La guerre a toujours «fasciné» les cinéastes, les hommes de Lettres, les dramaturges et les plasticiens. Le sujet ne sera jamais épuisé tant que les humains se livreront à cet art de la bêtise pour «savourer» la victoire et «célébrer» la violence. Les Epagnols ont souffert de la guerre civile, comme l’Europe de «la guerre mondiale». A sa manière, le cinéaste Agusti Villaronga est revenu sur le mal profond de la guerre sans la montrer. Sa fiction, Pain noir («Pa negré» en catalan), projetée mardi soir à la salle Cosmos à Alger à la faveur des Journées du film méditerranéen, concentre toute la magie du septième art.
Le drame d’une famille exprime celui d’une nation tourmentée, le tout raconté à travers le regard d’un enfant. Un enfant qui ne se suffit pas de la réalité crue, mais fait appel à l’imagination et fait voyager ses yeux dans tous les sens. Pain noir commence comme un fiction d’épouvante : un homme traînant une charrette est attaqué en pleine forêt par un tueur portant une capuche cachant le visage. Plus loin, l’agresseur fait basculer la charrette avec l’homme assassiné et son fils encore en vie dans le vide. Quand le village voisin découvre l’horreur, tous les démons ressortent du grenier. Andreu (Francesc Colomer), le garçon qui informe les villageois, veut lui aussi comprendre ce qui se passe. Petit à petit, il se rend compte que son père était un «rojo» (rouge) qui n’aime pas l’ordre établi après la guerre civile. «Les rouges» étaient les républicains espagnols, regroupant des militants gauchistes et anarchistes, qui s’étaient opposés aux nationalistes fascistes dans les années 1930.
Les républicains avaient échoué dans leur guerre permettant à Francisco Franco d’instaurer une dictature qui a étouffé l’Espagne pendant 36 ans. Franco avait été aidé par l’Eglise catholique qui n’avait pas hésité à s’allier avec la bourgeoisie. Cela est largement évoqué dans la fiction de Agusti Villaronga (inspiré d’un roman d’Emili Teixidor) à travers la haine qu’a le père d’Andreux (Roger Casamajor) pour les curés. Le commissaire (Sergi Lopez) symbolise aussi dans ce film la persécution contre les républicains menée par la Guardia civile durant les années 1940. Le commissaire fera tout pour trouver le père d’Andreu et le faire condamner pour le meurtre de l’homme à la charrette grâce à une justice aux ordres.
L’Eglise refuse de faire la prière après l’exécution du militant républicain. «Vous n’êtes qu’un paquet de 120 kg de graisse», lance la mère d’Andreu à l’adresse du curé du village, obèse et arrogant. Dans cet univers intrigant, Andreu, qui se rend compte à peine de la misère qui l’entoure, s’adonne à des jeux avec sa cousine, une précoce qui connaît déjà les vices de la vie, mais ne cesse de chercher la vérité. Il a cru pour un temps au discours de son père d’après lequel le danger de la guerre n’est pas la perte de la vie ou la peur, mais l’évaporation des idéaux. A l’école, un enseignant alcoolique ami des riches lui enseigne que «l’Histoire est écrite par les vainqueurs» et que «les perdants n’ont pas droit à la vie».
Le régime franquiste ne s’était pas contenté de la complicité de l’Eglise, mais avait embrigadé l’école aussi. Un jeune tuberculeux, affamé et vivant chez des moines qui n’hésitent pas à l’exploiter, devient l’ami d’Andreu. C’est presque la seule personne à qui le gamin fait confiance. Cela est-il dû au fait qu’il sait qu’il est condamné ' Mais le jeune malade, tout le temps habillé en blanc, parfois dénudé, ressemble déjà à un personnage imaginaire que l’esprit fertile de l’enfant conçoit. Un autre monde est-il possible ' Agusti Villaronga n’a pas suivi l’histoire dans une linéarité qui aurait pu aboutir à un règlement de compte du franquisme. Non, le cinéaste a choisi une autre voie pour dire tout le dégoût qu’il a de la guerre et des traumatismes qu’elle provoque. Il a puisé dans deux autres romans d’Emili Teixidor pour élaborer un scénario écrit à Cuba.
On peut y trouver une ressemblance assez vague avec le long métrage de Guillermo del Toro, Labyrinthe de Pan. Les images presque dessinées à la main d’Antonio Riestra et la musique philosophique de José Manuel Pagan ont soutenu la quête artistique d’un cinéaste qui a voulu, au-delà de la forme académique, dénoncer aussi la crise morale d’une Espagne malade de ses paradoxes. «J’avais hésité avant de faire ce film, car il y a beaucoup de longs métrages sur la guerre civile espagnole. Mais après avoir lu les autres livres d’Emili Teixidor, j’ai décidé de me lancer dans le projet», a expliqué Agusti Villaronga, lors du débat qui a suivi la projection du film. Il a revendiqué une part du fantastique dans le long métrage sans que cela soit le plat de résistance, comme il a reconnu que Pain noir ne peut pas avoir une seule piste de lecture.
Oui, cette fiction qui a bouleversé l’Espagne et qui invite à la réflexion est un magma d’idées, de sensations, de poésies, et d’humanisme. Le cinéaste a réussi aussi à imposer que dans cette histoire multiple il y a toujours quelque chose de caché, de non dit… Toutes les vérités sont finalement relatives. «Dès le début du film, il y a une castration. Après, c’est une spirale de violences. A Los Angeles, le public m’a confié être choqué par la scène de la charrette et le cheval qui tombent dans le ravin et par celle de la cousine d’Andeu qui lui demande de poser sa main sur elle. Or, parfois, il faut bien montrer la violence à l’écran, dire ce qu’elle est», a ajouté le cinéaste. Agusti Villaronga, 59 ans, a réalisé d’autres films à succès comme L’enfant de la lune, Prison de cristal et La mer.
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Posté Le : 05/04/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : Fayçal Métaoui
Source : www.elwatan.com