En couronnant
Barack Obama, le jury des Prix Nobel de la Paix a pris un risque. Le Président
des États Unis, même si c'est à l'évidence un esprit pacifique, conduit la plus
grande puissance mondiale du monde, laquelle est toujours en guerre, en
Afghanistan comme en Irak. Si ce jury a choisi Obama ce n'est pas devant
l'évidence.
Certains commentaires, ici où là, ont
critiqué le Comité Nobel pour n'avoir à travers ce choix, couronné que des mots
et des espérances. Je crois que cette critique est perverse, inappropriée, et
par là dangereuse. Car elle consiste à condamner l'espérance sous la forme des
mots.
Or il est en politique des mots qui sont des
actes. Le discours du Caire, mots adressés au monde musulman, a déjà contribué
à changer au moins l'atmosphère des relations. Et les mots que le Président
Obama a adressés à l'Iran ont déjà produit des résultats : les conversations
ont repris et l'Agence Internationale de l'Énergie Atomique – l'AIEA de Vienne
– va visiter les installations de Qom.
Le plus considérable n'est d'ailleurs
peut-être pas là. C'est aussi par des mots – deux déclarations puis une
conversation – qu'ont été engagés entre les deux Présidents Obama et Medvedev,
donc entre les États Unis d'Amérique et la Fédération de Russie, les contacts
nécessaires à l'élaboration conjointe d'un plan de désarmement nucléaire
bilatéral et progressif.
Le résultat de ces travaux doit normalement
être soumis à la Conférence Quinquennale du printemps 2010 chargée de faire le
point sur l'application du Traité de Non Prolifération nucléaire.
Chacun sait en effet que le danger de la
prolifération nucléaire – dont l'aggravation est menaçante – ne peut être
combattu et réduit que par la Communauté internationale toute entière. Aucune
nation n'y pourrait parvenir seule. Cette démarche est donc essentielle, elle a
déjà reçu l'approbation publique de Gordon Brown, Premier Ministre de Grande
Bretagne.
Des signes multiples quoique silencieux
laissent attendre celle de la Chine. On attend une position française. En tous
cas sur cette affaire décisive c'est bien d'actes qu'il s'agit et pas seulement
de mots.
Le risque pris par le Comité Nobel n'est donc
pas celui de couronner ce qui ne serait encore qu'une espérance. Il est tout
simplement celui d'avoir distingué des efforts non aboutis, donc le risque de
faire partager au Comité Nobel le discrédit d'un résultat incertain.
Or si la perspective diplomatique dans le cas
du désarmement nucléaire se présente plutôt bien, ce n'est guère le cas dans
les autres domaines.
Dialogue avec les musulmans, dialogue avec
l'Iran, tout cela en effet reste profondément dépendant du conflit majeur de la
région, celui d'Israël avec la Palestine, dont la persistance pollue tous les
autres, et interdit des évolutions positives.
Chez les deux protagonistes du conflit,
Israël et l'Autorité Palestinienne, la communauté est profondément divisée et
le pouvoir politique dans un état de faiblesse insigne. Le fait qu'il y a
toujours en Israël une majorité parlementaire pour permettre l'extension des
colonies – on vient encore tout récemment d'autoriser la construction de deux
cents logements nouveaux, après la mise en garde d'Obama – veut dire que les
destructeurs de la paix sont à l'Å“uvre. Israël laisse ainsi diminuer
progressivement la possibilité effective que la paix se fasse, grâce à la création
et à la reconnaissance d'un état palestinien. Car pour pouvoir naître ce
dernier a besoin d'un territoire d'un seul tenant et d'une logique
d'aménagement spatial. L'acharnement de certaines forces israéliennes à
détruire cette chance a quelque chose de criminel, et l'impuissance du reste de
la société israélienne à l'empêcher est parfaitement tragique.
Cette logique est en effet pour Israël celle
de la perte de l'essentiel de son soutien international, en même temps que
celle de la provocation de nouvelles explosions de désespoir et de violence.
Elie Barnavi, ancien ambassadeur d'Israël en
France, vient de publier un livre important, titré « Aujourd'hui ou peut-être
jamais ». Sous titre : « pour une paix américaine au Proche Orient ». Son
analyse met bien en évidence la dégradation générale de la situation et de ce
fait la difficulté croissante à faire la paix. Il se raccroche à l'espoir
suscité par Barack Obama, joint au fait que contrairement à ses deux
prédécesseurs, l'actuel Président américain n'a pas attendu la dernière année
de son mandat pour s'occuper du Moyen Orient, mais s'en est saisi dès sa prise
de fonctions. La communauté internationale a largement applaudi ces
déclarations et ces démarches.
Le regain actuel de gravité du problème tient
à ce que l'arrêt du mouvement de colonisation, qui est la clé de toute reprise
des négociations, n'est pas respecté en Israël.
Nous sommes donc dans une période difficile,
car la réalisation de l'espoir formulé par Obama suppose une aggravation de la
pression américaine sur Israël, attitude qu'il est difficile au Président
américain d'obtenir de son Sénat. Et si rien ne se passe, un nouvel échec est
inéluctable.
C'est l'hypothèse où le Prix Nobel aurait été
quelque peu prématuré.
En même temps, cette distinction renforce la
visibilité, l'autorité et la légitimité internationale de l'initiative
américaine.
Tout n'est pas dit encore, et le succès
demeure possible.
Au fond, pourquoi ne pas saluer le Comité
Nobel de la Paix d'avoir pour une fois pris un risque au lieu de saluer une
contribution établie et reconnue. La paix est si difficile que sa recherche
doit être impérativement soutenue et encouragée.
*Ancien Premier
ministre français et ancien dirigeant du Parti socialiste, est membre du
Parlement européen
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Posté Le : 29/10/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Michel Rocard*
Source : www.lequotidien-oran.com