Algérie

Quand le destin des malades est entre les mains des agences de voyages


Que cela se fasse par choix ou par contrainte, le tourisme médical est en plein boom en Algérie.Les destinations, qui étaient jusque-là méconnues en matière de soins, deviennent en un laps de temps très court privilégiées : la Turquie, la Jordanie et d'autres pays, deviennent attractifs ! Si le choix de ces pays peut être expliqué par les procédés de communication multimédias utilisés par ces pays concernant le tourisme du bien-être et les soins de confort, le choix pour les soins vitaux demeure énigmatique aux yeux des professionnels de la santé, qui mettent en garde quant aux conséquences des choix des pays, des cliniques, et surtout des engagements que les patients dans la plupart des cas signent sans lire intégralement le document paraphé.
Bien qu'ils reconnaissent l'absence de certains services, tels que la greffe du foie ou la transplantation de rein en Algérie, les professionnels de la santé avertissent contre l'impact du recours aux soins à l'étranger, notamment lorsque les procédures ne passent pas par le canal officiel. «Il faut lire attentivement tout ce qui est écrit en bas de la page, en petits caractères et au verso de la page avant de signer les documents qu'on donne au niveau des cliniques privées à l'étranger.
Ces documents servent généralement à préserver plus les droits de ces cliniques que ceux du patient», met en garde le docteur Mohamed Laïfa, président de la Fondation algérienne de recherche médicale. Ce dernier estime que dans la majorité des cas, les patients qui recourent aux soins à l'étranger n'ont pas suffisamment de recul s'agissant du risque qu'ils encourent.
Pour le volet paiement, ce médecin avertit également, du fait que les factures des soins dans ces cliniques ne sont pas arrêtées d'avance. «Lorsqu'on vous propose 2000 euros pour une intervention chirurgicale, cela veut dire que le coût de cet acte médical est à partir de 2000 euros, car les réactions post-opératoires diffèrent d'une personne à une autre, les complications aussi. La prise en charge de ces dernières, comme la prolongation du délai de l'hospitalisation, sont à la charge du patient», explique le praticien, notant que tout cela n'est généralement pas expliqué d'avance aux patients.
Qui est censé orienter un patient vers les hôpitaux ou les cliniques privées à l'étranger '
«C'est un ami, médecin de formation, qui m'a orienté vers la Tunisie pour la prise en charge de mon fils qui n'avait alors que 8 mois», témoigne Hakim, un père de famille ayant vécu une expérience très satisfaisante au niveau d'une clinique privée en Tunisie. La solution proposée par les médecins en Algérie (secteurs privé et public) ne l'a pas tellement convaincu. Alors que son enfant souffrait d'une maladie congénitale, «dilatation pyélique», les médecins lui ont proposé de mettre l'enfant sous antibiotiques à chaque fois qu'une infection urinaire se manifeste.
Ce dur rituel devait durer jusque à l'âge de 4 ans, pour que l'enfant subisse une intervention chirurgicale. Une intervention que les médecins algériens ont refusé de pratiquer avant l'âge de 4 ou 5 ans. C'est cette perplexité qui a amené Hakim à aller explorer d'autres horizons pour soigner son fils et apporter une certaine sérénité à toute la famille. «Je voulais aller en France, mais comme mon fis n'avait pas de visa à cette époque (en 2016), j'ai opté pour la Tunisie», raconte-t-il. Hakim s'envole alors vers la Tunisie, prenant le dossier de son fils en main et cherchant une structure de santé qui accepte enfin de prendre en charge le cas de son enfant. «J'ai trouvé une clinique privée qui a pris en charge à la fois les examens et les radios pour une somme de 1500 euros. Cette clinique n'a même pas exigé de signer une décharge.
En plus, on m'a orienté vers une agence qui a pris en charge le séjour de ma famille», relate ce père de famille. L'accueil et l'orientation sont déjà un début de soulagement pour la famille. «Nous n'avons pas senti de stress, on dirait qu'on est partis pour du tourisme.
En Algérie, on nous ballottait d'un service à un autre et d'un centre de radiologie à un autre sans avoir le moindre droit à une explication convaincante», regrette Hakim.
Après avoir subi une intervention chirurgicale «mon fils est guéri complètement de ses souffrances, comme le démontre la dernière radio qu'il a subie à Marseille, à présent on n'est pas sous l'emprise des antibiotiques, comme l'ont indiqué les médecins ici (en Algérie ndlr)», se félicite-t-il. Si notre interlocuteur s'est aventuré seul à la recherche d'une clinique à l'étranger qui prend en charge son fils, des milliers d'Algériens passent par les agences de voyages pour accéder aux soins à l'étranger, que cela relève des soins de confort ou vitaux.
Questionné à ce sujet, le secrétaire général des agences de voyages, Nadjah Boudjelloua, assure que le tourisme médical échappe aux agences, dans la mesure où ces dernières n'interviennent que dans l'organisation du séjour.
Sauf que lorsqu'on des agences affichent ouvertement sur les réseaux sociaux et les sites commerciaux, tels que Oued Kniss, leur implication dans l'organisation des séjours médicaux et l'orientation des patients algériens vers l'étranger, notamment le choix des cliniques et des destinations. Une agence que nous avons contactée propose à ses clients des soins en ophtalmologie dans des cliniques en Espagne. Elle traite directement avec trois cliniques : deux à Barcelone et une à Alicante.
La procédure est simple : le patient remet le compte rendu du médecin et son passeport à cette agence qui s'occupera du reste. Une fois le choix de la clinique fait et que cette dernière donne son aval pour la prise en charge, le responsable de cette agence communique au client le tarif de l'intervention. Nous avons demandé le tarif concernant la cataracte, notre interlocuteur estime que tout dépend du cas. C'est après l'étude du dossier que la clinique fixe le prix. Devant notre insistance, notre interlocuteur avance la somme de 500 euros pour un séjour de trois jours dans ces cliniques.
A la question sur les changements des tarifs, notre interlocuteur répond : «Ce sont des cliniques européennes professionnelles.» Citant le cas d'un patient atteint de cataracte, originaire de Batna, ayant subi avec succès une intervention chirurgicale en Espagne. Questionné quant à une possibilité de subir cette intervention en Tunisie, notre interlocuteur nous a conseillé d'éviter les cliniques tunisiennes. «Je vous conseille de ne pas aller en Tunisie, le cas dont je vous ai parlé (cas de Batna), a eu des complications, en raison des soins en Tunisie, il est devenu presque aveugle», avertit-il.
La deuxième agence que nous avons contactée en me faisant passer pour une patiente cherchant une prise en charge pour la procréation assistée (FIV), travaille essentiellement avec des cliniques tunisiennes et turques. Cette agence refuse carrément de se prononcer sur les tarifs appliqués en matière de prise en charge médicale. «Il faut qu'on voie d'abord votre dossier pour savoir combien vous coûte la Fiv», répond une dame qui refuse de donner d'autres détails sur les modalités de prise en charge.
En ce qui concerne le choix de la clinique et du pays notre interlocutrice affirme que c'est l'agence qui décide de l'orientation du malade vers Istanbul ou Tunis.
Quand les soins deviennent des produits commerciaux
Les malades algériens ne sont pas exposés uniquement à la surenchère des agences de voyages locales, mais aussi à l'emprise des agences étrangères spécialisées dans le tourisme médical qui, par le biais des flashs publicitaires tentent de capter les clients.
C'est le cas de cette agence tunisienne qui diffuse des spots publicitaires sur deux chaînes de télévision privées en Algérie. Et cela bien que les professionnels de la santé en Algérie jugent cette pratique anti-déontologique. «Nous n'avons pas le droit de faire de la publicité pour les actes médicaux», tranche Mohamed Laïfa, diabétologue.
En matière de statistiques, nous avons pris attache avec cette agence tunisienne pour évaluer l'effet de cette pub, vainement. Idem pour l'Office tunisien du tourisme, qui n'a pas daigné répondre à notre demande d'interview, notamment pour le nombre d'Algériens qui choisissent la destination tunisienne pour des soins.
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