Algérie

Quand la colère donne du génie



Installé à même le trottoir, le dos contre le rideau métallique de ce magasin fermé des hauteurs de la rue Didouche, le sexagénaire avait tout l'attirail des mendiants ordinaires dont pullule Alger en temps normal. Mais vendredi, Alger n'était pas en temps «normal» et beaucoup parmi les manifestants qui affluaient vers la place Audin dans d'interminables processions pouvaient lui jeter un regard curieux, hésitant entre la tentation du geste humain et la déception de voir ainsi un compatriote qui, à première vue, n'a pas perdu le sens des «affaires». Difficile, en effet, d'y voir autre chose qu'un vieux roublard en train de profiter d'un moment qui incite naturellement à la générosité. Seuls ceux qui ont voulu lui donner une pièce seront édifiés sur le fin fond de l'histoire. L'homme éclatait d'un rire bruyant et sincère chaque fois que quelqu'un mettait la main à la poche et expliquait : non, je ne veux pas de votre argent, Dieu merci, je ne manque de rien, je veux seulement donner un coup de main au? pouvoir, qui mendie un mini-mandat présidentiel ! Le génie populaire à l'état pur.A un autre endroit, un jeune homme sur une chaise roulante se fait pousser par un autre. Celui-là, il ne jouait aucune mise en scène.Tétraplégique, il doit vivre au quotidien la détresse des milliers de handicapés algériens sans travail, sans dispositif de solidarité sociale et sans commodités qui puissent atténuer leurs faiblesses physiques. Mais aujourd'hui, le jeune homme a oublié tout ça. Il tenait une petite pancarte sur laquelle on pouvait lire : aujourd'hui, je marche ! Emouvant d'inspiration.
Une autre pancarte, portée celle-là par un homme fier et déterminé. Il y était écrit ceci, cité de mémoire : «Je suis délégué par ma femme assassinée par les terroristes afin de marcher pour les droits des femmes et dégager le système.» Vendredi, nous étions aussi le 8 mars mais les femmes n'ont pas attendu cette journée pour être au c?ur de la révolte populaire. Dans la foulée, elles n'ont pas oublié celles d'entre elles mortes en martyres de la République. Tout un programme.
Est-ce qu'on peut éconduire quelqu'un d'une marche en alliant le «dégage» de la fermeté et de la détermination à l'attitude paisible et presque courtoise ' On n'en a pas souvenir dans l'histoire des contestations populaires et pourtant, les jeunes qui ont «invité» M. Ali Ghediri à quitter les lieux l'ont fait. Désormais, il doit choisir entre la contestation et le maintien de sa candidature, surtout maintenant qu'il est lâché par ses soutiens majeurs, dont le plus emblématique est son directeur de campagne. On ne sait pas ce qu'il va faire mais on sait que la rue appartient à ceux qui la choisissent.
Parmi ces images éparses de colère tranquille et inspirée, cette phrase lancée à la volée par l'ami Mehdi Boucharef, pour conclure : «Merci Bouteflika, tu m'as fait rencontrer des amis que je n'ai pas vus depuis trente ans !»
S. L.


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