Algérie

Quand l'Allemagne a peur de ses immigrés



Un an après la sortie outre-Rhin de son best-seller «L'Allemagne court à sa perte», Thilo Sarrazin continue de créer la polémique : l'ancien ministre socialiste a créé des remous en se rendant récemment dans un quartier berlinois à forte population immigrée. Retour sur un auteur qualifié de xénophobe par certains, mais qui fascine les Allemands.

Le 30 août 2010 paraissait en Allemagne un livre qui, depuis, n'en finit plus de battre les records de vente et de provoquer réactions et critiques. L'essai, souvent qualifié de pamphlet anti-immigré ou anti-musulman,[1] en est aujourd'hui à sa 18ème édition et a dépassé de loin le million d'exemplaires vendus. L'Allemagne court à sa perte est le plus gros succès de librairie depuis dix ans dans la catégorie livre politique.[2]

 Entre-temps, son auteur, Thilo Sarrazin, a accordé autant d'interviews qu'il existe de journaux ou de magazines télévisés. Cet ancien Chargé des Finances de la ville de Berlin, membre du directoire de l'éminente Banque fédérale allemande au moment de la publication, a dû démissionner de ses fonctions. Son parti politique, le SPD, parti social-démocrate, a mené pendant de longs mois une procédure d'exclusion à son encontre, finalement annulée. Quelles étaient donc les thèses avancées par Sarrazin pour déclencher un tel raz-de-marée médiatique, politique et scientifique ?

 C'est principalement la combinaison de deux thèmes qui a retenu l'attention dans cet ouvrage assez rébarbatif de plus de 400 pages, truffé de chiffres, tableaux et statistiques : déclin et immigration. Sarrazin place l'avenir de l'Allemagne sous une lumière extrêmement pessimiste ; le déclin est inéluctable, et ce, pour trois raisons liées entre elles: la démographie, la détérioration de l'intelligence et l'immigration en provenance de pays musulmans.

 La démographie : Sarrazin convoque énormément de chiffres pour rappeler un lieu commun, à savoir que l'Allemagne est en récession démographique. Le solde naturel est négatif depuis 1972, le solde démographique global l'est également depuis 2002. De plus en plus de couples restent sans enfants, principalement parmi les « Allemands de souche» et les catégories socioprofessionnelles élevées.

 C'est ici qu'intervient le second argument : le capital humain de l'Allemagne ne cesse et ne cessera de se détériorer. En effet, les couches sociales défavorisées font plus d'enfants que les autres. Or la catégorie sociale, toujours d'après Sarrazin, est fortement corrélée à l'intelligence des individus. C'est donc la part des moins intelligents qui croît le plus vite.

 Enfin, dernier argument, la politique d'immigration renforce cette tendance en ne faisant venir en Allemagne que des étrangers non qualifiés, grossissant les rangs des couches sociales défavorisées. Les immigrés musulmans posent à Sarrazin un problème particulier, n'ayant d'après lui ni la capacité ni la volonté de s'intégrer dans la société allemande.

 Sarrazin propose au fil des pages des solutions aux problèmes qu'il relève, allant des questions de scolarité à celles des aides sociales, de l'accès à la nationalité allemande, du recensement des étrangers, etc.[3]

 Un terreau populiste

Tous les ingrédients étaient réunis pour une grande polémique : un auteur sulfureux,[4] des thèses facilement réductibles, portant sur des débats récurrents des dernières années,[5] un vernis de légitimité scientifique et politique et un populisme maintenant bien rodé (peur de la perte d'identité, théories du complot, dévoilement de vérités inconfortables, xénophobie, sanctions envers les profiteurs…)

 Les réactions aux idées développées par Sarrazin ont été extrêmement vives. Une majorité de personnalités publiques, politiques, scientifiques ont condamné fermement Sarrazin, lui reprochant racisme, biologisme, eugénisme, social-darwinisme et pseudo-scientificité. Les milieux économiques se sont également montrés opposés à ses théories. Quelques voix se sont également fait entendre en sa faveur, sans que de réelles nouvelles idées émergent du débat. Angela Merkel a, elle, condamné le livre, tout en indiquant que son gouvernement tiendrait compte des difficultés soulignées, notamment en matière d'intégration. Enfin, en avril 2011 est paru un manifeste collectif d'une trentaine d'écrivains, universitaires, journalistes, enseignants, certains d'origine turque et/ou musulmane, ripostant, y compris avec humour, au livre de Sarrazin.[6]

 Les sondages d'opinion sont peut-être plus alarmants que les thèses de Sarrazin, auxquelles de nombreux contre-arguments ont été apportés : comme en France, 40 % des Allemands estiment que l'islam constitue une menace pour l'identité de leur pays ; 18 % des Allemands se déclaraient prêts à l'automne 2010 à suivre Sarrazin s'il fondait un parti. Au même moment, 39 % des électeurs CDU (droite) et 30 % des électeurs SPD (gauche) approuvaient les thèses de Sarrazin. On assiste en Allemagne de plus en plus, comme dans la plupart des pays européens, à un clivage grandissant entre élites et population, renforcé par les discours populistes de droite qui tendent à se généraliser. C'est un politicien de gauche qui, de manière révélatrice, défend précisément ces thèses populistes. Ironie du sort qui veut qu'un homme nommé Sarrazin s'en prenne aux Arabes…








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