Algérie - Ain Arnat

Quand des Suisses créaient une colonie privée en Algérie



Quand des Suisses créaient une colonie privée en Algérie
Photo : Le meunier Nouridine pose devant les meules de l'époque de Henry Dunant - 1859. (Photo: Olivier Grivat)

L'Algérie est l'hôte d'honneur du Comptoir suisse à Lausanne qui ouvre ses portes vendredi. L'occasion d'évoquer l'époque où plus de cent familles vaudoises parmi les plus pauvres ont émigré à Sétif.

«L'air est pur ici, quoi qu'assez frais; à peu de chose près, il ressemble à celui de la Suisse en hiver», écrivent Charles Vulliamy et François Burnens à leurs proches restés dans le canton de Vaud. On est en 1855. Ces agriculteurs qui vivaient en Suisse «dans une position très gênée et très pénible», selon le livre de commune, ont émigré quelques années auparavant à Sétif, au cœur de l'Algérie.

Les autorités leur ont versé un subside communal de 1875 francs par famille pour emmener leurs nombreuses bouches à nourrir: sept enfants pour François Burnens, six pour Charles Vulliamy, cinq pour Georges Vulliamy. Ils ont pris souche dans le village d'Ain-Arnat dans la banlieue proche de Sétif.

Sétif, une exception suisse

Près de 150 ans plus tard, on peut repérer encore quelques maisons datant de l'époque des colons suisses. Construit par le Génie français, un temple protestant désaffecté subsiste en terres musulmanes. Sur son clocher trônent deux beaux nids de cigognes. Heureux présage?

La Suisse n'a que rarement été associée au fait colonial. Sétif est une exception notoire. A l'origine, huit personnalités suisses, dont le comte Sautter de Beauregard de la banque Lullin & Sautter, Paul-Elisée Lullin, Jacques-Marie Mirabaud, le Baron de Gingins-La Sarraz et l'ancien conseiller d'Etat genevois Jean-Antoine Fazy, créent une compagnie coloniale en Algérie avec la bénédiction de l'empereur Napoléon III.

Le décret impérial leur concède 20'000 hectares avec la possibilité d'implanter dix villages aux portes de la Kabylie. Le recrutement des colons s'effectue par un battage efficace dans le canton de Vaud. Paris leur accorde le passage maritime gratuit pendant 10 ans. Le coût maximum de chaque maison est fixé à 2'500 francs. Les colons sont tenus de déposer 2000 francs pour l'achat des bestiaux et instruments nécessaires à la mise en culture de 20 hectares remis à chaque famille.


Les appels d'Henry Dunant

Tout près de là se dressent les ruines romaines de Djemila, classées au patrimoine mondial de l'UNESCO. Un nom qui sera repris pour sa société par le Genevois Henry Dunant, arrivé à Sétif, à l'âge de 25 ans, comme employé de la colonie suisse.

Le père de la Croix-Rouge est l'auteur d'annonces parues dans le Journal de Genève pour recruter des colons, promettant une main d'œuvre arabe bon marché. Quelques années plus tard, il va construire des moulins à blé et créer la S.A. des Moulins de Mons-Djemila, près de la cité romaine.

Aujourd'hui, ses moulins sont encore opérationnels et l'on retrouve, entassées dans un coin, les meules d'époque fabriquées à Corbeil (France). Une pierre avec la date de 1859 prouve l'authenticité de ces moulins qui vont conduire «Dunant l'Africain» à la faillite.

La même année, il prendra son bâton de pèlerin pour contacter l'empereur Napoléon à Solferino, en Italie. La vision du champ de bataille donnera au futur Prix Nobel de la Paix l'idée de fonder la Croix-Rouge en 1862.

Fièvres, typhus et choléra

A cette date, les colons suisses de Sétif se comptent par centaines. Mais la désillusion guette. Dix colons rédigent une lettre collective à Monsieur le Baron de Gingins: «Il nous est absolument impossible de payer le prix des fermes. Vous nous avez promis de belles prairies et que nous trouverions du blé semé en quantité. Nous demandons d'être logés comme des Suisses non comme des Arabes. Nous ne pouvons pas tenir les bêtes dans nos logements comme eux. Nous demandons le remboursement de notre argent dans les plus brefs délais».

Les malheurs vont s'abattre sur la colonie. Les orages dévastent maisons et cultures. Une épidémie de choléra frappe en juillet 1854. A fin 1854, on déplore 100 morts sur 388 habitants.

Le général commandant la subdivision de Sétif n'est pas tendre avec les colons: «C'est une race de mœurs douces sinon d'une innocence patriarcale, mais peu énergiques, routiniers, entêtés de sa mauvaise hygiène, sans beaucoup d'ordre ni de propreté, et d'une sobriété qui laisse à désirer. Certaines maisons ont renfermé jusqu'à trois familles. C'est à cet entassement qu'on attribue une grande partie des maladies».

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Les raisons d'un échec

L'historien Claude Lützelschwab trouve une autre explication. Dans sa thèse parue en 2007, ce professeur d'histoire économique et sociale de l'Université de Neuchâtel invoque «la coexistence forcée des colons et de la population indigène dans l'agriculture (...). La seule issue possible pour les Européens, dans ces régions de hautes plaines, fut l'évolution vers l'agriculture capitaliste qui s'opéra dans les décennies 1890-1900».

En 1958, avant l'indépendance de l'Algérie, la Compagnie genevoise des colonies suisses de Sétif fit l'objet d'une expropriation du gouvernement français. Rachetées aux derniers colons, les terres furent redistribuées aux indigènes, tirant le voile sur un épisode rarissime de colonisation suisse




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