Algérie

Quand l'Algérie a basculé (3) sortir de l'engrenage



L'Algérie a géré la crise née de l'arrêt des élections de 1991, elle n'a pas fait les choix nécessaires pour dépasser la crise.

Vingt ans après la décision d'annuler les élections du 26 décembre 1991, l'Algérie n'a toujours pas réussi à sortir de l'engrenage qui s'est déclenché alors. Toutes les décisions, toutes les politiques, tous les choix ultérieurs étaient dictés par la nécessité de consolider cette décision, de la justifier, d'en corriger les excès ou d'éviter d'en sortir. Et malgré le temps et les épreuves, l'Algérie ne semble pas encore en mesure d'échapper à ce choix fatidique, qui va peser de longues années, sur le destin du pays.

Tout s'est joué durant la dernière semaine de décembre 1991 et la première semaine 1992. Lorsqu'il s'est confirmé que le FIS a remporté les élections législatives, le président Chadli Bendjedid a, dans un premier temps, envisagé de mener le processus électoral à son terme. Les déclarations officielles et la concertation qu'il a engagée laissaient clairement entendre que c'était son choix. Puis, brusquement, la fièvre était montée dans le pays.

Dans différents cercles, l'idée de mettre fin au processus électoral s'est imposée. Dans des cercles politiques anti-intégristes, mais aussi au sein du commandement de l'armée, dominé alors par le ministre de la Défense Khaled Nezzar. Certains affirment que l'idée était antérieure aux élections, car les principaux cercles de décision, au sein du commandement de l'armée et des services de sécurité, avaient envisagé l'hypothèse d'une victoire du FIS et préparé un scénario de rechange. La confusion qui a dominé l'après élection semble toutefois, réfuter cette hypothèse.

Quoi qu'il en soit, les choses se sont accélérées, durant la première semaine de janvier, pour arriver rapidement à faire avaliser la décision d'arrêter le processus électoral aux principaux centres du pouvoir. Le président Chadli Bendjedid refuse d'accompagner le coup de force. Il choisit de démissionner. Le reste est une simple mise en forme de la décision d'arrêter les élections : comment la présenter, comment la vendre aux Algériens et aux étrangers, quelles mesures prendre pour éviter un dérapage éventuel ? Les décisions sont prises dans la précipitation. Une grande agitation s'étend dans le pays, et la suite va donner lieu à une série d'improvisations, car il s'agit de parer au plus pressé. De s'adapter au jour le jour. De naviguer à vue, en attendant des jours meilleurs.

Le choix d'une présidence collégiale, avec la formule HCE, permet de ne pas montrer du doigt un putschiste bien précis. Et quand il accepte la présidence du HCE, Mohamed Boudiaf offre un répit : voilà un historique du mouvement national, non impliqué dans la gestion, un homme sur lequel ne pèse aucun soupçon. Il est en mesure d'offrir une façade acceptable au nouveau pouvoir. Mais dans la foulée, une nouvelle dynamique se met en branle. Le FIS organise la contestation. Il faut donc tenir, en évitant une prise du pouvoir par la rue, ce que le FIS avait tenté en juin 1991. Les grands moyens sont alors utilisés : état d'urgence, arrestations massives, camps du Sud, etc.

Boudiaf, de son côté, ne veut pas se contenter des inaugurations. Il brouille les cartes, veut créer un parti pour asseoir son pouvoir, et il est décidé à interférer dans les décisions concernant l'armée. Il est dans un véritable tourbillon, avec quelques fidèles hérités du temps du PRS. Mais lui et ses proches n'ont aucune connaissance de la nouvelle Algérie. Ils n'en connaissent ni les appareils, ni les rouages, ni les hommes. Ils se laissent entraîner par la spirale des décisions sur lesquelles ils n'ont guère de prise, jusqu'à l'assassinat de Boudiaf.

Ali Kafi, qui lui succède, n'a guère de prise sur les évènements non plus. D'autant plus que le terrorisme s'étend, et que la seule préoccupation est alors de tenir, de laisser l'orage passer, avant de tenter de reconquérir le terrain. Autre symbole de cette impuissance, Liamine Zeroual, homme intègre, déterminé, mais enfermé dans une logique infernale dont il ne sortira que pour démissionner. Il a joué le rôle le plus ingrat dans la crise, mais il n'a jamais bénéficié de la moindre marge de manÅ“uvre. Même en économie, c'est sous son règne que le pays a été contraint d'aller au rééchelonnement de la dette extérieure.

La seule fenêtre qui s'est ouverte durant ces deux décennies l'a été sous Abdelaziz Bouteflika. Le pouvoir d'alors donnait l'impression de vouloir sortir de l'engrenage de janvier 1992. Il faut sortir de la crise, en explorant des voies nouvelles. Négocier avec les groupes armés, les rouler dans la farine, peu importe. Il fallait que l'intensité de la violence baisse de plusieurs crans pour que le pays puisse s'ouvrir de nouvelles perspectives. Ce fut les négociations avec l'AIS, la trêve, les lois sur la réconciliation.

Mais le pays est rapidement retourné à ses impasses. Le passé continue de planer. Les morts hantent les vivants. Les disparus pèsent encore sur le présent. La Charte de réconciliation interdit les poursuites, elle interdit même de parler de la «tragédie nationale», mais la crise s'invite régulièrement dans les débats, par le biais de l'extérieur et de ceux qui veulent une justice absolue. Les péripéties de Khaled Nezzar à l'étranger, en France et en Suisse, montrent que les responsables de la décennie 1990 risquent gros s'ils quittent le pouvoir.

Le combat des proches de disparus montre qu'il ne suffit pas de décréter une amnistie pour provoquer l'amnésie.

Entre temps, le pays patauge. Il n'arrive pas à dépasser un cap, car de 1992 à ce jour, on a géré la crise. On n'a pas fait les choix politiques nécessaires pour dépasser la crise.




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