Publié le 06.12.2023 dans le Quotidien l’Expression
On se doute de ce qu'il a fallu de temps, de lectures, de recherches et de moyens pour rassembler ces plus de 1 200 proverbes et dictons, selon l'auteur, plus de 1 500, selon l'éditeur qui n'est autre que Noureddine Nacib, le frère de ce dernier...
À patrimoine culturel amazigh colossal, oeuvre tout aussi colossale. Bien que limitée à une aire géographique relativement très restreinte, l'auteur des Proverbes et dictons kabyles, Youcef Nacib a fait sans doute le meilleur choix pour bâtir la sienne. En effet, la région de Djurdjura est, comme on le verra, la plus représentative de cet immense trésor enfoui dans notre mémoire et dans notre langue.
Un travail d'érudit
On se doute de ce qu'il a fallu de temps, de lectures, de recherches et de moyens pour rassembler ces plus de 1 200 proverbes et dictons, selon l'auteur, plus de 1 500, selon l'éditeur qui n'est autre que Noureddine Nacib, le frère de ce dernier. Ce n'était pas tout, car quand toute cette abondante matière a été réunie, il a fallu adopter un ordre pour son classement. Là encore notre écrivain, au regard de la complexité de la tâche, a tranché. C'est l'ordre alphabétique qui a prévalu. Séparer proverbe et diction ou, chose plus ardue encore, distinguer un proverbe d'un autre quand tous deux sont sémantiquement très proches aurait demandé des efforts que l'auteur n'a jugé ni essentiels ni pratiques. Quand tout ce travail a été accompli, il a fallu encore passer à leur traduction en arabe et en français. Ce qui n'est pas non plus une sinécure. Car il n'était pas seulement question de rester fidèle à l'esprit et à la lettre dans cette besogne de linguistique, mais de faire en sorte que la formule soit élégante et précise. Ce qui exige des qualités d'écrivain et de poète éprouvées. Mais voilà l'oeuvre faite et un autre, plus empressé de la faire connaitre du public et de se faire connaître lui-même, l'aurait publiée. Cela aurait été d'autant plus aisé que la famille de Youcef Nacib possède sa propre maison d'édition. Ce qui aplanirait bien des difficultés liées à la réception du manuscrit. L'auteur de cette oeuvre encyclopédique connaissait son métier et les exigences de rigueur et d'exhaustivité qu'il requérait. Il lui aurait été pénible qu'après tant de labeur quelqu'un vint lui reprocher un défaut, une erreur ou une faute de goût, tout simplement. Conscient des enjeux culturels, voire civilisationnels qui sous-tendaient cette oeuvre, il a tout de suite compris que toute grandiose qu'elle est, elle n'était qu'une partie, et que sans l'autre qui la compléterait, elle ne serait jamais tout à ce qu'elle devrait être. D'où la nécessité de cette longue introduction où ce grand recueil de proverbes et de dictions s'éclaire d'un jour cru. En effet, on ne prend conscience de l'ampleur de cette entreprise inédite et de sa beauté intrinsèque que si on se plonge préalablement dans cette longue et indispensable présentation qui à elle seule aurait constitué une oeuvre à part et attiré à son auteur maints éloges. Alors on se rend compte que les proverbes et les dictons que l'on a entendus tant de fois sans en comprendre vraiment le sens ou en le déformant, placés dans leur contexte originel ont non seulement une signification profonde, mais une saveur et une fraîcheur jusque-là insoupçonnées.
Naissance des proverbes
Mais qu'est-ce qu'un proverbe? De cette question en découlent logiquement toutes les autres: qu'est-ce qu'un dicton, un apophtegme, un adage, un axiome, une maxime, une sentence. De quoi embarrasser Voltaire lui-même. Car ce serait convoquer à la fois La Bruyère, La Fontaine, La Rochefoucauld, Chamfort... Pour éviter le piège des nuances d'ordre lexical et sémantique, l'introducteur aux proverbes et dictons kabyles s'appuie habilement sur le Larousse et sur d'autres références. Mais que le proverbe qui englobe tous les autres dit à peu près la même chose. Aussi peut-on les résumer tous ainsi: formule frappante par sa forme lapidaire qui exprime une expérience vécue, une recommandation ou un conseil, une pensée concise, une règle s'appuyant sur une observation afin de ne pas refaire les mêmes erreurs, les mêmes bêtises. Ils annoncent aussi une vérité, un jugement: exemple «propos sentencieux». Cette définition, en lui faisant remonter le temps jusqu'à l'Ancien Testament, jusqu'à la mythologie grecque et même jusqu'à l'homme de Neandertal, tout en citant maints ouvrages et maints chercheurs pour l'écrivain qui a à son actif de nombreux ouvrages, n'a qu'un but: montrer que les proverbes viennent tous de loin pour acquérir cette autorité morale incontestable que les foules suivent aveuglément.
En un sens, ils ont une fonction sociale, celle de créer les conditions d'une paix durable et d'une solidarité profonde dans la communauté, dont ils règlent la vie et les moeurs.
Le point de départ de ce voyage à travers les âges, auquel nous convie ce livre, s'explique par le fait que toutes les cultures et toutes les civilisations dont «l'invariant» est justement le proverbe, se touchent, se complètent au moyen d'échanges et d'emprunts. C'est pourquoi l'homme des cavernes n'est jamais bien loin de celui de notre époque, la règle étant, dans un groupe de ne jamais sortir de la normalité qui est la norme dans un groupe humain. Ainsi, à quel que stade de notre évolution que l'on se situe, on constate que le principal souci de chacun est de rester au sein du groupe ou de la société où l'on vit en sécurité pourvu qu'on en respecte les règles en vigueur.
En Kabylie, en Mésopotamie, en Égypte, dans la Grèce ou la Rome antique le même souci de ne pas contrevenir à cette règle s'observe et s'exprime en des codes immuables, même si c'est différemment: respect des convenances (morale, religion, opinion dominante) et ordre établi. Du fait que le champ d'investigation ait été limité arbitrairement (l'auteur le reconnait, vu qu'il n'avait pas beaucoup de choix) dans cette région kabyle foncièrement rurale, il est normal que l'oralité qui est l'un des trois traits caractéristiques reconnus par l'auteur à ces proverbes et dictons (les deux autres étant l'éthique et la sagesse), est donc le seul moyen de communication entre les habitants de cette région.
Mais que dit cette oralité sous sa forme proverbiale?
Elle exalte le labeur dans les champs, l'homme et ses boeufs, l'homme au moulin qui permet de moudre le grain et de faire du pain, l'homme en sa forge qui fabrique les outils aratoires etc.
A la maison, c'est la femme qui apprête la laine, qui tisse, qui veille jalousement sur son foyer. Bref, le proverbe comme un chant, comme un poème glorifie l'attachement à la terre nourricière, la vie simple, la paix et le bonheur. Mais il flétrit le vice, qu'il s'appelât paresse, hypocrisie, mensonge, tricherie ou vol. Les animaux parlent comme dans la fable de La Fontaine.
L'âne parle, le chacal parle, la jument parle, mais aussi le rocher, l'arbre et même la motte de terre. Ce gros recueil de proverbes et de dictons, quand on le prend dans ses mains et qu'on le lit attentivement, parle clairement. Il révèle avec des mots simples, clairs et précis que toute la sagesse de cette région est condensée en lui et que celle-ci, par un enseignement patient montre le droit chemin à qui écoute et médite les bons préceptes.
Le livre parle aussi de pauvreté dans cette région, mais surtout d'analphabétisme qui la frappait au temps des colons ce qui a retardé son alphabétisation. Aujourd'hui, il y a comme une renaissance et les trésors du patrimoine culture de la Kabylie sont passés de l'oralité à l'écrit. L'auteur qui a fait preuve d'érudition cite beaucoup d'écrivains qu'il a lus, dénonce le colonialisme responsable du retard pris par cette région sur le progrès mais garde toute sa confiance dans l'avenir des jeunes qui montrent partout tant d'aptitudes pour s'adapter aux nouveaux changements imposés par un monde qui évolue lui-même très vite. Hier seuls les marabouts savaient lire et écrire. Aujourd'hui, c'est presque tout le monde qui lit et écrit.
Les proverbes et autres dictons, grâce à cette révolution sociale par l'alphabet vivent en chacun de nous,, nous guident et éclairent notre quotidien. Quant à nous, nous terminerons sur ce joli dicton «Imite, mais n'envie pas».
Ali DOUIDI
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Posté Le : 07/12/2023
Posté par : rachids