Une nouvelle
controverse fait rage : que requièrent les nouvelles régulations pour restaurer
la confiance dans le système financier et s'assurer qu'une autre crise ne
survienne à nouveau d'ici quelques années. Le Gouverneur de la Banque
d'Angleterre, Mervyn King, a demandé que soient imposées des restrictions sur
le genre d'activités dans lesquelles peuvent s'engager les méga-banques. Le
Premier Ministre, Gordon Brown, pour sa part, prêche tout autre chose. Car
après tout, la première banque britannique à tomber fut la Northern Rock dont
la principale activité était le crédit immobilier, ce qui a coûté quelques 50
milliards de dollars.
Selon Brown, de telles restrictions
n'empêcheront pas la survenue d'une autre crise. Mais King a raison d'exiger
que soient bridées les banques qui sont trop importantes pour faire faillite.
Aux Etats-Unis, en Grande Bretagne, et ailleurs, les grandes banques sont
responsables d'une grande part du surcoût que les contribuables ont dû assumer.
L'Amérique a laissé 106 banques plus petites faire faillite, ne serait-ce que
cette année. Ce sont les méga-banques qui entrainent les méga-coûts.
La crise est le résultat d'au moins huit
défaillances qui bien que distinctes sont interconnectées :
- Les banques
trop importantes pour faire faillite ont des incitations perverses ; si elles
parient, et gagnent, elles empochent les bénéfices ; si elles perdent, ce sont
les contribuables qui endossent l'ardoise.
- Les
institutions financières sont trop imbriquées les unes dans les autres pour
faire faillite ; la part d'AIG qui a couté 180 milliards de dollars aux
contribuables américains était relativement petite.
- Lorsque les
banques s'associent dans des actions conjointes, en utilisant les mêmes
modèles, même si chacune d'elles est de petite taille, leur comportement peut
entrainer un risque systémique.
- Les structures
d'incitations au sein même des banques sont conçues pour encourager une
réactivité à court terme et une prise de risque excessive.
- En évaluant
leur propre risque, les banques ne prennent pas en compte les effets secondaires
qu'elles (ou leur faillite) pourraient imposer aux autres. C'est l'une des
raisons pour laquelle il faut, de toute façon, des règlementations.
- Les banques ont
mal évalué les risques, et les modèles utilisés étaient profondément
défectueux.
- Les investisseurs,
apparemment encore moins bien informés que les banques sur les risques
d'endettement excessif, mettent une pression énorme sur ces dernières pour les
pousser à prendre des risques excessifs.
- Les
régulateurs, sensés comprendre tout cela et prévenir toute action qui
entrainerait un risque systémique, ont échoué. Eux aussi utilisent des modèles
défectueux et des incitations défectueuses. Nombre d'entre eux n'ont pas
compris le rôle de la régulation ; et nombre d'entre eux sont devenus ‘otages'
de ceux-là même qu'ils étaient supposés réguler.
Si nos régulateurs et nos superviseurs nous
inspiraient plus de confiance, nous pourrions peut-être faire face aux autres
problèmes de façon plus détendue. Mais les régulateurs et les superviseurs sont
faillibles, ce qui explique pourquoi nous sommes obligés de nous attaquer aux
problèmes par tous les côtés.
Les réglementations ont bien sur un coût mais
ces coûts prennent une proportion énorme lorsque la structure régulatrice est
inadaptée. Nous sommes loin d'avoir fait le nécessaire pour éviter une autre
crise et les bénéfices d'une réglementation renforcée compensent largement
l'augmentation de ces dépenses.
King a raison : les banques qui sont trop
importantes pour faire faillite sont trop importantes pour exister. Si elles
veulent continuer à exister, elles doivent le faire selon ce qui est parfois
appelé le ‘modèle d'utilité', c'est-à-dire en étant lourdement réglementée.
Laisser de telles banques continuer à se
livrer à des transactions pour leur propre compte dénature les marchés
financiers. Pourquoi seraient-elles autorisées à miser, alors que ce sont les
contribuables qui assumeront leurs pertes. Quelles sont les «synergies» ?
Peuvent-elles vraiment compenser les coûts ? Certaines banques importantes sont
maintenant engagées dans des transactions boursières d'une telle ampleur (soit
pour leur propre compte soir pour le compte de leurs clients) qu'elles ont fini
par obtenir le même avantage illégitime que n'importe quel trader initié.
Ceci génère des profits plus importants pour
elles, mais aux frais des autres. Les règles du jeu sont biaisées – et plus
encore pour les plus petits joueurs. Qui refuserait un dérivé sur évènement de
crédit défaillant garanti par le gouvernement américain ou britannique ? Il n'y
a donc rien d'étonnant à ce que les institutions trop grandes pour faire
faillite dominent le marché.
Les économistes s'accordent aujourd'hui sur
un fait : l'importance des incitations. Les banquiers ont été récompensés pour
les profits importants qu'ils ont générés, que ces derniers aient été le
résultat d'une meilleure performance de leur part (en d'autres termes ils ont
fait mieux que le marché) ou bien d'une prise de risque supérieure (un
endettement plus fort).
Soit ils ont trompés les actionnaires et les
investisseurs, soit ils n'ont pas compris la nature des risques et des profits.
Probablement les deux. De toute façon, c'est décourageant.
Le manque de compréhension des risques par
les investisseurs et les défaillances de la gouvernance corporate ont encouragé
les banquiers à ne pas concevoir de bonnes structures d'incitations. Il est
crucial de corriger ces défauts, tant au niveau structurel qu'au niveau
managérial. Cela implique de casser les institutions trop-importantes-pour-faire-faillite
(ou pour-les-solvabiliser). Dans les cas où cela ne sera pas possible, il
faudra restreindre considérablement leur marge de manÅ“uvre, les taxer plus
fortement et leur imposer des exigences d'adéquation de capital. Cela permettra
de remettre à plat les règles du jeu. Le diable, bien sur, se cache dans les
détails. Les grandes banques s'efforceront donc de faire en sorte que, quelles
que soient les charges supplémentaires qui leur seront imposées, elles soient
suffisamment mineures pour ne pas perdre les avantages perçus par le fait
d'être garanties par l'argent des contribuables.
Même si nous parvenons à définir des
modalités d'incitations parfaites pour les banques, ce qui n'est pas prévu, les
banques continueront de représenter un gros risque. Plus la banque est
importante en taille, et plus les risques qu'elle est autorisée à prendre sont
importants, plus est grande la menace qu'elle constitue pour nos économies et
nos sociétés.
Tout n'est pas tout blanc ou tout noir : le
fait de réduire la taille de ces institution nous permettrait de nous sentir
plus serein vis à vis de cet aspect, et d'autres, de la réglementation. C'est
pour cela que King, Paul Volcker, la commission des experts des Nations Unies
sur les réformes du système financier et monétaire et tant d'autres encore ont
raison lorsqu'ils prétendent que nous avons besoin de contrôler les grandes
banques. Ce qu'il nous faut impérativement, c'est une approche multiple qui
comprendrait, entre autres, des impôts spécifiques, des exigences de capital
plus importantes, une surveillance plus étroite et des contraintes sur la
taille et les activités à risques.
Une telle approche n'évitera pas une autre
crise, mais dans l'éventualité d'une récidive, elle serait moins couteuse.
Traduit de l'américain
par Frédérique Destribats
*Professeur
d'université à Columbia University, a reçu le prix Nobel d'économie en 2001
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Posté Le : 10/12/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Joseph E Stiglitz*
Source : www.lequotidien-oran.com