Une deuxième grande réduction des taux d?intérêt américains en quinze jours, et un plan de stimulation de l?économie qui unit républicains et démocrates, montrent que les décideurs américains tiennent à parer une récession qui semble être la conséquence d?une augmentation des défauts de paiement des emprunts immobiliers et de la chute des prix des logements. Mais il existe aussi un problème plus profond qui a été ignoré : l?économie américaine s?appuie sur la hausse des cours et l?augmentation de l?endettement pour alimenter sa croissance.Il y a ici une contradiction profonde. D?un côté, les politiques doivent alimenter les bulles boursières pour que l?économie continue de croître. D?un autre côté, ces bulles créent inévitablement des crises financières quand elles finissent par exploser.Voilà qui va à l?encontre des implications mondiales du phénomène. De nombreux pays se sont appuyés, pour leur croissance, sur les dépenses des consommateurs américains et sur les investissements de sous-traitance permettant d?approvisionner ces consommateurs. Si la bulle de l?économie américaine se restreint aujourd?hui, la croissance mondiale va ralentir d?un coup. Il n?apparaît pas clairement que les autres pays auront la volonté ou la capacité de mettre au point des moteurs de croissance alternatifs.Les contradictions économiques américaines font partie d?un nouveau cycle économique né en 1980. Les cycles des présidents Ronald Reagan, George H.W. Bush, Bill Clinton et George W. Bush partagent de grandes similitudes, et diffèrent des cycles d?avant 1980. Les similarités sont de grands déficits commerciaux, la perte des emplois industriels, l?augmentation des cours, l?augmentation des ratios dette/revenus, et le détachement des salaires de la croissance de la productivité.Le nouveau cycle repose sur les booms financiers et les importations bon marché. Les booms financiers fournissent des nantissements qui soutiennent les dépenses financées par l?endettement. L?emprunt est aussi soutenu par un assouplissement des standards de crédit et des nouveaux produits financiers qui augmentent l?effet de levier et élargissent la gamme d?actifs contre lesquels il est possible d?emprunter. Les importations bon marché améliorent les effets de la stagnation des salaires.Cette structure contraste avec le cycle économique d?avant 1980, qui s?appuyait sur une augmentation des salaires liée à la croissance de la productivité et au plein emploi. C?était l?augmentation des salaires, plutôt que les emprunts et les booms financiers, qui alimentait la croissance de la demande. Cela encourageait les dépenses d?investissement, qui à leur tour débouchaient sur des gains de productivité et une croissance de la production.Les différences entre l?ancien cycle et le nouveau se révèlent nettement dans les attitudes à l?égard du déficit commercial. Autrefois, les déficits commerciaux étaient considérés comme un problème grave, une fuite de la demande sapant l?emploi et la production. Depuis 1980, les déficits commerciaux sont mis de côté, considérés comme le produit des choix du libre-échange. En outre, la Réserve fédérale a considéré les déficits commerciaux comme un frein efficace à l?inflation, et les politiciens les voient aujourd?hui comme une manière d?acheter le silence des consommateurs atteints par la stagnation des salaires.Le nouveau cycle économique scelle aussi une politique monétaire qui remplace les inquiétudes provoquées par les salaires réels par un coup de projecteur sur les cours. Alors que la politique monétaire d?avant visait tacitement à installer un plancher sous les marchés du travail pour préserver l?emploi et les salaires, elle met en place aujourd?hui tacitement un plancher sous les cours boursiers. Il ne s?agit pas d?un renflouement des investisseurs par la Fed. En fait, l?économie est devenue si vulnérable aux chutes des cours que la Fed est obligée d?intervenir pour les empêcher d?infliger d?énormes dégâts.Toutes ces caractéristiques sont apparues dans l?expansion économique actuelle. Les salaires ont stagné malgré une forte croissance de la productivité, et le déficit commercial a marqué de nouveaux records. L?industrie a perdu 1,8 million d?emplois. Avant 1980, l?emploi dans ce secteur augmentait à chaque expansion et dépassait toujours le niveau maximal précédent. Entre 1980 et 2000, l?emploi industriel a continué de croître en termes de développement, mais à chaque fois il n?a pas réussi à retourner au niveau des sommets précédents. Cette fois, l?emploi dans le secteur industriel a en fait chuté pendant le développement, ce qui est sans précédent dans l?histoire américaine.Le rôle primordial de la hausse des cours a été surtout visible comme résultat de la bulle immobilière, ce qui souligne aussi le rôle de la politique monétaire. Malgré les réductions fiscales massives de 2001 et l?augmentation des dépenses militaires et de sécurité, les États-Unis ont connu une longue convalescence sans emplois. Cela a obligé la Fed à maintenir les taux d?intérêt à des niveaux historiquement bas pendant une longue période, et les taux n?ont été augmentés que progressivement, à cause des craintes soulevées par la fragilité de la guérison.Les taux d?intérêt bas ont fini par relancer l?expansion économique par le biais d?une bulle immobilière, qui a soutenu une frénésie de dépense, financée par l?endettement, et déclenché une explosion de la construction. Pendant ce temps, des taux d?intérêt bas sur une période prolongée ont contribué à une «chasse au rendement» dans le secteur financier qui a débouché sur un mépris du risque posé par le crédit.C?est ainsi que la Fed a contribué à provoquer la crise des subprimes. Cependant, pour sa défense, des taux d?intérêt bas étaient nécessaires pour maintenir l?expansion. En effet, le nouveau cycle a coincé la Fed dans une position intenable dans laquelle elle doit empêcher la chute des cours pour éviter une récession, tout en encourageant les bulles afin de maintenir l?expansion.Donc, même si la Fed et le Trésor américain parviennent aujourd?hui à éviter la récession, de quoi la future croissance va-t-elle s?alimenter ? Avec les lourds fardeaux de la dette et des prix de l?immobilier bien au-dessus des niveaux garantis par leurs relations historiques aux revenus, le cycle économique des deux dernières décennies semble à bout de course.Il ne suffit pas de ne s?attaquer qu?à la crise actuelle. Il faut une politique qui programme une vision à long terme, ce qui implique la nécessité de reconsidérer le paradigme des 25 dernières années. Cela signifie mettre un terme aux déficits commerciaux qui assèchent les dépenses et les emplois, et restaurer le lien entre salaires et productivité. Ainsi, ce sera le revenu du travail, et non la dette et la hausse des cours, qui jouera à nouveau le rôle de moteur de la demande.
Traduit de l?anglais par Bérengère Viennot
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Posté Le : 17/04/2008
Posté par : sofiane
Ecrit par : Thomas Palley *
Source : www.lequotidien-oran.com