Algérie

Putsch démocratique contre le pouvoir militaire égyptien



Putsch démocratique contre le pouvoir militaire égyptien
L'armée en prend pour son grade. Mohamed Morsi récupère la main face aux militaires. Il a desserré l'étreinte des généraux. Il a entrepris, à l'occasion, un putsch très doux. Les formules, qui marquent autant la surprise que l'admiration subliminale, ont fleuri sous les plumes des éditorialistes en vue de la presse internationale. Mais qu'est-ce qui a pu se passer, si vite et si fort, pour que le président FM, qu'on disait falot et sous les fourches caudines du Conseil supérieur des forces armées (CSFA), puisse imposer un rapport de force victorieux aux khédives militaires du pays ' D'abord, une conjonction astrale favorable qui lui a fourni, sous forme d'un événement majeur de l'actualité sécuritaire, une formidable fenêtre de tir. Ensuite, sa forte personnalité qui s'est ainsi révélée, sa force de conviction et sa volonté tranquille de ne pas être un «trois quarts de président», selon une célèbre formule algérienne, ont fait le reste. A savoir, utiliser au maximum sa forte légitimité de président bien élu. Il lui a fallu pour cela, créer et imposer un rapport de force politique, en s'appuyant sur des leviers militaires internes, au sein même du «réacteur nucléaire» du pouvoir réel, le CSFA. Pour agir, le président Mohamed Morsi, qui a alterné jusqu'ici compromis et bras de fer avec les généraux, a judicieusement utilisé les conséquences des récentes attaques terroristes contre les garde frontières égyptiens dans le Sinaï. Devant le constat de graves carences de l'armée, il chausse ses bottes de général de corps de bataille et profite de l'occasion pour limoger discrètement une ancienne créature de Omar Souleymane, le général Mourad Mouâfi, patron du Renseignement militaire. Et, dans son sillage, démet de leurs fonctions les commandants de la Garde républicaine et le chef de la «Sécurité Centrale». Personne n'a alors vu dans ces gestes une prémonition, des prodromes de la suite à venir qui fut, au moins, à l'avenant. En quelques décrets, annoncés publiquement comme un haut fait d'armes et un fait accompli politique, il étêta le CSFA pour mieux le dévitaliser et le neutraliser, agissant ainsi comme un militaire digne de ce nom. Coup sur coup, son président, le maréchal Hussein Tantatoui, son bras droit, l'américanophile général Sami Anane, chef d'état-major, et les commandants des forces navales et de la défense aérienne du territoire, quittent le CSFA, avec, à la clé, un départ à la retraite. Dans la même action, digne d'un billard multibandes, il promeut au grade supérieur le directeur du Renseignement militaire, le général Abdelfattah al-Sissi, et le nomme ministre de la Défense et des industries militaires. Et, sans coup férir, désigne un nouveau chef d'état-major en la personne du général Sidki Sobhi Sid-Ahmed, élevé lui aussi au grade supérieur. Les partants du CSFA sont de sitôt versés dans le civil, avec des fonctions de conseillers du président de la République ou de dirigeants d'organismes publics comme celui qui gère le stratégique Canal de Suez. Pour jouer ce brillant billard, Mohamed Morsi s'est appuyé sur celui qui était encore patron du Renseignement militaire, Abdelfattah al-Sissi, mais aussi sur les chefs de la marine et de la défense aérienne, qui n'étaient pas des fidèles du maréchal Tantatoui, et dont la promotion pouvait faire contrepoids aux forces terrestres, colonne vertébrale de l'armée dont est issu l'ancien leader du CSFA. Le billard joué par Mohamed Morsi est finalement un billard américain. Il a certes tenu à rassurer les Etats Unis en nommant un autre américanophile, adjoint du nouveau ministre de la Défense, à travers le général Mohamed Said El Âssar, chargé de la «Production industrielle». Mais, il a surtout créé les conditions d'une inédite relation de subordination de l'armée au pouvoir civil, représenté désormais au Caire par le seul chef d'Etat civil et élu dans le monde arabe. C'est ce que l'éditorialiste en chef d'Al Qouds al-Arabi appelle le «putsch très tranquille» de Mohamed Morsi. Ce qui n'a pas manqué de susciter d'ailleurs quelques inquiétudes en Israël où des éditorialistes à la page ont évoqué notamment un «séisme dangereux» et une «purge qui n'est pas de bon augure» pour Israël. Tel-Aviv connaît, il est vrai, assez bien le général al-Sissi, considéré comme «très critique et froid envers Israël». Mais il sait surtout que Mohamed Morsi refusera de nouer des liens politiques avec Israël, tout en coopérant de manière régulière mais sans zèle sur le plan sécuritaire. Signe que les temps de la relation bilatérale ont changé, il n'a pas consulté Israël avant de frapper fort les groupes terroristes, islamistes. A vrai dire, dans ce billard délicat où il a frappé au centre, sur la ligne, au dessus de la ligne, à droite et à gauche, le président Morsi a également donné des coups de queue politiques, gagnants. Comme celui, spectaculaire, d'avoir annulé la fameuse «déclaration constitutionnelle» du 17 juin 2012 qui accordait de larges pouvoirs constitutionnels à l'armée. Cette récupération de son dû constitutionnel lui permettrait de désigner une nouvelle commission chargée de rédiger une nouvelle Constitution et d'organiser dans la foulée de nouvelles élections législatives. Et, surtout, de se réapproprier le droit de déclarer la guerre et de définir librement le budget national, notamment celui de l'armée, prérogatives confisquées jusqu'alors par le CSFA. Il est désormais libre, Morsi. Tel le Max, de la célèbre chanson d'Hervé Christian. «Il est libre, Max, y en a même qui disent qu'ils l'ont vu voler», disait la chanson.
N. K.


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