Un chauffeur de taxi, versant dans la sociologie à force de discuter avec
ses clients, nous confie «tout le monde se plaint de la hausse du coût de la
vie. Aussi bien la ménagère que le jeune homme fraîchement marié». Interrogé
sur le budget qu'il lui faut pour avoir une vie décente, il dira «un minimum de
soixante mille dinars par mois». Mais il tiendra à expliquer que ce chiffre
n'exprime rien en fait, «puisqu'il est impossible de budgétiser à cause des
imprévus. Une maladie des enfants peut entraîner un trou dans le budget
familial ». Ce constat de l'impossibilité de gérer le budget familial
rationnellement, nous le retrouverons chez plusieurs de nos interlocuteurs, y
compris certains universitaires. Tout le monde s'accorde pour dire que le
marché, aussi bien des produits que des services, connaît des fluctuations
imprévisibles qui ne répondent à aucune logique. Sauf à celle de la spéculation.
Donc, il est vain de vouloir planifier, nous dit-on. Dans ce sens, une dame
nous dira «il y a une semaine, la tomate était cédée à 120 DA et aujourd'hui
elle est à 80 DA». Abondant dans le même sens, un chef de famille expliquera
qu'en dehors du prix de la baguette de pain, les prix des autres denrées
alimentaires changent d'un jour à l'autre, d'un endroit à un autre et même
d'une épicerie à une autre dans le même périmètre urbain. Ramassant ces propos,
un économiste fera le constat suivant : à cause de la grande anarchie dans le
circuit de distribution des produits, de la prolifération des intermédiaires et
de l'absence d'une autorité de régulation, il est vain de vouloir établir des
études sur le coût de la vie. Pour lui, tant qu'il n'y a pas une bourse des
produits qui doit servir de plateforme de rencontre de l'offre et de la demande,
on ne peut que spéculer.
Commentant la volonté de ramener le SNMG (salaire national minimum
général) à 18.000 DA, que compte négocier l'UGTA lors
de la tripartite, un syndicaliste du Snapap nous dira
«en 2008, nous avons publié et diffusé un prospectus réclamant un salaire
minimum de 40.000 DA». Et d'ajouter «nous avons établi ce chiffre sur la base
d'une enquête du terrain calculant les prix réels que débourse la ménagère». Soulignons
que Louisa Hanoune, lors de
son passage vendredi dernier à Oran, a réclamé un salaire de 35.000 DA. Toujours
sur ce plan des chiffres, un cadre de l'ONS nous a
affirmé que son organisme charge des enquêteurs pour relever les prix pratiqués
notamment au niveau du marché de la
Bastille à Oran. Pour lui, pour une famille de cinq personnes,
il faut un budget mensuel de 28.000 DA pour pouvoir subvenir à ses besoins. Mais
le calcul de l'ONS est établi sur la base des «prix
officiels», héritage de l'ère de l'économie administrée. Or, note notre
interlocuteur, l'Etat se trouve dans l'incapacité de contrôler ce qui se passe
sur les marchés. Pour preuve, il avance les écueils et difficultés pratiques
que rencontre l'enquête économique engagée par son organisme. Un autre
universitaire remarquera que la définition des termes «besoins fondamentaux»
pose sérieusement problème. Et d'expliquer que les sorties, les différents
produits culturels sont devenus une nécessité incontournable de nos jours, à
cause du stress quotidien caractérisant nos villes. Il s'interrogera «est-ce
que les statistiques se rapportant au coût de la vie prennent en charge ce type
de dépenses ?». Se référant à une statistique avancée par une source
internationale, plaçant l'Algérie, avec 49 millions de baguettes par jour, comme
le premier pays au monde au niveau de la consommation du pain, un autre
économiste nous dira «nous n'avons pas un modèle de consommation type pour
pouvoir appréhender des questions relatives au coût réel de la vie». Les
ménagères «improvisent» pour pouvoir nourrir leurs enfants. Abondant dans ce
sens, un épicier se contentera de faire remarquer que le pouvoir d'achat des
familles est érodé de jour en jour. «Les gens achètent 250 g de sucre, deux Å“ufs et
deux portions de fromage. Ce qui était impensable il y a quelques années».
Pratiquement, tous ceux que nous avons approchés s'accordent pour dire
que l'Algérie demeure un pays pré-statistiques. Ce
qui rend impossible, ou au moins difficile, d'établir des projections ou des
études sur le pouvoir d'achat des Algériens. Par Algériens, ils entendent la
majorité vivant de leurs salaires. Quant à ceux qui dépensent sans regarder, on
se contente de les affubler par le terme «el besnassa».
Posté Le : 27/09/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ziad Salah
Source : www.lequotidien-oran.com