Algérie

Quand le rêve était encore permis...




Lors d'une récente émission « L'invité de la rédaction » de la chaîne 3, dont l'invité du jour était M. Bahloul, économiste et analyste (qu'il me pardonne, si je n'ai pas su restituer ses titres et qualifications), on apprenait que la base industrielle nationale, déstructurée au milieu des années 80, était plus étoffée que celle de la Corée du Sud. Décidément, le spectre du doute, qui me taraudait depuis bientôt deux décennies, n'avait rien d'une fantasmagorie plasmatique. Il s'agit bel et bien d'un sentiment de mal-être qui avait un arrière-goût d'inachevé. Amère réalité. J'évitais sciemment d'en parler, appréhendant mon étiquetage de socialiste passéiste ou même de collectiviste antédiluvien. Le radotage, caractéristique comportementale reconnue aux personnes qui avancent en âge et dont la propension d'empêcher les gens de tourner en rond est vérifiée, serait le trait le moins stigmatisant. Mais j'en assume toute la plénitude, conforté dans cela par l'avis d'un homme de sciences et qui sait évidemment de quoi il parle, du moins dans sa spécialité. Mais qui parle d'économie, implique indubitablement le soubassement socioculturel de toute communauté nationale. Encore jeune en 1969, on vivait intensément un festival panafricain, dont l'esplanade de la Grande Poste en était le théâtre. Le cinéma « L'Atlas » faisait découvrir Myriam Makéba, Lamari chantait Djazaïria. L'Algérien moyen découvrait sa musique classique dite andalouse à la salle « Ibn-Khaldoun ». Les Ghafour, Fergani, Serri, Dali, Bachtarzi et autres, nous faisaient découvrir Grenade ou Tolède, éclairées par les enluminures musicales de Ziriab et d'El-Maossili. Les premières anthologies se vendaient en coffret de disques en vinyle de 33 tours. On tirait une fierté indicible de cette appartenance arabo-andalouse. Le flamenco n'était pas en reste, il faisait partie de notre paternité culturelle. L'Amirauté racontait son histoire par le son et la lumière. La cinémathèque nous faisait découvrir un cinéma africain naissant, Med Hondo et Ousmène Sembèse (mort récemment) hanteront plus tard les festivals internationaux. Alger devenait La Mecque des révolutionnaires, du Zambèse à l'Amazone et de Belfast à Hanoï. Casbah Films nous avait déjà gratifiés d'un « Lion d'or » ramené de haute lutte de Venise, pour « La Bataille d'Alger » que revivait Yacef Saâdi pour la seconde fois de sa vie. Remportée militairement en 1957 par Massu et ses colonels, elle fut gagnée historiquement 50 ans plus tard, au Congrès américain et au Pentagone. Hassiba, Ali et le petit Omar étaient « sanctifiés » par la projection du film de Pontecorvo dans ces lieux mythiques. Ce cinéaste injustement méconnu se faisait reconnaître comme tel, la veille de sa disparition. Aggoumi jouait au TNA, si j'ai bon souvenir, « Roses rouges pour moi » de l'Irlandais O'Casey. Qui a dit que l'Algérie était fermée à la coopération internationale ? Qui a dit que le secteur privé n'existait pas ? Qui a dit qu'on sacrifiait l'intérieur, à l'avantage de l'extérieur ? Ceci dit, pouvait-on être libre, politiquement et culturellement, sans l'être économiquement ? C'est ainsi que le 24 février 1971, la messe était dite pour la SN Repal, les Shell, BP et autres trusts. Ni les menaces à peine voilées de débarquement à Sidi Ferruch (il s'agissait cette fois-ci d'un coup de derrick et non plus d'éventail), ni le rappel de la mésaventure tragique de Mossadegh, ni le piteux épisode de Suez, n'ont fait ciller la partie algérienne. Le fleuron de l'industrie pétrolière et pétrochimique appelée Sonatrach naissait dans la réjouissance. L'Institut national des hydrocarbures (INH) et l'Institut algérien du pétrole (IAP) livraient déjà leurs premières couvées de techniciens et d'ingénieurs. La Sonarem, déjà là depuis 1966, investissait les Djebels Onk, le Hoggar, le Zaccar et le Kenadsa. Le complexe gazier « Camel » d'Arzew jetait les bases d'une industrie gazière exponentielle, confortée aujourd'hui même par l'inauguration de l'une des plus grandes usines de GPL et de méthane de la planète. Notre diplomatie, la plus jeune du monde, subjuguait par son insolente justesse de vue. Elle a certes vieilli, mais se fait tout de même encore entendre aujourd'hui. Patrimoine immatériel de l'Algérie indépendante, elle demeurera un objet de fierté tout de même. Elle introduisait la langue arabe comme langue officielle, au sanctuaire onusien de Manhattan, par le discours mémorable de H. Boumediène qui prophétisait sur le nouvel ordre économique mondial. Certains Etats firent de cette allocution un livre de chevet. L'Algérie chassait l'apartheid et le sionisme sur tous les terrains. Et c'est grâce à cette diplomatie percutante que Arafat était « intronisé » par la communauté internationale. L'ordonnance présidentielle de 1972 portant Révolution agraire, qui faisait râler aussi bien en Provence que dans nos propres fiefs féodaux, réhabilitait les damnés de la terre en en faisant des citoyens à part entière. Le village agricole ouvrait les portes de l'école et du dispensaire au petit « gueux » ou « cul-terreux »... c'était selon ! Les non-alignés « s'alignaient » au Palais des Nations au Club des pins. On ne s'était même rendu compte de sa construction. Boumediène y réussissait la fraternisation, certes éphémère, entre les frères ennemis d'Ispahan et de Bassora, mais qui avait eu le mérite de faire reculer le conflit armé, dont les conséquences sont encore vécues jusqu'à ce jour. Le tourisme national se dotait d'infrastructures hôtelières que nous enviaient beaucoup de pays du pourtour méditerranéen. Le Club Méditerranée était abrité au SET de Tipaza qui avait déjà son complexe de Matarès. Zéralda, Sidi Fredj, les Andalouses, El Mordjane, autant de sites balnéaires poussaient comme des champignons. Les profondeurs du pays avaient eu leurs Zianides, El Forsane, Sétifis, Chélia et autres stations thermales de renom. Le tourisme saharien battait son plein, les Mehri, Le Caïd, les Zibans, le Tahat, le Rostémide, témoignent si besoin était, d'une volonté politique d'ouvrir le pays au tourisme international. L'organisation des Jeux méditerranéens de 1975, abrités par le nouveau temple olympique du 5 Juillet, damait le pion aux nostalgiques de l'Algérie de papa ! Lors de l'historique finale de football contre la France, le président Boumediène ne voulait pas que la Marseillaise soit entonnée sur la terre du « pétrole rouge » dixit : le Cartel. Bétrouni, dont le nom passait à la postérité, exauçait son voeu. Les youyous se faisaient entendre de Bouzaréah à El-Harrach. On avait quelques revanches à prendre et ce fut fait ! Les Rahoui et Boutamine nous initiaient à l'athlétisme de performance. Nous qui regardions les colons pratiquer leurs sports favoris, à travers les mailles tressées de Zimmerman, goûtions à présent aux délices des victoires. Quant aux industries lourde et légère, elles avaient pour noms les fonderies d'El-Hadjar, Berrouaghia, le complexe véhicules industriels de Rouiba, Reghaïa, la pétrochimie de Skikda, l'électrotechnique de Oued Aïssi et Télagh, le motorisme agricole et engins de travaux publics de Constantine, les polymères de Sétif et de Chlef. L'industrie cinématographique récoltait ses premiers fruits, elle entrait dans la cour des grands via Cannes. M.-L. Hamina arrachait une palme d'or par sa « Chronique », laissant l'ancien occupant sur « les braises ». Le « Vent des Aurès », « l'Opium et le bâton », « le Charbonnier », « Patrouille à l'Est », « la Voix », le feuilleton télévisuel « la Grande Maison » resteront à jamais les grandes oeuvres picturales d'une Nation en gestation. L'université algérienne naissante jetait ses bases scientifiques, technologiques et islamiques à Bab-Ezzouar, Es-Sénia et à Constantine. Les jeunes étudiants étaient envoyés aux quatre coins de la planète. Le jeune encadrement algérien à qui il lui était reconnu un caractère retors de négociateur, bénéficiait de formations de haute facture. L'avion Algérie était sur le tarmac, il prenait la piste du décollage économique. Que s'est-il passé dans la cabine de pilotage ? Au lendemain de notre victoire sur les Teutons à Gijon... une multitude d'entre nous s'est réveillée en sursaut ! Si le rêve était permis, l'espoir l'est encore aujourd'hui... il suffit de le nourrir !


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