Algérie

Quand le travail devient un combat



Pourtant, les artisans artistes produisent des chefs-d’œuvre, valant des petites fortunes ailleurs. Les exemples sont multiples. Presque dans chaque coin de l’Algérie existe un petit atelier de merveilles. Celui dans lequel nous avons passé toute une journée, en compagnie de son maître de bord, se situe sur la route reliant Ouaguenoun à Boudjima, sur les hauteurs de la Kabylie. Ammi Mouh, comme on l’appelle dans son village natal à Issaradjen, à quelques kilomètres du chef-lieu de la commune de Boudjima, à Tizi Ouzou, se dit toujours pas retraité, même après plus de 40 ans de carrière. Mohamed Kechir, de son vrai nom, a 63 laborieuses années, dont 30 sur un fauteuil roulant. Malgré le fait qu’il soit handicapé moteur, il n’a rien à envier aux gens en très bonne santé et en forme.
Gagne-pain
De taille fine, moustache vigoureuse et casquette de sport sur la tête pour se protéger du soleil printanier, il se glisse facilement de son fauteuil roulant pour monter à bord de son petit joyau, à trois roues et à moteur, que lui-même a pris le soin de modifier pour qu’il puisse supporter les moyens trajets. Sa première direction est le marché hebdomadaire de Lekhmis.
«Je ne peux pas rater le jour du marché. C’est un rendez-vous d’office avec mes amis et les compagnons de ma jeunesse. J’en profite aussi pour faire les courses», explique ammi Mouh. Au bout de quelques heures, ammi Mouh regagne son atelier.  Toujours souriant, il n’arrête pas de saluer les automobilistes qui lui accordent tous un crédit de respect et d’intérêt. «Wach Da Mouh… c’est un bateau de harraga ou quoi '», demande un transporteur de voyageurs. Non, ce n’était pas le cas.
Le tout dernier projet de notre constructeur expérimenté est un splendide et «gros» porte-avions : 1,8 m de longueur, 1m de largeur et 1,7 de hauteur. «Je pense qu’il sera mon dernier projet. Avec le temps, ça devient plus un passe-temps qu’autre chose», dit ammi Mouh à propos de son don de constructeur de maquettes. «Ce que vous appelez un don a été mon seul gagne-pain durant des décennies. A l’âge de 33 ans, j’ai eu un accident lors d’une partie de chasse. C’est cet accident qui a causé mon handicap. Sur le lit de l’hôpital de Birkhadem, j’ai construit mon premier bateau en papier. Depuis je n’ai jamais cessé de produire des maquettes de toutes formes et couleurs», a-t-il ajouté.
Son atelier ressemble plutôt à un musée. Le visiteur peut apprécier des pièces d’art sous différentes formes : des statuettes, des veilleuses multicolores, des maquettes de barques, mais aussi des bateaux de guerre et même des sous-marins.
Histoire d’une réussite
«Après mon accident, je ne pouvais plus exercer mon métier de coiffeur, donc j’ai réfléchi sur la manière dont je devais gagner ma vie et protéger ma famille. En 1994, j’achète une banne de planches. J’ai commencé alors à fabriquer des chaises, des petites maquettes et ensuite des veilleuses que je vendais les jours du marché hebdomadaire de la région. Quelques années plus tard, mon travail a gagné en perfection», raconte Mohamed Kechir, les archives photos de ses chefs-d’œuvre à la main. «Des responsables de la wilaya de l’époque m’ont promis de l’aide que je n’ai jamais eue. Heureusement, je perçois une pension puisque j’étais assuré quand j’ai eu l’accident. On ne demandait après moi que les 14 mars pour participer à des expositions et prendre gracieusement mes maquettes», s’indigne-t-il à un moment. «Grâce à ma détermination et mon travail de création, j’ai pu gagner l’estime des gens et surpasser mon handicap. Croyez-moi, j’ai construit ma maison brique par brique. Aujourd’hui, je gère avec mes deux fils un atelier de fabrication de fauteuils semi-cuirs et de garniture automobile», lance encore ammi Mouh. C’étaient les premiers traits noircis de la nuit en quittant ammi Mouh, Na Fatima et leur deux fils, Ferhat et Hocine, qui incarnent une «success-story» au pays du chômage et des harraga.
 


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