Algérie

Quand l'Afrique subsaharienne montre la voie...



Abidjan (Côte d'Ivoire)
De notre envoyé spécial
Abidjan, capitale d'une étonnante et très dynamique Côte d'Ivoire. Au sortir de l'aéroport Félix-Houphouet-Boigny où un accueil VIP est réservé aux invités de l'Africa CEO Forum qui viennent des quatre coins du monde, le climat tropical tout en chaleur et moiteur vous prend à la gorge.
Même à 2h du matin l'atmosphère est chaude, lourde, surtout humide et, malgré les sourires XXL des belles hôtesses d'accueil, on suffoque. Premières impressions plutôt agréables.
Rues très larges et feux à tous les croisements. Les lagunes font d'Abidjan des îlots de verdure hérissés d'immeubles impressionnants aux néons blafards. Même un week-end, à 3h, les rues sont encore assez animées et la circulation est loin de se tarir.
Les grands panneaux publicitaires qui bordent les routes sont souvent les premiers éléments de renseignement du reporter. Banques, produits de large consommation, téléphonie mobile, immobilier, ils donnent une première idée assez précise de la dynamique économique du pays d'accueil.
Après un dimanche tranquille passé à récupérer des fatigues du voyage nocturne, c'est parti pour deux jours de débats, de rencontres et de discussions passionnées et passionnantes. La dernière édition de l'Africa CEO Forum est axée sur les révolutions numériques et l'effort que doivent fournir les entreprises et les gouvernements africains pour s'adapter aux changements qui les attendent.
Des panels de discussions et de workshops sont ainsi centrés sur ces nouveaux défis technologiques. Mots-clés : réussir sa transformation digitale, sa mue numérique. En filigrane, se dessine un enjeu vital pour les entreprises du continent africain et un petit chiffre peut, dès le départ, donner une idée de l'écart qui se creuse entre le vieux continent et les pays émergents. En 2016, seuls 366 millions de dollars ont été investis dans les start-up africaines. C'est dix fois moins qu'en Inde.
A l'aube d'une nouvelle ère, et comme à chaque nouvelle révolution ou nouveau changement majeur de l'humanité, il n'y a que deux choix possibles : s'adapter ou disparaître.
Il est donc beaucoup question de start-up, de nouvelles opportunités et de nouveaux terrains d'investissement offerts par les ruptures technologiques que sont la robotisation, l'intelligence artificielle, la digitalisation, les fintechs, le e-paiement et autres projets liés aux énergies renouvelables et au monde qui se renouvelle.
L'Afrique, c'est 5600 milliards de dollars d'investissement en 2025
Evidemment, l'Algérien qui débarque dans ce forum comprend tout de suite que nous sommes un peu loin du fameux modèle de la «start-up» algérienne auquel nous sommes habitués et qui consiste à vendre à crédit une camionnette chinoise à un jeune diplômé fraîchement sorti de l'université pour aller vendre des pommes de terre ou des artichauts sur le bord d'une route nationale.
D'ailleurs, dans l'Indice mondial de l'innovation 2017, l'Algérie pointe à la 108e place sur 127 pays. Et personne ne sera vraiment surpris d'apprendre que nos voisins marocain et tunisien sont largement mieux lotis en apparaissant à partir de la 70e place. L'innovation est devenue un puissant moteur de croissance, pourvoyeur d'emplois et créateur de richesses.
La délégation algérienne à ce forum compte à peine une douzaine de personnes. Pour les stands loués par les entreprises, institutions et pays pour vendre leur image, il n'y a aucun pavillon national. Pour les CEO, il y a l'incontournable Cevital qui continue sa tranquille pénétration des marchés africains, le groupe Condor qui rêve de se faire une petite place sous ces latitudes et qui y arrive tout doucement, puis NCA Rouiba un habitué de ce rendez-vous.
Il y a également Salim Agli, jeune CEO du groupe éponyme dont les biscuits commencent à se faire une petite place sur le marché ivoirien. El Kadi Ihsane, journaliste spécialisé en économie, fondateur du site Maghreb Emergent et observateur attentif des nouvelles économies africaines, se désole que Sonatrach même ne soit présente ne serait-ce qu'avec un stand.
Comparativement, la délégation d'un pays voisin compte une centaine de personnes. Il faut dire qu'un rendez-vous qui attire autant d'investisseurs ainsi que les plus grands banquiers et financiers de la planète est une occasion en or pour tous les gouvernements africains d'attirer les porteurs de projets ou de finances dans leurs pays. Même l'étonnant et tout petit Djibouti est là vantant ses ports sur la mer Rouge. La compétition est rude.
A la séance d'ouverture, Amir Ben Yahmed, de Jeune Afrique Media Group et président de l'ACF est aux côtés du président ivoirien, Alassane Ouattara, de celui du Zimbabwe, Emerson Mnangagwa, et du président du Ghana, Nana Akufo-Addo.
L'Afrique francophone et l'Afrique anglophone se parlent et se comprennent en passant aisément de l'anglais au français et vice versa. Le forum regroupe 1600 participants et 63 pays, dont 43 africains, pesant 98% du PIB africain. Selon un bureau d'études américain, d'ici 2025, ce sont 5600 milliards de dollars qu'offre l'Afrique aux investisseurs tentés de s'y rendre. Les chiffres des présents et la qualité des participants augurent déjà d'une belle réussite.
Le Maghreb, un marché de 100 millions d'habitants
Après la séance plénière et le lancement des travaux, rencontre avec Ali Haddad, président du FCE, qui marque de nouveau sa présence après avoir raté les deux dernières éditions pour des obligations professionnelles. Ali Haddad choisit de revenir sur l'attractivité des marchés africains pour les produits algériens. Il est vrai que de plus en plus d'industriels algériens tentent de poser pied en Afrique subsaharienne, mais, en off, beaucoup se plaignent du parcours du combattant que cela représente.
La bureaucratie algérienne est aussi stérilisante qu'étouffante quand elle ne pousse pas tout bonnement à l'abandon et au découragement. «Si vous demandez à une banque de vous ouvrir une ligne de crédit pour importer 100 tonnes de clous, c'est sans problème.
Mais si vous leur dites que vous avez besoin de faire sortir des devises pour ouvrir une représentation à Abidjan, Madrid ou Dakar, ils vous répondent que c'est impossible et que la législation algérienne ne le permet pas», raconte le représentant d'un grand groupe qui tient à garder l'anonymat. Hors micro, ces industriels s'épanchent longuement sur les difficultés à exporter dans un pays où, depuis des décennies, les machines de l'importation tournent à plein régime. «Voyez-vous, pour exporter nos produits au Maroc, nous devons passer par l'Espagne.
Cela n'a pas de sens !» souligne le même représentant. Le Maghreb, un marché de près de 100 millions d'habitants, reste toujours fermé aux produits maghrébins.
La région est, justement, l'objet d'études d'un workshop attractif : «Faire de l'innovation un catalyseur de l'intégration maghrébine». «En mutualisant leurs initiatives et en accélérant leurs synergies, notamment dans les secteurs de l'industrie, de la banque et de l'agrobusiness, des avancées considérables pourraient être réalisées», soulignent les concepteurs du workshop, qui entendent axer le débat sur le rôle des secteurs public et privé afin de poser les jalons nécessaires à une innovation pan-maghrébine.
Aujourd'hui, engranger de la donnée va au-delà des frontières. Ainsi, les pays du Maghreb peuvent choisir d'investir au niveau national ou régional pour les questions digitales.
Quelle relation y a-t-il entre Monsanto, Climate Corporation et les agriculteurs maghrébins ' Apparemment aucune, mais en 2006, le géant Monsanto a racheté Climate Corporation pour un milliard de dollars. Soit. Climate Corporation est un bureau d'études créé par deux anciens employés de Google qui a cartographié tous les champs des Etats-Unis avant d'enrichir ses données avec la qualité des sols et des conditions météorologiques. Un marché s'est ainsi créé : agriculture analytique et gestion des risques.
En clair : vendre de la donnée aux agriculteurs et même des services d'assurance. Si on ne se dépêche pas d'offrir ce service aux agriculteurs tunisiens, algériens ou marocains, un jour, ils vont l'acquérir auprès d'Amazon ou d'une autre plateforme web. Ce sont toutes ces révolutions qui arriveront un jour chez nous.
Engranger de la donnée va au-delà des frontières. L'innovation et la globalisation se jouent également des frontières. Autant s'y préparer. Les fintechs, le «global money» et le «digital factoring» ont pris du retard dans ces pays par rapport à une Afrique subsaharienne très en avance en matière de digitalisation.
Le taux de pénétration des smartphones est très élevé au Maghreb mais les services financiers y sont obsolètes et le niveau de bancarisation est assez faible. En Algérie, le téléphone ne sert qu'à téléphoner ou à se connecter. On ne peut pas encore acheter un billet de train ou d'avion avec son téléphone ni y avoir un portefeuille électronique. Beaucoup de révolutions restent à faire.
L'Afrique a un problème de leadership
L'intégration maghrébine se fera peut-être plus par les entreprises que par les Etats. Au workshop, le représentant de Condor souligne que les produits de leur marque sont déjà quelque part maghrébins, dans le sens où ils emploient déjà près d'une centaine d'ingénieurs tunisiens et marocains. «Nous faisons appel aux compétences maghrébines depuis longtemps déjà», souligne Réda Hamai du groupe Condor.
Un peu plus tard dans l'après-midi, est organisée une conférence de presse de l'IFC, Société financière internationale, une institution du Groupe de la Banque mondiale et l'un des porte-voix du secteur privé en Afrique. Dans son nouveau rapport pour l'année 2018, l'IFC soutient que les économies africaines sont en pleine relance et offrent des opportunités de choix aux investisseurs.
La Côte d'Ivoire, la Tanzanie, le Ghana, le Nigeria, Le Zimbabwe, le Congo et l'Ethiopie sont les nouveaux champions africains. Contrairement à sa partie nord, l'Afrique subsaharienne semble se réveiller. Exception faite du Maroc qui tire plus ou moins son épingle du jeu, les pays du Maghreb, notamment l'Algérie et la Libye, offrent l'image de cancres endormis au fond d'une classe africaine qui essaie de se secouer. Interrogé en aparté sur sa lecture des économies maghrébines, l'un des experts de l'IFC se confond en excuses en avouant sa totale ignorance des mécanismes économiques de cette région.
La séance de clôture est sous forme de discussion entre le président du Zimbabwe, Emmerson Dambudzo Mnangagwa, et l'ancien président du Nigeria, Olesung Obasanjo, autour du thème de la gouvernance, du leadership et de l'histoire. Ce dernier choisit de citer l'immense Chinua Achebe qui a dit un jour que le problème de l'Afrique, ce n'est ni l'éducation, ni l'eau, ni la santé, mais le leadership.
«Nous avons besoin de grandes institutions pas de grands hommes», dira en conclusion le sage Obasanjo, qui n'a fait que deux mandats à la tête de son pays avant de céder la place à d'autres. Pour l'Algérien présent à Abidjan, l'Afrique met en avant décidément beaucoup de leçons à ceux qui veulent bien s'en inspirer.


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