Algérie

Quand la rue prend la parole



Il a suffi d’une simple augmentation des prix des produits de large consommation pour que le pays plonge dans les ténèbres des émeutes. Les nombreux experts qui ont analysé cette crise, à travers la presse surtout, ont affirmé que les récents événements qui ont secoué tout le pays ne sont pas dus à une augmentation des prix mais à un malaise plus profond, un malaise social. En effet, cette crise a été commentée, dans la majorité des cas, selon des idéologies différentes : celle du pouvoir, de l’opposition et des citoyens. Mais le plus important, ce sont les leçons tirées de ces événements : a-t-on pris des mesures pour que le pays évite, à l’avenir, de telles situations ' Peut-on interpréter ces événements comme étant un échec d’une politique économique qui s’est répercuté négativement sur la population ' Le malaise social La majorité de la société algérienne est pauvre. Les seuls qui parviennent à joindre les deux bouts sont les conducteurs de la locomotive et ceux qui ont un proche en Europe. Il suffit de se déplacer aux différentes ambassades européennes à Alger pour constater le désir des Algériens de partir à cause de la malvie qu’ils subissent chez eux. Il suffit de voir le nombre de harraga qui fuient chaque jour pour être renseigné sur la souffrance des jeunes qui risquent leur vie en mer pour réaliser leurs rêves occultés chez eux. Il suffit de voir les jeunes qui s’entassent dans les cafés et qui moisissent en s’adossant aux murs pour constater le vrai taux de chômage en Algérie. L’augmentation des prix des produits n’est que la goutte qui a fait déborder le vase des malheurs et qui a ouvert la boîte de Pandore. D’abord, ceux qui sont sortis dans la rue sont âgés entre 17 et 30 ans : ce qui témoigne que ce ne sont pas des pères de famille pour s’inquiéter de l’augmentation des prix. En effet, ces émeutes sont l’œuvre de jeunes qui ont soif de liberté, de travail et d’une vie décente. C’est une erreur grave que de les traiter de voyous ou de manipulés ; ce sont des jeunes qui ne demandent que leurs droits les plus élémentaires. Le phénomène de l’immigration clandestine (harraga) est un autre fléau qui témoigne du malaise que vit la classe juvénile. Un jeune qui vit décemment ne pourra jamais risquer sa vie en mer pour aller vers l’inconnu. Nous sommes arrivés à un stade où des Algériens préfèrent mourir en mer que de vivre dans leur pays, cette Algérie irriguée par le sang d’un million et demi de martyrs. C’est un signe d’échec et de décadence sociaux. C’est un phénomène qui appelle à un débat national. Ce n’est pas une solution que de les emprisonner. Cela accroît leur haine et les motive à refaire l’acte. Une mauvaise politique économique ' Pour certains, les émeutiers sont «manipulés», pour d’autres, c’est le signe de la défiance de la population envers le pouvoir ; pour les émeutiers, c’est pour un désir profond de changement. Tous les Algériens savent que nous sommes dépendants des hydrocarbures pour survivre. Ceci est un mauvais signe : il renseigne sur l’absence d’économie locale hors hydrocarbures. Pour surmonter cette crise, on doit investir cet argent du pétrole, non le consacrer à l’importation de produits alimentaires. L’importation massive de produits alimentaires révèle notre dépendance des autres et que nous n’avons pas d’autosuffisance alimentaire. Mais aussi que nous avons une économie très faible. Les seuls secteurs où on investit sont les autoroutes et le bâtiment. Ces secteurs sont importants, mais l’agriculture et l’industrie priment pour le besoin de faire marcher l’économie nationale et permettent d’arriver à l’autosuffisance alimentaire, chose qui va diminuer le coût des importations. «Trop de dépenses en infrastructures et très peu pour le développement de l’économie productive et la modernisation institutionnelle, créatrice de richesses et d’emplois»(1). Les secteurs du bâtiment et des autoroutes créent des emplois «provisoires», non des emplois durables. Un citoyen ne regarde pas s’il met une heure de Tlemcen à Constantine, mais il s’inquiète de parvenir à faire nourrir sa famille. Lorsqu’un Algérien vit avec 1500 DA par mois et que d’autres vivent avec trente fois plus, cela témoigne d’un déséquilibre social qui génère une crise sans précédent. Lorsqu’un Algérien consacre la moitié de son salaire à la nourriture, c’est une preuve qu’il ne vit pas mais qu’il survit : «Nous connaissons une terrible fracture sociale et une incompréhension totale entre les gouvernants et les couches les plus vives de ce pays»(2). La liberté d’expression est nécessaire Dans tous les pays démocratiques du monde, la liberté d’expression est reconnue par la Constitution. Lorsqu’un citoyen dit ce qu’il pense sans entrave ni empêchement, la démocratie prospère et triomphe. La Tunisie vient de donner une leçon de démocratie à toutes les tyrannies du monde. Ce pays est bâillonné depuis des années par un régime despotique.
La soif de liberté (liberté d’expression) est plus profonde que n’importe quel malaise. Un lion auquel on ouvre la porte de sa cage, même si on lui donne des tonnes de viande, cherche la fuite ; pour la liberté on peut tout sacrifier. L’interdiction de marches et autres rassemblements est la preuve que la liberté d’expression se rétrécit. L’absence de télévisions et de radios privées est l’indice que nous sommes très loin d’une réelle liberté d’expression. La mauvaise gestion des ressources du pays est la cause principale du malaise social. Il est paradoxal qu’un pays aussi riche ait une population très pauvre. Une importante population de jeunes, des réserves colossales en devises, une terre fertile, il ne manque qu’une volonté de changement et une compétence de gestion qui sont restées, malheureusement, longtemps absentes.
  Notes de renvoi : 1)  A. Lamiri, entretien au journal Liberté du 9 janvier 2011.
2)  Idem
 


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