Algérie

Qu'avons-nous donc fait de nos enfants ?



Ballottés durant toute l'année aux quatre vents, les êtres suprêmes que sont les enfants ont aussi droit à un jour de fête. Sauf à vouloir se forger une réputation exécrable, chaque pays célèbre avec faste et en des termes dithyrambiques la journée internationale de l'enfant *.

Dans une société où la sociabilité se ponctue au rythme des anniversaires, l'obligation d'adhérer, chaque 1er juin, à la « messe citoyenne », n'est à manquer sous aucun prétexte. La tranquillité est à ce prix. Mais, derrière la façade de la comédie, se dissimule des réalités bien étranges. Il serait fastidieux de dresser ici une liste des perversités endurées par ces petits être fragiles et innocents, cachés dans le silence qui, très tôt, apprennent à se taire. Maltraités, violentés, astreints à de durs travaux, sans droit et sans protection sociale, dès la fleur de l'âge, ils deviennent les otages des adultes qui les font trimer dur pour quelques bouchées de pain. Evoquer la jeunesse, oblige à penser aux tout petits qui à peine les yeux ouverts sont abandonnés dans la nature. En Afrique, en Asie, en Amérique latine, en Palestine et ailleurs, premières victimes des guerres, des conflits, du terrorisme, des pandémies, de l'ignorance, de la famine et de l'analphabétisme, ils souffrent en silence. Partout le danger est latent et le devoir de protection indispensable. Malgré la présence de multiples organisations mondiales, dans chaque pays, dans chaque famille, dans chaque école, dans chaque rue, des enfants sont malheureux et risquent leur vie. La mortalité infantile reste très élevée et plus particulièrement dans les pays pauvres, où des centaines de millions d'enfants sont menacés de famine, de guerres et de maladies.

En Algérie, comme partout ailleurs, une angoisse particulière plane quand il s'agit d'enfants. Ces derniers, sans enfance, livrés à eux mêmes, embrigadés, exploités, intoxiqués, sans droits civiques, ni sociaux, ni économiques, encourent de graves dangers. Certes, des efforts très importants, en terme de budget, ont été consacrés par l'Etat dans les domaines de la scolarisation, de l'alphabétisation, de l'éducation, des allocations familiales, etc. Mais, malgré tout cela, notre jeunesse souffre de contradictions multiples, d'incohérences et de maux sociaux divers. Mais qui dit enfant, dit famille et qui dit famille, dit société civile. La violence sociétale et surtout familiale, les châtiments corporels, l'exploitation dans le travail, l'esclavage dans certains foyers et entreprises privées de jeunes et plus particulièrement de jeunes filles à peine pubères, sont très souvent la conséquence directe des divorces en hausse. Le drame des filles mères et des femmes divorcées renvoyées, sans ressources, avec leur progéniture à la rue, est aussi un facteur aggravant. Le nombre de ces SDF, qui affrontent l'enfer au quotidien avec des bébés dans les bras est un spectacle insupportable pour un pays qui est loin d'être dans le besoin. Il faut signaler enfin, l'inconscience de certains parents et éducateurs et le j'm'en foutisme des adultes qui ne sont plus tolérables.



L'enfance en point de mire



Comment, redonner de l'espoir à une jeunesse marquée à vie par les affres du terrorisme ? Comment parler d'amour et d'avenir aux bambins de l'épouvante, déracinés de leur jardin de tendresse ? Comment réapprendre à vivre à des jeunes filles martyrisées par des blessures de chair et de cÅ“ur ? Psychologues, assistantes sociales, médecins font face à de délicates missions. Les profs tiennent leur autorité de leur capacité à intéresser les élèves et les parents de leur capacité à veiller sur l'enfant, à discuter avec lui, or l'autorité parentale qui décline et le système pédagogique qui périclite font que plus personne ne veille sur les enfants. Les parents, tout comme les associations semblent avoir démissionnés devant la montée des violences et des intolérances. Les statistiques demeurent muettes alors que le nombre de démissions d'enseignants ne supportant plus le stress permanent est en croissance. Le retrait des filles de l'école, dès l'age de la puberté et des garçons en âge de travailler, prend de l'ampleur. Les citoyens semblent de plus en plus angoissés par la multiplication des incivilités et l'accroissement de l'insécurité (vols, agressions, etc.). Les contraintes de la ville et de l'espace urbain ont rendu caducs les règles sociales. C'est par centaines de milliers que ces derniers versent dans l'alcoolisme, la drogue, la prostitution, la pédophilie, la délinquance, la violence et autres vices enregistrés malgré la double protection administrative et judiciaire, ont laissé de profonds stigmates. L'inceste, la pédophilie et autres sévices ne sont que rarement dénoncés en raison de la peur du scandale. Les châtiments corporels restent enveloppés de silence.

A côté de cette jeunesse en déshérence, il nous faut également signaler l'enfance handicapée mentale ou physique, les enfants cancéreux et les enfants des couples séparés, qui errent dans les rues, livrés à eux même. Forcés à gagner quelques sous pour survivre et faire vivre parfois un père ou une mère, ces petits êtres mendient ou chapardent à longueur de journées avant de verser dans la délinquance. Cette dernière a pris ces dernières années des proportions alarmantes. L'absence de parents ou de tuteurs n'aide pas l'enfant à trouver un équilibre psychologique. La rue comme seul refuge, les bandes et les petites combines pour survivre vont accroître le déséquilibre psychique. Avec le chômage de ces dernières années et la misère qui se répandent de plus en plus, le désarroi grandit et les familles pauvres se trouvent de plus en plus marginalisées. Le nombre de suicides en hausse est la résultante logique des traumatismes physiques et mentaux qui deviennent insupportables.



Sauver l'enfant de la tourmente !



Désigner les jeunes comme facteurs d'insécurité, revient à aller un peu vite en besogne. On oublie qu'ils en sont les premières victimes, car ils sont les plus exposés aux violences. La violence est un mode d'expression d'un mal-être. Rejetés et mal-aimés, en situation d'échec ou d'abandon,en perte de confiance en lui, de reconnaissance familiale et sociale, le jeune se laisse glisser vers l'autodestruction, la conduite dangereuse d'automobile, le suicide et la harga. L'absence de repère, rend incapable la gestion de l'agressivité et les bagarres pour des futilités dégénèrent souvent en drames. Dans leur regard apparemment impassible, c'est toute la misère d'un pays qui se reflète. Comment supporter de tels spectacles navrants ? Chassés de chez eux, exploités par les plus grands, affectés à des travaux dangereux ou nuisibles pour la santé, soumis aux caprices des adultes, privés d'affection et de tendresse, ces jeunes qui hantent les rues et les coins malfamés, sans instruction et sans moyen de survivre, n'ont aucune chance de s'en sortir seuls. Exclus du système scolaire et de la cellule familiale, ils ne peuvent que verser vers le « trabendo », l'alcool, la drogue, la harga ou le suicide. Tout un chacun peut les croiser durant la journée. Les plus heureux sont tour à tour marchand de légumes, aide mécanicien, gardien de voitures, apprenti boulanger, aide gargotier…

Il est urgent que l'Etat prenne sérieusement en charge ce dossier délicat. Il y a en Algérie des gisements naturels de jeunesse lamentablement inexploités. A tout le moins, cette journée internationale est un appel aux responsables. Espérons, que toutes les dérives constatées soient prises au sérieux, même si comparativement à d'autres pays nous sommes quand même à l'abri du fléau. Espérons qu'il soit mis fin aux dysfonctionnements des cellules familiales à l'origine de nombreux préjudices. Espérons enfin que l'école, toujours sinistrée, ne soit plus l'école de l'échec et des frustrations. L'enfant expulsé de l'école, maltraité durant sa jeunesse est l'adulte de demain. Le problème est aussi générationnel. La présence d'un adulte n'impose plus le respect comme autrefois. L'adulte fait mine de ne rien voir, baisse les yeux devant des abus constatés et passe son chemin comme si de rien n'était.

Parents, enseignants, éducateurs, services de sécurité doivent assumer leurs responsabilités. Ils sont responsables du délitement du lien social. Il y va de l'avenir notre société. C'est en sauvant les enfants d'un pays que l'on sauve le pays. Sevrés d'amour et de tendresse, abandonnés, livrés à toutes les violences, battus, exploités et violentés, ces êtres innocents qui nous interpellent, témoignent de notre lâcheté. On ne changera pas la donne par un décret d'en haut. C'est par la base qu'il faut ressaisir les fils, par le respect, le rejet du paternalisme social et de la hogra. Les jeunes ne veulent plus être les sacrifiés de l'incurie des adultes. Consacrer une journée à l'enfance, c'est bien, mais rappeler sa réalité délétère et sensibiliser sur son sort, c'est mieux. Puisse cette journée consacrée à l'enfance, être un déclic, une sonnette d'alarme, car il y a péril en la demeure et nous sommes tous, bien qu'à des degrés divers, responsables de l'errance de notre jeunesse. Même diplômés de l'université, les jeunes algériens galèrent et n'arrivent pas à trouver leurs repères. Lançons une idée audacieuse ! Faisons confiance aux jeunes de notre pays, espoir d'avenir et gage de réussite et de prospérité et confions leur des responsabilités auprès de seniors sexagénaires qui s'accrochent honteusement au bastingage.

 

* La Convention internationale des droits de l'enfant a été adoptée par l'ONU, le 20/11/1989. Le 1er juin est désormais la Journée internationale de l'enfant. Le 4 juin, est célébrée la journée internationale des enfants victimes de l'agression. Le 12 juin est la journée contre le travail des enfants et le 16 juin, la journée de l'enfant africain.








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