La démission de Paul Wolfowitz de la Banque mondiale a résolu un problème, mais elle en a fait surgir un nouveau. Quand le nom de Wolfowitz a été mentionné pour la première fois comme candidat à la tête de la première banque de développement du monde, l'idée que l'architecte de l'échec américain en Irak serait ainsi récompensé a provoqué une certaine incrédulité. Mais George W. Bush cherche à saper les institutions et les accords multilatéraux depuis le début de sa présidence. La nomination de Wolfowitz semblait s'inscrire dans cette démarche. Â Doit-on laisser Bush, canard boiteux bénéficiant de peu de soutien chez lui et encore moins à l'étranger, nommer le prochain président de la Banque mondiale ? Bush a déjà prouvé son manque de jugement. Pourquoi lui donner une seconde chance ? Â Les arguments contre le système à l'ancienne, par lequel les États-Unis nomment le dirigeant de la Banque mondiale et l'Europe celui du FMI, sont particulièrement impérieux aujourd'hui. Comment la Banque pourrait-elle être efficace dans la promotion de la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption si son président est choisi dans le cadre d'un processus montrant des failles dans son propre monde de gouvernance ? Quelle crédibilité attribuer à un message anti-corruption délivré par une personne choisie par une administration considérée comme l'une des plus corrompues et incompétentes de l'histoire des États-Unis ? Â Il vaut la peine de noter, comme l'ont fait plusieurs chefs de comités du Congrès américain, qu'il est dans l'intérêt des États-Unis que la Banque soit dirigée par la personne la plus qualifiée possible, sélectionnée dans le cadre d'une procédure ouverte et transparente, sans considération de nationalité, de sexe ou d'appartenance ethnique. Cela nécessite un changement dans la manière de choisir son président, et, lors de séances du Congrès sur la Banque mondiale, les premières en 13 ans, j'ai, comme tous ceux qui ont fait une déclaration sous serment, appelé de mes v?ux cette réforme primordiale. Â Les nominations présidentielles à des postes à hautes responsabilités au gouvernement américain sont soumises à des séances publiques. Que le système à l'ancienne soit préservé ou pas, mais surtout s'il l'est, le conseil d'administration de la Banque devrait de la même manière conduire des séances publiques à propos de la personne nommée par Bush pour succéder à Wolfowitz. Voici quelques-unes des questions, accompagnées d'indices sur les bonnes ou les mauvaises réponses, qu'il devrait poser à tout candidat proposé à la présidence de la Banque, y compris à Robert Zoellick, le candidat désigné par Bush : Â Pensez-vous que le président de la Banque mondiale devrait faire passer les intérêts des pays en voie de développement en premier ? Allez-vous insister pour que l'Europe et l'Amérique suppriment leurs subventions agricoles ? Allez-vous défendre un cycle de développement qui mette l'accent sur la libéralisation des marchés du travail plus que sur ceux des capitaux, sur l'élimination des obstacles non tarifaires qui empêchent l'entrée des produits des pays en développement dans les pays industrialisés, et sur l'abolition des ¢barrières douanières progressives,¢ qui entravent le développement ? Serez-vous ouvert à la recherche, même quand celle-ci montrera que les politiques des pays industrialisés peuvent, au moins dans certaines circonstances, ne pas être dans les intérêts des pays en développement ? Â Un changement de philosophie a eu lieu pendant la présidence de la Banque de James Wolfensohn. Nous avons encouragé des politiques basées sur la recherche, même quand cette recherche critiquait des politiques mises en avant par certains pays industrialisés et par certains membres de la Banque. Quand notre recherche montrait que certaines politiques (comme les subventions agricoles) étaient dommageables pour les pays en voie de développement, nous avons rendu les conclusions publiques, contribuant ainsi à redéfinir le débat. Â Allez-vous soutenir l'initiative des pays en voie de développement d'avoir un régime de propriété intellectuelle orientée vers le développement ? Â Ce qui sépare les pays en voie de développement des pays développés n'est pas seulement l'écart de ressources, mais aussi un écart de connaissances. La Banque doit être considérée, en partie, comme une Banque du savoir, et elle doit défendre des réformes qui faciliteraient un plus grand accès au savoir des pays en voie de développement. L'accès aux médicaments génériques est essentiel si les pays en voie de développement, avec leurs budgets limités, veulent améliorer la santé des pauvres. L'accord TRIPs sur la propriété intellectuelle du cycle de l'Uruguay a été conçu pour réduire l'accès aux médicaments génériques, et il y est parvenu. Mais, aussi mauvais que soient les TRIPs, les accords commerciaux bilatéraux que Bush a tenté d'imposer sont bien pires. Tout candidat prétendant représenter les intérêts des pays en voie de développement doit prendre ses distances par rapport à ces politiques. Â Allez-vous ?uvrer à redéfinir les critères selon lesquels les pays ont accès aux financements ? Â Aujourd'hui, l'argent va aux pays qui n'en ont pas le plus besoin, ni ne peuvent l'utiliser de manière efficace. Se conformer aux orthodoxies actuelles, sur la privatisation et la libéralisation, par exemple, peut vous rapporter des points de ¢bonne gouvernance¢ et ainsi augmenter l'allocation d'aides - même quand elles réduisent la véritable efficacité de l'aide. Â Pensez-vous que les pays corrompus devraient être privés de financements ? Si c'est le cas, le ferez-vous de manière constante ? Dans le cas contraire, comment la Banque doit-elle réagir ? Soutiendrez-vous un programme anti-corruption complet, comprenant notamment la fermeture des comptes bancaires secrets ? Â L'une des failles du programme de lutte contre la corruption de Wolfowitz était que l'augmentation ou le prolongement de l'aide aux pays favorisés par l'administration Bush, comme l'Irak ou le Pakistan, ont été imposés sans aucune considération de leur degré de corruption, alors qu'il n'y avait que peu de marge de tolérance ailleurs. Les problèmes avec l'Ouzbékistan ont été ignorés, jusqu'à ce qu'il tombe en disgrâce aux yeux des États-Unis. Â De même, l'administration Bush s'est opposée à l'initiative de l'OCDE de restreindre le secret bancaire, jusqu'à ce qu'elle se rende compte que les comptes bancaires secrets aident à financer le terrorisme. Depuis, elle a montré qu'elle pouvait fermer des comptes en banque secrets, mais a choisi de ne le faire que pour les terroristes. Â Pensez-vous que la Banque mondiale devrait faire davantage d'efforts pour encourager les pays à adopter des standards de travail de base ? Â La Banque ne s'est pas contentée de ne pas promouvoir activement ces standards adoptés au niveau international. D'aucuns s'inquiètent aussi à l'idée qu'elle décourage les négociations collectives et les protections des travailleurs lorsqu'elle évoque la ¢flexibilité des marchés du travail¢ et les conditions qui conduisent à l'investissement privé. Â Le système de choix à l'ancienne du président de la Banque mondiale doit disparaître. Il a fait assez de dégâts. Si les pays industrialisés qui contrôlent la Banque refusent de respecter leurs principes, ils devraient au moins approuver plus de transparence. Le monde a le droit de savoir ce qui lui échoit.Des séances publiques constitueraient un pas dans la bonne direction. *Prix Nobel d?économie.
Posté Le : 21/06/2007
Posté par : sofiane
Ecrit par : Joseph Stiglitz*
Source : www.lequotidien-oran.com