L'Egypte a
plongé. Mais la grande épreuve ne commencera que lorsque viendra l'heure de
remonter la pente.
Le résultat était
attendu, mais pas dans ces proportions. Entre les Frères musulmans et les Salafistes du parti Ennour, les
islamistes égyptiens ont remporté les trois quarts des sièges mis en jeu lors
des législatives en Egypte.
C'est un donc un
véritable raz-de-marée qui a emporté le pays du Nil, dans une aventure qui a commencé
dans l'euphorie, et qui risque de se prolonger dans une atmosphère totalement
différente.
A eux seuls, les
Frères musulmans ont remporté 47 pour cent des sièges, contre 24 pour cent pour
les Salafistes. Des chiffres de l'ampleur de ceux
qu'avait enregistrés l'Algérie en décembre 1991, même si les islamistes
égyptiens sont dominés par des « modérés » alors que ceux du FIS étaient plutôt
emmenés par les « radicaux ».
Après ces
résultats, qui soumettent le plus grand pays arabe à un pouvoir islamiste
inédit, l'Egypte s'engage dans une double épreuve. Une première épreuve, propre
aux islamistes, qui doivent prouver leur capacité à gérer, sans entrainer le pays vers la dérive ; la seconde plus large,
impliquant toute l'Egypte, qui doit montrer qu'elle a des ressources pour
remonter la pente après un passage plus ou moins long dans le rêve islamiste.
Au sein du
courant islamiste lui-même, la confrontation sera rude. Les Frères musulmans,
qui pensent islamiser le pouvoir graduellement (tadarroudj),
se font très conciliants. Ils tiennent un discours rassurant, ouvert, pour
rassurer les détenteurs d'argent et les pays occidentaux. Ils savent que le
pays est littéralement sous perfusion, et ne peut se passe de l'aide
occidentale, notamment américaine.
Mais il faudra
aux frères musulmans faire des choix. Ils peuvent tenter de jouer l'ouverture,
en gérant de manière pragmatique. Ils doivent ménager les libéraux, les milieux
d'affaires et l'armée, qui constituent l'élite historique de l'Egypte. C'est un
chemin risqué, car ils y perdraient ce qui a fait leur force, c'est-à-dire
cette capacité de vendre du rêve.
Ils peuvent aussi
être tentés de se laisser aller à un radicalisme victimaire, pour dénoncer
pêle-mêle l'occident qui les étouffe, l'ancien système qui les empêche de
gérer, Israël qui les sabote et les libéraux qui refusent d'admettre leur
défaite. Ils peuvent aussi s'en prendre aux coptes, cheval de Troie de
l'Occident, et à l'armée, qui ne veut pas lâcher le pouvoir. Ils gagneraient
alors sur le plan interne, en s'alliant aux salafistes
d'Ennour, mais entraineraient
l'Egypte dans une spirale qui rappellerait la première décennie de l'Iran de
Khomeiny.
Cette tentation
du radicalisme n'est toutefois envisageable que dans une deuxième étape. Pour
l'heure, les islamistes égyptiens peuvent bénéficier d'un état de grâce
légitime qu'ils vont entretenir pendant quelques années encore. Ils peuvent
engager des actions simples, notamment pour limiter le poids de la corruption
dans la vie économique. Ils peuvent aussi bénéficier de l'appui financier de
certains pays du Golfe, intéressés par la réussite de cette phase du «
printemps arabe ».
Mais lorsque le
nouveau pouvoir aura épuisé ses promesses électorales, et que la rue commencera
à exiger du concret, en refusant de vivre du rêve, les islamises égyptiens
seront tentés de verser dans la surenchère pour occulter leur échec dans la
gestion du pays. Un cheminement semblable à celui du FIS qui avait promis le
paradis, avant de se casser les dents sur la gestion des communes, ce qui
l'avait amené à demander le pouvoir, tout le pouvoir et tout de suite, à partir
de la mi-1991. C'est alors que l'Egypte sera confrontée à la grande épreuve, la
plus éprouvante pour elle dans ce nouveau siècle : remonter la pente,
construire une alternative crédible, moderne, capable de maintenir les grands
équilibres du pays et de préserver la paix et la stabilité. Comme les autres
pays confrontés à la tentation islamiste, l'Egypte ne pourra alors compter que
sur ses propres forces : son armée, son élite moderniste, se classes moyennes
soucieuses de paix sociale et de jute milieu, ses courants libéraux ouverts sur
le monde, et ses rares entreprises modernes qui veulent s'accrocher à
l'économie mondiale, ses intellectuels et artistes éventuellement. Rien
n'assure que ces atouts seront suffisants. Peut-être alors faudra-t-il compter
sur un appui des pays occidentaux, soucieux de maintenir la paix dans cette
région du monde, et des pays du Golfe, qui chercheraient des débouchés pour
leur argent tout en élargissant leur zone d'influence. Mais l'apport extérieur
ne constituera, au mieux, qu'un appoint, car le gros de l'effort devra être
fourni par les Egyptiens eux-mêmes, par leurs institutions, et en premier lieu
par leur armée, qui devra, cette fois-ci, faire preuve d'une lucidité qui,
jusque-là, a largement fait défaut.
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Posté Le : 26/01/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abed Charef
Source : www.lequotidien-oran.com