Algérie

Quand la rente pétrolière sert à acheter la paix sociale



Bien que les raisons à  la base du soulèvement populaire dans ce pays ne sont pas uniquement d'ordre économiques, beaucoup d'économistes estiment que le système sur lequel a été bâti l'économie tunisienne — présentée souvent comme un modèle de réussite — n'a pas su se mettre au diapason des besoins de la population. Le même constat est fait dans le cas algérien où les émeutes ont été éteintes au bout de 5 jours, avec cependant quelques éléments de différence qui permettent au gouvernement d'avoir une marge de manœuvre que son homologue tunisien n'avait pas. Mais quand on parle de modèle de réussite, il faut le considérer avec une certaine «réserve», estime Lahcen Achy,  économiste marocain et chercheur à  l'institut Carnegie du Moyen-Orient, dans un entretien accordé à  El Watan Economie. Il y a certains aspects qui peuvent àªtre considérés comme tels parce que la Tunisie y a beaucoup mieux réussi que ses voisins du Maghreb et d'autres pays arabes «comme l'éducation et l'enseignement ou encore l'émancipation de la femme». Sur le plan de la croissance économique, «la Tunisie avait des taux supérieurs à  l'Algérie, au Maroc et aux pays du Moyen-Orient. Mais sur le plan politique, c'est un modèle qui bridait la liberté de la presse et l'opposition politique», explique-t-il. Cette situation a été jusque-là tolérée par la population car elle «pensait que cela était transitoire et que la priorité allait à  la formation et à  l'accès à  l'emploi». Malheureusement, «ces dernières années, la population ne voyait plus les effets de la croissance, il n'y avait pas d'emploi parce que les ressources du pays sont confisquées par une minorité et il n'y avait pas non plus de démocratie. En revanche, il y avait plus de corruption et les investisseurs locaux et étrangers se faisaient rackettés», ajoute M. Achy. Les handicaps de l'emploi et de la dépendance Si le modèle tunisien a montré ses limites, c'est parce que dans ce pays «la croissance a été bâtie sur certains secteurs qui exigent une qualification moyenne ou faible, comme l'habillement, le textile, le tourisme..., mais avec les nouveaux diplômes qui arrivent chaque année, il y avait de plus en plus d'inadéquation entre les besoins d'emploi et ceux qui ces nouveaux venus sur le marché du travail», nous explique le chercheur.Dans une récente analyse consacrée à  la Tunisie, la Banque mondiale relevait que «le taux de chômage reste élevé, aux alentours de 14 % et étant donné la rapidité avec laquelle les jeunes diplômés entraient sur le marché du travail, il est apparu évident que le pays avait besoin d'améliorer l'efficacité et la compétitivité de son économie s'il ne voulait pas subir une grave détérioration de la situation de l'emploi». La marge de manœuvre algérienne Mais l'emploi n'est pas le seul problème de l'économie tunisienne. Selon M. Achy, il y a aussi «une dépendance forte de la Tunisie vis-à-vis de l'Europe et avec la crise, cela affecte directement les performances économique tunisiennes. C'est notamment le cas pour le tourisme ou le textile». Bien qu'elles aient éclaté quasiment au même moment qu'en Tunisie, les émeutes en Algérie ont été plus rapidement canalisées et leur effet limité. Il faut dire aussi que les revendications n'étaient pas les mêmes. Pour ce chercheur, «l'Algérie présente déjà une différence sur le plan économique. Elle est riche en ressources naturelles et beaucoup d'argent est brassé grâce aux hydrocarbures». Cela rend «l'enjeu plus important et il est donc plus difficile pour changer le régime». Par ailleurs, «les Algériens ont encore en mémoire ce qui s'est passé dans les années 1990, ce qui suscite la crainte de retourner dans l'anarchie, sans oublier qu'il y a en Algérie une alliance entre le régime et les militaires, alors que Ben Ali n'a pas été soutenu par l'armée». Selon M. Achy, «il est donc difficile de voir une mobilisation pacifique sur des demandes sociales claires en Algérie et à  court terme, je ne vois pas d'effets domino». Le risque de contagion est aussi limité, selon notre interlocuteur, parce que le gouvernement algérien dispose d'une marge de manœuvre que la Tunisie n'a pas, à  savoir la rente pétrolière. «C'est sûr» que cette rente permet d'acheter la paix sociale et «c'est pareil dans les pays pétroliers du Golfe ou en Libye», dit-il. Mais le problème de l'Algérie «c'est plutôt la gestion des ressources, car il y a un sentiment de gaspillage qui fait monter la colère de la population». Dans une étude intitulée «Algérie : les illusions de la richesse pétrolière», Luis Martinez, directeur de recherche au Centre d'études et de recherches internationales Sciences Politiques (France) a souligné que «les revenus du troisième choc pétrolier ont servi à  financer à  la fois le retour à  la paix civile et l'achat de la paix sociale», relevant que «depuis 2003, le gouvernement algérien consacre 50 % de la fiscalité pétrolière en transferts sociaux, soit environ 13% du PIB». Perspectives diverses Si elles ont en commun la propagation de la corruption et les détournements des ressources du pays par une minorité, l'Algérie et la Tunisie ont cependant à  la base un choix d'orientations économiques différents, d'après M. Achy
«La Tunisie a fait un choix de libéralisation, d'économie de marché, mais ce n'est pas cela qui a créé des problèmes, c'est le fait qu'il y ait une minorité qui a profité de l'ouverture pour confisquer les ressources publiques», explique-t-il. De l'autre côté, «l'Algérie ne s'est jamais déterminée par rapport à  ses orientations économiques. Il y a une absence de cohérence dans les politiques économiques qu'il faut revoir, en plus des politiques sociales pour assurer une meilleure gestion des ressources». Pour la Tunisie, les perspectives à  court terme seront «difficiles, car le pays est dans une période transitoire», estime M. Achy. En revanche, pour l'avenir, notre interlocuteur dit ne pas àªtre «inquiet» car, dit-il,  «si la transition démocratique est réussie et si on arrive à  combattre la corruption et l'opacité qui sont les maux qui freinent la croissance, il y aura retour de l'investissement et du tourisme».
En tout état de cause, la crise tunisienne a eu le mérite de relativiser tout ce qui est dit dans les rapports internationaux. M. Achy estime que «la Tunisie sur le plan des relations étrangères est un modèle de lutte contre l'islamisme, c'est pour cela que des pays comme les Etats- Unis n'ont jamais voulu affaiblir ce qu'ils considèrent comme un allié dans ce domaine, et c'est pour cela qu'on le présentait comme un Etat moderne, modèle de réussite, etc.»Â Â            
 


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