Algérie

Purification ethnique contre binationalité




Publié le 04.07.2024 dans le Quotidien le soir d’Algérie

NAOUFEL BRAHIMI EL MILI

Par Naoufel Brahimi El Mili

Seul un club restreint de 10 pays ne reconnaît pas la binationalité. Et ce, pour des raisons diverses et des exceptions peuvent être, ici ou là, observées. Parmi les cas notables, celui de l’Inde. Pour ce pays, son intérêt est d’avoir des ex-ressortissants détenant une autre nationalité pour éviter tout soupçon de double allégeance. Ceux-ci sont considérés plus utiles pour leur pays en n’ayant pas la nationalité indienne. Ainsi le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, né à Southampton et fils de natif du Kenya alors sous mandat britannique, n’est pas Indien bien que familialement originaire du Pendjab. La nationalité chinoise est aussi exclusive, la loi est claire mais elle est en-dessous du pragmatisme et de l’intérêt supérieur du pays. Dans ces deux cas, bien que non reconnue, la binationalité est admise voire parfois instrumentalisée. Anciennes colonies, flux migratoires massifs, mariages mixtes ou encore résultat de trajectoires individuelles, la binationalité est admise comme un simple fait de la vie. Avec la mondialisation que l’on supposait heureuse, l’idée de transnationalité est apparue. Et au sein de l’Union européenne, le citoyen est derechef européen. Seulement en France, pays fondateur de l’UE, la binationalité devient au détour d’enjeux électoraux, un sujet clivant et stigmatisant. L’angle d’attaque de l’extrême-droite repose sur la remise en cause du droit du sol pour ne conserver que le droit du sang. Une purification ethnique qui ne dit pas son nom mais qui avance sous le masque de la préférence nationale. Purification, le mot est fort ? Peut-être mais un avenir cruel est esquissé. Purification par la privation des droits, aux soins, au logement, aux allocations familiales… Ils ne sont pas vraiment français, ils ne sont pas de souche. Ils paient leurs impôts ? C’est un détail de l’histoire. «Les Français d’abord», slogan phare du patriarche, Jean-Marie Le Pen, est repris sous une forme à peine plus policée par sa fille. Son projet : l’exclusion. Sa méthode n’est pas encore tout à fait au point car elle sera confrontée à la constitution, aux traités, aux lois et aux instances supranationales telles que la Cour européenne des droits de l’Homme. Ce n’est déjà pas mal mais est-ce suffisant ?
La polémique sur les binationaux en pleine campagne a fait le «buzz» mais ce débat n’est ni nouveau ni monopolisé par le Front national. La responsabilité incombe à tous les partis, gauche et droite confondues, au fil des dernières trente années. Tout comme la plongée sous-marine, la question binationale effectue sa descente (aux abîmes ?) par palier. Le premier est franchi comme un plongeon «à la bombe» par Jean-Marie Le Pen à la fin des années 1980. «Une chèvre qui naît dans une écurie ne peut être un cheval», a-t-il déclaré dans un «lyrisme poétique» qui est sa marque de fabrique. Naître en France ne fait pas un Français. Son objectif est de rester entre soi comme Astérix dans son village gaulois. Le second palier est franchi par Charles Pasqua alors ministre de l’Intérieur (1993-1995) qui fait voter une loi qui oblige les enfants d’immigrés nés en France de demander formellement la nationalité française à l’âge de 18 ans. Son argument : on ne devient pas français par hasard. Un premier coup de canif dans le droit du sol. Suite aux attentats terroristes de 2015, le Président de l’époque, François Hollande, propose un amendement constitutionnel qui préconise la déchéance de la nationalité française pour tout terroriste binational. Il a introduit un doute ravageur sur la loyauté des binationaux. Un coup de sabre hautement symbolique et qui ne vise, en réalité, que les potentiels terroristes islamistes! Or ces derniers sont spécialisés dans les attentats-suicides. A quoi sert de déchoir un mort ? Toujours en apnée, Gerald Moussa Darmanin, ministre de l’Intérieur, propose la suppression du droit du sol pour l’île de Mayotte, territoire resté français par ruse. En effet, Valéry Giscard d’Estaing, propose un référendum pour l’indépendance des îles de l’archipel des Comores avec un décomptage du scrutin séparé île par île. En l’absence de votes agrégés, Mayotte opte pour la France. Un second référendum tenu uniquement dans cette île confirme son maintien dans la République française. Avec la croissance des natifs comoriens sur ce territoire, la France d’Emmanuel Macron examine la suspension du droit du sol pour un département de la République finalement considéré comme une étable et les immigrés comme des chèvres, dixit Jean-Marie Le Pen. Ce rapide survol indique une responsabilité collective et ancienne de toute la classe politique par rapport à ce sujet. Après tout ce travail de fond, Jordan Bardella apporte son édifice : exclusion des binationaux de tous les postes sensibles et suppression du droit du sol. C’est une promesse électorale.
«Depuis 1515, le droit du sol permet à l’enfant d’un étranger né et résident en France de devenir français. En 1889, le principe devient un fondement de la République : l’accès à la nationalité française par la naissance sur le sol», écrit Patrick Weil, historien, dans une tribune publiée par Le Monde daté du 22 juin dernier. Une loi vieille de plusieurs siècles est médiatiquement supprimée par un post sur TikTok de Jordan Bardella. En évitant l’application TikTok mais à travers ces colonnes, j’attire l’attention du prénommé Jordan, le Kim Kardashian de la politique française, sur le cas d’Arnaud Klarsfeld. Fils du chasseur de nazis, Serge Klarsfeld, avocat de formation mais qui fait les Unes de Gala et de Paris-Match, Arnaud en 2023, alors âgé de 38 ans, prend la nationalité israélienne. Aussitôt, il demande à faire son service militaire au sein de l’armée d’occupation sioniste pour deux années. Affecté dans une unité de gardes-frontières connue sous l’abréviation MAGAV et aussi par son grand humanisme, à Bethléem en Cisjordanie colonisée, le jeune Klarsfeld rentre en France deux ans plus tard avec le diplôme de tireur d’élite. Il est vrai que les «cibles» ne manquaient pas. De 2007 à 2010, Arnaud Klarsfeld est nommé conseiller auprès de Premier ministre, François Fillion. Ensuite président du conseil d'administration de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, il s’immortalise dans ses fonctions par des propos tenus sur les Roms : «Quand on a qu’une pièce, on ne fait pas huit enfants» et il préconise leur expulsion en précisant, dans un grand élan de charité : «On ne les envoie pas vers Auschwitz.» Un autre poète. Nicolas Sarkozy nomme au Conseil d’Etat, Arnaud Klarsfeld, ancien compagnon de Carla Bruni, à l’occasion. Les paparazzi de Paris-Match en témoignent. Ce n’est pas un exemple unique de binational très haut placé dans l’appareil de l’Etat français, il en existe des milliers. Je me contente de citer celui-là pour souligner que la binationalité ne pose problème que pour les Franco-Maghrébins et Africains. Des musulmans, en somme.
L’arrière-plan de ces gesticulations anticonstitutionnelles sur la binationalité et le droit du sol est le débat sur le Grand Remplacement. Il s’agit dans un premier temps d’une théorie raciste née aux Etats-Unis et portée par le Ku Klux Klan. Une référence. «Le Grand Remplacement» une fois introduite en France à la fin des années 2000 par l’écrivain d’extrême droite Renaud Camus, cette théorie devient aussi complotiste. Pour cet auteur de pamphlets xénophobes, il existe un processus soutenu par une élite tiers-mondiste, de substitution de la population française par une autre originaire du Maghreb et d’Afrique. Candidat à la dernière présidentielle, Éric Zemmour habitué des tribunaux non pas comme avocat mais accusé, fait de cette théorie son cheval de bataille pour sauver la France et sa grande civilisation de l’islamisme. Les Français de souche sont selon cette idée saugrenue une espèce en voie de disparition. A préserver donc. Il faut alors purifier la France de ces intrus dangereux et briser le lien national. Pour Éric Zemmour qui ne doute pas de la pureté de son sang et pour le Rassemblement national, le fantôme de l’Algérie française n’est jamais très loin. Bientôt sur les frontons de mairies aux panneaux gravés : «Liberté, fraternité, égalité» sera ajouté en petites lettres, comme sur les imprimés administratifs : «Rayer la ou les mentions inutiles». Pourquoi pas les trois ?
N. B. E. M.


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