Algérie

Projet contesté du cet de Doghra à Zighoud Youcef (Constantine): Quand la population se soulève contre un crime écologique



Projet contesté du cet de Doghra à Zighoud Youcef (Constantine):  Quand la population se soulève contre un crime écologique




Après le centre d’enfouissement technique de la localité de Benbadis, mis en fonction pour recevoir les déchets ménagers des six communes du sud de la wilaya, dont la ville de Constantine, il fallait trouver un site pour le deuxième CET destiné aux communes du nord de la wilaya.

Une activité ordinaire règne dans la ville de Zighoud Youcef, en cette chaude journée du mois de mai. Une semaine après les émeutes qui ont secoué cette paisible commune, située à 35 km au nord de Constantine, le calme revient, même si des patrouilles des services de l’ordre sont encore postées sur les principales artères. Au bout du long boulevard encombré, qui divise la ville en deux, on accède à la zone d’activités. Un regroupement de dépôts, traversé par une chaussée en mauvais état, d’où émanent des odeurs pestilentielles. Subitement, c’est un changement de décor, une fois arrivés en haut de la colline qui jouxte la voie ferrée, non loin de l’accès à la RN3: une nature sublime accueille le visiteur.

On s’engage à gauche sur le chemin communal qui mène vers mechta Doghra, à 7 km de Zighoud Youcef. Une petite bourgade de quelques dizaines de fermes, habitée par des familles d’agriculteurs et d’éleveurs, sortie de l’anonymat à la faveur d’un projet controversé, et surtout violemment contesté. Dans un magnifique cadre champêtre, la route sillonne de belles collines, dominant la vallée, où se nichent des maisons hybrides.

Non loin, on peut voir l’autoroute Est-Ouest et le tunnel d’El Kentour. A part le bitume qui se fraye un chemin dans la forêt, Doghra a largement gardé son cachet de campagne vierge. Avec une immense forêt d’une grande richesse, entourant de toutes parts de vastes prairies, des champs de céréales et des jardins potagers, la région est un beau tableau, agrémenté au fond par les deux montagnes jumelles, plus connues par «Toumiette».

Planté dans une descente, au cœur de cette belle nature, le centre d’enfouissement technique est venu perturber la quiétude des habitants, mais aussi menacer sérieusement l’environnement.

«Réaliser un tel projet sur ce site naturel est un véritable crime écologique pour toute la région», s’indigne un spécialiste connaissant parfaitement les lieux et qui a requis l’anonymat.

Et d’ajouter: «Vous pouvez voir tout autour de vous qu’il s’agit d’une région à vocation agricole, mais c’est aussi un site forestier par excellence. Cette forêt, la seule dans cette région, est le poumon par lequel respire la commune de Zighoud Youcef ; elle se trouve sur le couloir qui amène l’air du côté nord, puisque nous sommes sur la frontière avec la wilaya de Skikda. Pourquoi on veut nous planter ce CET ici? Je me demande quelle serait la réaction des Constantinois, si on décidait d’implanter un CET dans la forêt de Djebel Ouahch, par exemple?»

Notre interlocuteur pousse encore plus loin son argumentaire: «Nous avons bien expliqué aux autorités que des études ont prouvé la nature instable du sol ; les responsables n’ont qu’à le vérifier. Techniquement, un centre d’enfouissement ne peut être érigé ici, car il y aura risque de glissement de terrain, en plus, ce lieu se trouve à quelques encablures de l’oued Beni Brahim qui rejoint oued Boukerker, l’un des affluents du bassin de oued Safsaf, situé à 20 km seulement du barrage de Zardeza, dans la wilaya de Skikda. Nous savons également que le sous- sol est gorgé d’eau. Il y a de nombreuses sources à partir desquelles s’alimente la population. Avec tout cela, on veut implanter un CET. Imaginons le désastre écologique qui se pointe déjà et qui aura des conséquences irréversibles sur toute la commune de Zighoud Youcef ; c’est pour cela que nous avons exprimé notre refus concernant ce projet .»

Pour comprendre le problème du CET de Doghra, il faut remonter à la genèse du projet en 2008, quand la direction de l’environnement avait prévu de réaliser deux centres d’enfouissement technique dans la wilaya.

Après celui de la commune de Benbadis, mis en fonction pour recevoir les déchets ménagers des six communes du sud de la wilaya, dont la ville de Constantine, il fallait trouver un site pour le deuxième CET destiné à collecter les déchets des communes du nord de la wilaya. Une commission composée de représentants des différentes parties est allée inspecter des sites dans les communes de Didouche Mourad, Hamma Bouziane, Beni H’midene et Zighoud Youcef. Après plusieurs mois de tergiversations, le site de Doghra dans la commune de Zighoud Youcef a été retenu.

Genèse d’un projet à zones d’ombre

Entamé en 2009, le CET de Doghra a été achevé en 2013. Il n’est finalement réceptionné qu’en 2015, mais dans quelles conditions? De nombreuses zones d’ombre entourent ce projet.

«Les autorités semblaient beaucoup plus préoccupées par le problème de gestion des déchets ménagers dans les six communes du nord. En voulant se débarrasser des décharges locales et les remplacer par un CET, elles ont opté pour la solution facile et la moins coûteuse, alors que nous avons proposé d’autres sites qui ne présentent aucun danger, ni pour l’environnement ni pour la population», explique Aïssa Bennacer, vice-président d’une association à Zighoud Youcef.

De nombreuses associations n’ont pas attendu la réception du projet pour alerter les autorités.

«Nous avons engagé les premières démarches en 2010, puis en 2011, et nous n’avons cessé de dire que ce CET aura des conséquences graves sur la région, mais personne ne voulait nous écouter. Après la réception du projet, nous avons manifesté un premier refus le 31 octobre 2015. Depuis, nous avons adressé des requêtes à la direction de l’environnement, au ministère de tutelle, au wali de Constantine, au Premier ministre et à la présidence de la République», poursuit notre interlocuteur.

Confiants dans leur action, les associations et les habitants de Zighoud Youcef s’attendaient à une réaction des autorités.

«Nous avons cru que notre mouvement avait finalement donné un résultat, lorsqu’on nous avons appris en février dernier que le projet avait été complètement arrêté. Nous étions sûrs que le CET allait être fermé, mais contre toute attente, il sera ouvert en mai sur décision du wali, qui n’a finalement pas été réceptif à nos doléances exprimées d’une manière civique et organisée», dit-il dépité.

Revirement de situation

La suite, tout le monde la connaît. Une marche pacifique organisée le 16 mai pour réclamer la fermeture du CET a été réprimée, ce qui a ouvert la voie à une série de dérapages, provoqués, il faut le dire par certaines personnes, mais aussi par l’attitude irresponsable du chef de daïra envers les manifestants, selon plusieurs témoignages rapportés par la presse.

«Ces journées d’émeutes que la commune a connues, avec tout ce qui s’est passé, ces arrestations, ces blessés, auraient pu être évités si le wali avait pris au sérieux notre démarche, par l’ouverture d’un dialogue responsable et constructif», regrette un représentant d’une association.

Selon une source bien au fait du dossier, le projet du CET de Doghra a été perçu comme épineux dès son lancement. On a aussi appris que l’ex-wali de Constantine, Noureddine Bedoui, actuel ministre de l’Intérieur, aurait exprimé des réserves quant à son ouverture. Même le défunt Mourad Labani, directeur de l’EPIC chargé de gérer les CET, aurait refusé de réceptionner le centre de Doghra, qui n’est équipé ni d’un centre de tri, ni d’un système d’épuration du lixiviat, ni d’un dispositif de captation de méthane. M. Labani ne voulait pas en quelque sorte revivre l’expérience du CET de Bougharb, dans la commune de Benbadis, fermé par la population lors des émeutes de l’été 2014.

Les citoyens de Zighoud Youcef s’interrogent sur les conditions de l’ouverture du CET de Doghra. Ils accusent ouvertement la direction de l’environnement d’être la première responsable de cette situation, affirmant que ses responsables étaient bien au courant des conséquences de ce projet sur la région, mais ils ont poussé les choses jusqu’au pourrissement. On est en droit de s’interroger si le wali a été lui-même floué ou a reçu des rapports erronés de la part des responsables de cette direction.

Devant l’obstination des habitants de Zighoud Youcef, décidés à ne pas faire marche arrière, et face à une situation risquant de mener à l’irréparable à l’approche des examens de 5e et du BEM, le wali a finalement rencontré les représentants des associations et de la population le 21 mai. C’est le revirement à 360°. Le wali a complètement changé de langage, en acceptant de dialoguer avec ceux qu’il avait déjà refusé de recevoir, faisant montrer d’une incroyable diplomatie, en décidant de fermer momentanément le CET dans l’attente des résultats de l’enquête diligentée par une commission d’experts sur les incidences du CET sur l’environnement et la santé publique.

«Si cette commission prouve que ce CET présente un danger pour la région, je suis prêt à le fermer», a déclaré Hocine Ouadah devant la caméra de l’ENTV.

«Pourquoi ce revirement de situation, et pourquoi le wali a-t-il enfin décidé de dialoguer, si ce n’est qu’il aurait été instruit par les autorités militaires pour dialoguer, au vu de l’enlisement de la situation?» insistent certains.

«Mais pourquoi désigner une commission, alors que nous avions déjà alerté depuis quatre ans sur les dangers de ce projet?» s’interrogent les représentants d’associations.

L’affaire du CET de Doghra illustre parfaitement le cas de mauvaise gouvernance manifesté par les autorités de la wilaya de Constantine, qui se sont comportées avec grand mépris face à une population, qui était pourtant dans son droit d’exprimer son refus, et elle l’a fait d’une manière organisée et civilisée, si ce n’est l’entêtement des décideurs à agir contre la volonté citoyenne.

Deux jours après cette rencontre, le ministre de l’Intérieur, Noureddine Bedoui, déclare à partir de Khenchela, où il était en visite d’inspection, qu’il a décidé de désigner lui aussi des experts pour examiner ce dossier, promettant de fermer le CET de Doghra si les risques sur l’environnement et la population étaient confirmés.

Dans ce cas, quel sera le coût de l’annulation d’un projet qui aurait consommé pas moins de 130 milliards de centimes. C’est une véritable gabegie pour une commune qui a besoin de cet argent pour réaliser des projets de développement.


Photo: Réaliser un tel projet sur ce site naturel est un véritable crime écologique pour toute la région

Arslan Selmane







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