs,
qui y ont trouvé un parallèle avec l'expérience de la lutte antiterroriste.
Face à l'insuffisance des moyens de l'Etat, les patriotes avaient constitué un
maillon important du dispositif. Face aux bandes, on pense que la milice va
jouer un rôle similaire.
Mais cette idée
de milice, qualifiée de « folklorique » par des officiels, est surtout
révélatrice de l'impasse dans laquelle se trouve le pays en matière d'ordre et
de sécurité. A Bab El-Oued, une rivalité entre bandes
donne lieu à un spectacle hallucinant. Des dizaines de jeunes, munis de barres
de fer, de sabres, de couteaux et autres armes de toutes sortes, effectuent une
sorte de razzia, sans être inquiétés.
A Baraki, les habitants ont essayé de s'organiser pour lutter
contre le commerce informel. Celui-ci a envahi les rues en toute impunité et en
toute illégalité, constituant une économie parallèle florissante. Qui décide de
quoi dans ce monde ? On ne le sait. En tout cas, pas l'administration locale,
qui semble subir les évènements.
Mais à Baraki, il n'y a pas que le commerce informel. Il y a aussi
la rivalité entre deux quartiers, qui se solde par des bagarres impliquant
plusieurs dizaines de personnes des deux côtés. Dans un mélange de clan, de
tribu, de quartier, sur fond de régionalisme et de rivalités économiques autour
de la gestion des fameux parkings, les bandes ont instauré de nouvelles règles
et de nouveaux codes, sans aucun lien avec l'état et avec la loi. On retrouve
ce phénomène à Baraki, à Birtouta,
à Bab El-Oued, où il se manifeste de manière
spectaculaire, mais aussi dans toutes les villes du pays, où se déroulent des
scènes qui frisent l'absurde.
Ainsi, à Bou-Ismaïl, une dizaine de personnes, apparemment sans lien
particulier avec les milieux de la délinquance, se sont solidarisées avec un
malfrat local, et ont empêché les agents de l'ordre de l'arrêter. Prenant fait
et cause pour la personne recherchée, ces citoyens très ordinaires s'en sont
pris aux agents des services de sécurité, les bombardant de pierres et d'objets
de tous genres pour permettre au délinquant de prendre la fuite. Qu'est-ce qui
a motivé leur acte ? S'agit-il vraiment d'une solidarité avec la personne
recherchée ? Y a-t-il une hostilité envers les agents des services de sécurité
?
Dans la
périphérie de la même ville, les agents de l'ordre ont pourtant laissé beaucoup
de liberté à ces jeunes gens, comme cela se passe sur la nouvelle voie express
qui doit relier Bou Ismaïl à Tipaza. Là, la route est
encore en chantier, mais nombre d'automobilistes l'empruntent pour gagner du
temps, particulièrement en été, lorsque la route du littoral est encombrée.
Toutefois, pour passer, les automobilistes doivent s'acquitter d'un « péage » :
des jeunes se sont appropriés la voie et font payer le droit de l'emprunter. Au
vu et au su de tous.
Après avoir
squatté la voie publique, transformée en « parking » sauvage, les voilà donc
qui s'approprient une voie express. Encore une fois au vu et au de tous. De
l'administration locale, comme des services de sécurité. La passivité des
détenteurs de l'autorité constitue d'ailleurs une énigme : y a-t-il instruction
pour laisser faire ? Ces pratiques sont-elles encouragées pour gagner la faveur
des jeunes ? Les dirigeants qui ont laissé s'imposer cette situation de vacance
de l'autorité se rendent-ils seulement compte que le recul de l'Etat est en
train de devenir l'un des problèmes majeurs du pays ? L'ont-ils fait par
démission, par incompétence, par bêtise ou par opportunisme ? Quelle que soit
la réponse, elle mène à l'impasse. Car aujourd'hui, le pouvoir en place ne
semble pas en mesure de remonter la pente, ni même en mesure de prendre acte de
la dérive dans ce domaine. Et même si quelques rares personnes dans les rouages
du pouvoir semblent réaliser l'ampleur de la dérive, il n'y a plus personne en
mesure d'appuyer sur le bouton nécessaire pour que la dérive prenne fin et que
le redressement soit amorcé. Au grand bonheur des bandes et des gangs.
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Posté Le : 11/08/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abed Charef
Source : www.lequotidien-oran.com