Les conseils
d'administration des entreprises et l'Etat ont mis la question de la
rémunération des grands patrons au cÅ“ur de leurs préoccupations.
Un aspect de
cette question mérite plus ample analyse : faut-il continuer à laisser les
chefs d'entreprise décider du moment où ils touchent leurs bonus? Les
conditions classiques de rémunération les autorisent à vendre leurs parts et à
exercer les options qui leur ont été octroyées quand bon leur semble. Une telle
liberté n'est ni utile, ni souhaitable.
La possibilité de programmer ce moment leur
donne tout loisir d'utiliser les données confidentielles qu'ils détiennent sur
leur sociétés, et de vendre avant que les cours ne baissent. Les lois réprimant
les délits d'initié sont censées les dissuader d'exploiter cette information
“concrète,” mais ils restent détenteurs d'une information plus “immatérielle,”
qui leur donne l'avantage sur les places boursières. Il a été observé maintes
fois que les profits record réalisés par les patrons en Bourse - c'est à dire
des profits “anormalement” juteux - procèdent de la cession des titres de leur
propre société.
Autre conséquence de cette liberté accordée
aux patrons pour planifier ainsi la vente de leurs stock-options et de leurs
parts, la tentation pour eux d'influer sur l'information diffusée par leur
société et de jouer sur les cours pour en empêcher la chute avant d'effectuer
leurs transactions. On constate, d'expérience, une corrélation entre le niveau
des cessions atteint par les patrons et la manipulation des rémunérations –
tant légale qu'illégale.
Comment y remédier? Tout d'abord, les
plus-values réalisées sur les stock-options ne devraient pas dépendre du seul
prix de revente des actions. Leur montant devrait correspondre à un prix moyen,
calculé sur une période d'une durée significative.
On pourrait s'entendre sur le fait qu'un
patron qui cherche à revendre ses parts pourrait les revendre à l'entreprise
sur la base du prix moyen des valeurs boursières, calculé, disons, sur les six
mois suivants. Ou encore que celui qui souhaite se défaire de ses actions soit
autorisé à vendre ses parts en Bourse, mais graduellement, selon un plan
automatique, préétabli, qui s'exécuterait de lui-même (disons, au rythme d'un sixième
du total des parts mises en vente par le patron, au premier jour d'échange de
chacun des six mois suivants).
C'est une solution qui permettrait aux
patrons de continuer à décider, sinon du jour exact, du moins de la période à
laquelle ils pourraient revendre. Pour renforcer la cohérence entre salaires et
performances et faire en sorte que les patrons ne puissent affaiblir cette
cohérence par l'accès qu'ils ont aux données confidentielles et à l'information
que l'entreprise diffuse, il pourrait leur être demandé de faire connaître leur
choix de la période, longtemps à l'avance. Ou encore, cette période pourrait
être déterminée à l'avance, pour le cas où leur salaire comporterait une clause
de variabilité.
Si cette option est retenue, un patron
souhaitant vendre un nombre donné de parts serait tenu de faire connaître son
intention de façon très anticipée, disons, plus de six mois avant. Par
conséquent, pour pouvoir vendre 100 000 parts entre juillet et décembre d'une
année donnée, et en recevoir le prix moyen des valeurs boursières de cette
période, un patron pourrait, par exemple, devoir en faire connaître la vente
avant le début de l'année.
Autant de transparence annoncée permettrait
que toute information confidentielle détenue par le patron au moment de prendre
sa décision de vendre, puisse servir ouvertement et être intégrée aux valeurs
boursières, avant que ne soit déterminée la plus-value de la vente. En outre,
les cours de la Bourse prendraient en compte les extrapolations que la
divulgation du projet de vente aurait permis de faire. Le prix moyen des
valeurs boursières, au moment d'encaisser les bénéfices, refléterait plus
fidèlement la valeur réelle des actions, assurant une meilleure cohérence entre
salaires et performances.
Dans une toute autre approche, le choix du
moment où les patrons voudraient monnayer leurs rémunérations variables ne
serait plus soumis à leur libre arbitre. Une solution de ce type préconiserait
que les parts restreintes et les stock-options, quelle que soit l'année où elles
auraient été octroyées, ne soient payées qu'au fil des années suivantes,
graduellement et selon un calendrier fixé d'avance, à l'époque où ces parts
restreintes et ces stock-options auraient été octroyées.
Le conseil d'administration de l'entreprise serait
chargé d'établir ce calendrier, garantissant que les patrons conservent
toujours le niveau voulu de titres. Les patrons n'ayant plus la liberté de
choisir le moment auquel leurs bonus leur seraient versés, cette mesure aurait
pour vertu d'éviter que les patrons ne s'adonnent aux jeux du marché et que
leur supplément d'information ne leur vaille trop d'avantages.
Les caprices des cotations en Bourse d'une
seule journée n'ont pas à nous dicter le montant des récompenses à octroyer aux
patrons, et la latitude qu'ils ont pour accéder aux données confidentielles ou
pour manipuler les informations, encore moins. En éliminant ces éventualités,
les entreprises - et leurs actionnaires – auront tout à gagner d'une politique
de rémunération variable.
Traduit de
l'anglais par Michelle Flamand
* Enseignent à la
Law School de Harvard et sont les auteurs d'un livre intitulé Pay without
Performance: The Unfulfilled Promise of Executive Compensation.
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Posté Le : 26/11/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Lucian Bebchuk & Jesse Fried*
Source : www.lequotidien-oran.com