Il y a quelques
jours, à Paris, j'ai participé à un séminaire sur la situation et les
perspectives économiques de l'Algérie. Etre partie prenante de ce genre de
manifestation est toujours instructif, même si j'avoue y aller le plus souvent
à reculons. On y glane quelques informations, on y rencontre une ou deux personnes
avec lesquelles on reste par la suite en contact et, bien entendu, on y
retrouve des connaissances et quelques vieux amis avec lesquels on échange
potins et plaisanteries quand vient l'heure de la pause-café et ses
viennoiseries.
Je dois vous avouer que j'ai longuement
hésité avant de me rendre à cette conférence et cela en raison du thème sur
lequel je devais plancher. Voici quel en était l'intitulé : «Qui sont les
décideurs économiques en Algérie ?». Vous comprenez aisément mon hésitation
pour ne pas dire ma réticence. Qui sont les décideurs économiques ? Voilà une
question à un million de dollars et, quitte à vous décevoir, il faut bien
reconnaître que je n'ai apporté aucune réponse concrète, me contentant
d'avancer à coups d'esquives et de considérations générales.
J'ai commencé par dire que j'aurais
certainement fait défection si la question posée avait été «qui sont les
décideurs en Algérie ?» car, pour le coup, cette question aurait été celle à un
milliard de dollars. En accolant le terme «économiques» à celui de «décideurs»,
l'organisateur de cette rencontre avait tout de même ouvert un petit espace
dans lequel il était possible de s'engouffrer sans trop d'égratignures. Devant
un parterre composé, entre autres, de patrons de PME françaises, j'ai tenu à
rappeler pourquoi ce terme de «décideurs» était tout sauf neutre dans le
contexte algérien.
Aucun journaliste ne peut ignorer que ce fut
feu Mohamed Boudiaf qui l'a rendu célèbre en janvier 1992. «J'ai parlé aux
décideurs avant de prendre ma décision», avait-il alors déclaré, quelques
heures après son retour en Algérie. Depuis, ce terme est devenu bien commode
pour désigner sans vraiment les nommer, ceux qui détiennent le pouvoir réel en
Algérie. Magie du langage : on glisse ce mot dans une phrase, c'est à la fois
parlant et suffisamment vague pour avoir le sentiment du devoir accompli sans
risquer grand-chose. Mais, qui décide en Algérie ? Bah, les décideurs, ma
petite dame !
Pour l'économie, les choses son plus simples,
du moins, en apparence. Encore faudrait-il savoir à quel niveau de l'économie
se situe-t-on. Prenez le cas de ces fameuses circulaires qui imposent à toute
entreprise étrangère algérienne installée en Algérie d'ouvrir son capital à des
opérateurs algériens. J'ai lu et entendu beaucoup de choses sur ces
dispositions susceptibles, affirment leurs contempteurs, de faire fuir les
investisseurs étrangers. Durant la conférence, plusieurs intervenants,
brillants au demeurant, se sont réfugiés derrière une logique économique pour
expliquer, et pas spécialement défendre, ces textes.
Nécessité de faire une pause dans le
processus d'ouverture de l'économie algérienne, volonté d'insérer les milliards
de dinars du secteur informel dans les circuits économiques, urgence
d'organiser un transfert de savoir-faire technologique et financier au bénéfice
d'acteurs économiques algériens,... Les arguments pour venir au secours des
circulaires dites Ouyahia ne manquent pas. Mais j'ai du mal à croire qu'en
l'occurrence, le décideur en la matière soit le premier ministre. De telles
dispositions, qui font hurler toutes les chancelleries occidentales, n'ont pu
être adoptées sans un aval - et donc une décision - pris au plus haut sommet de
l'Etat.
Dans ce cas précis, le décideur économique se
confond avec le décideur politique. Cela vaut aussi pour les privatisations,
les accords de partenariats stratégiques avec des pays étrangers, notamment
dans le secteur des hydrocarbures. Et dans ce cas de figure, il est faux de
prétendre que la prise de décision est opaque car, une fois encore, c'est au
sommet de l'Etat que ces décisions se prennent et cela vaut pour n'importe quel
pays. Qui a décidé aux Etats-Unis que General Motors serait nationalisé ? C'est
Obama en personne. Et qui va décider du sort d'Areva ou de La Poste en France ?
Ce sera Sarkozy et nul autre.
Maintenant, il y a dans l'activité
économique, des prises de décision qui, bien entendu, ne relèvent ni du
président Bouteflika ni de son gouvernement. Une autorisation administrative,
une homologation, un dédouanement, un quitus fiscal, il y a des dizaines de
décisions nécessaires à la bonne marche d'une entreprise qu'elle soit
algérienne ou non. Et c'est là où le bât blesse pour les opérateurs étrangers.
Pour nombre d'entre eux, l'Algérie est un pays opaque, truffé de décideurs
économiques dont la spécialité est de ne pas décider ou de prendre leur temps
pour le faire.
Je ne vais pas insister sur cette situation
que nous connaissons tous si ce n'est pour dire, comme je l'ai expliqué au
parterre réuni par Ubifrance, que cela favorise le foisonnement d'acteurs,
visibles ou non, qui se font fort d'aider l'opérateur étranger à se mouvoir
dans le maquis administratif algérien. Face à cela, celui qui veut vendre ou,
plus encore, investir dans notre pays a trois choix. Il peut être tenté par la
voie censée être la plus facile en optant pour un «sponsor» qui lui promettra
monts et merveilles. Il peut aussi faire cavalier seul ou alors opter pour un
partenariat.
Pour ce qui est du premier cas, celui du
sponsor, Issad Rebrab, le PDG de Cevital, a affirmé que c'était une voie sans
issue et que les entreprises étrangères qui ont opté pour une telle solution
s'en sont mordues les doigts par la suite. Quant au cavalier seul, et quelques
témoignages que j'ai compilés au cours des années auprès d'entreprises
étrangères le prouvent, c'est la voie la plus dure mais, à terme, la plus
payante. En essayant de comprendre qui fait quoi, en s'immergeant dans une
véritable école de la patience, l'opérateur étranger finit par acquérir un
savoir-faire algérien tellement précieux qu'il sera même réticent à le faire
connaître. Connaissez-vous beaucoup d'entreprises occidentales notamment
françaises qui réussissent en Algérie et qui en acceptent d'en parler
publiquement ? Moi pas.
Reste enfin la voie du partenariat. Et dans
ce cas de figure, il serait intéressant d'enquêter pour savoir pourquoi la
majorité des entreprises étrangères y rechignent. Certaines d'entre elles ne
cherchent même pas à prendre contact avec le ou les organisations patronales
privées algériennes. Ce serait pourtant une bonne solution de compromis et une
bonne manière de comprendre rapidement qui décide en Algérie...
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Posté Le : 16/07/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Akram Belkaid
Source : www.lequotidien-oran.com