Algérie

Problèmes de gouvernance de l'EPE/Spa: La part de responsabilité des dirigeants sociaux


Nous avons estimé utile de solliciter les colonnes du Quotidien d'Oran pour faire écho à l'inertie criante des différents acteurs clés de l'entreprise publique économique, y compris des pouvoirs publics, quant aux problèmes de défaillance et/ou de manquement flagrant de gouvernance d'une aussi grande et importante entreprise que l'EPE/Spa, pivot du développement national, problèmes de gouvernance qui sont restés sans solution depuis 1988, et que nous payons très cher aujourd'hui avec la non-admission récente de l'Algérie dans le groupe des pays émergents que l'on appelle communément les «BRICS».1. Problématique de la gouvernance de l'EPE/Spa :
Il est urgent aujourd'hui de s'intéresser à réformer la gouvernance actuelle de l'EPE/Spa en vue de faire accomplir à l'entreprise ce que l'Etat n'a pas pu réaliser dans le cadre du processus de développement. En effet, aujourd'hui, c'est à l'EPE/Spa qu'échoit la responsabilité de «couper les cordons de la rente», de passer vers l'économie de la connaissance, et c'est elle qui est chargée de fructifier le capital étatique et public à forte rentabilité; autrement dit, c'est cette entreprise qui doit réaliser l'accumulation et donc le développement. De ce point de vue, l'EPE/Spa est la personne morale régie complètement par les règles de commercialité et de rentabilité.
La gouvernance n'est pas la gestion, il est alors entendu que le problème des défaillances de gouvernance actuelle de l'EPE/Spa trouve son explication dans l'absence d'articulation juridique entre, d'une part, l'actionnaire (l'Etat) détenant un droit de contrôle a-postériori sur l'entreprise, et d'autre part, les dirigeants de l'EPE/Spa censés bénéficier du principe de l'autonomie de gestion. Cette absence d'harmonisation entre ces deux organes sociaux est la conséquence de l'immixtion du pouvoir politique dans la gestion de l'entreprise.
L'immixtion du pouvoir politique dans la gestion de l'EPE/Spa (notamment la SPA à Directoire, et par ricochet la SPA à Conseil d'administration) a été rendue possible par la confusion volontairement entretenue des concepts «d'Entreprise publique» et de «SPA», et la confusion des rôles de l»Etat Puissance publique», de l«Etat actionnaire» et de «l'Etat régulateur», rôles de l«Etat que rien n'obligeait par ailleurs à les distinguer en situation d'économie de rente. Il en est résulté l'absence de séparation des pouvoirs et l'absence de répartition des responsabilités entre les organes sociaux de l'EPE/Spa.
Bien qu'ils soient «victimes» ou tout au mieux les premiers impactés par les situations d'injonctions tutélaires, les dirigeants de l'EPE/Spa ont néanmoins une part de responsabilité non négligeable dans la situation actuelle, et c'est ce qu'il faudra donc expliciter.
2. Responsabilité des dirigeants :
2.1.- Compte tenu du lien fondamental existant entre les dirigeants et la performance de l'EPE, questionner la responsabilité des dirigeants est important pour nous ici, non seulement pour bien identifier les problèmes non résolus à ce jour de défaillance de gouvernance de l'EPE/Spa autonome et de l'exercice du droit de gestion de l'entreprise qui semble leur échapper, mais également pour passer à l'étape de la résolution de ces problèmes. Car nous estimons honnêtement que, compte tenu de leur rôle et leur position stratégique au sein de l'entreprise, les cadres dirigeants ont la capacité à régler les problèmes et à pouvoir relever le défi d'améliorer la qualité et l'efficacité de la gouvernance de l'EPE/Spa et l'extirper ainsi de la sphère du politique dans laquelle elle est aujourd'hui enfermée.
2.2.- De façon objective, la responsabilité des dirigeants est à signaler aux deux niveaux suivants
2.2.1.- Le premier niveau de responsabilité : il réside dans le fait de réduire la question de la gouvernance à un simple problème de gestion. En effet, les cadres dirigeants se plaignent pratiquement tous du problème de l'absence d'autonomie de gestion de l'EPE/Spa, lequel problème est lié à la présence de l'Etat propriétaire des capitaux marchands investis et de l'Etat actionnaire propriétaire des actifs économiques. Autrement dit, le problème de gouvernance de l'EPE/Spa est, selon eux, un problème qui se pose en lien avec la question de sa «propriété».
Cette argumentation n'est pas justifiée pour au moins deux raisons :
a) La première raison est d'ordre psychologique : se plaindre de l'absence d'autonomie de gestion, c'est contribuer à limiter, voire à gaspiller son pouvoir de dirigeant, en propageant l'idée politique que, quoi qu'on puisse parler d'autonomie, l'Etat détiendra toujours un droit de contrôle sur l'EPE, et quoi qu'on dise, l'Etat ne pourra pas se désintéresser de la défense de ses intérêts, qui restent ceux de l'EPE (Identité des intérêts de l'Etat et ceux de l'EPE). Le dirigeant rétablit ainsi de son propre chef le lien de subordination hiérarchique de l'entreprise à l'Etat. Ce qui constitue une entorse au droit de l'autonomie des entreprises publiques. Mais plus grave encore, se plaindre de l'absence d'autonomie de gestion, c'est se placer en fait dans la situation d'une personne qui se victimise, et le cadre dirigeant en n'assumant pas sa position, il n'assume pas ses responsabilités !!!!.
Passant outre les contrats de performance qu'il a pourtant négociés, passant outre les objectifs statutaires de l'EPE/Spa qu'il dirige, le cadre dirigeant se résigne à admettre que son statut se réduit à celui de simple gestionnaire salarié désigné pour la fructification des capitaux marchands que l'Etat propriétaire lui a confié. Il admet ainsi le fait que l'Etat, à l'occasion de la gestion de l'EPE, puisse emprunter la posture d'un Etat (rentier) décisionnaire.
b) La deuxième raison est d'ordre strictement juridique : il faut savoir que l'absence d'autonomie de gestion ne repose sur aucun fondement juridique. Les textes législatifs consacrant l'autonomie de l'entreprise établissent clairement la séparation entre le principe d'autonomie de l'EPE par rapport à l'Etat et le principe de l'autonomie de gestion de la SPA.
En effet, par rapport au premier principe, il est clairement établi que l'Etat n'a pas la propriété de l'EPE/Spa, à l'instar de la Banque d'Algérie, des EPIC et des entreprises militaires à caractère industriel et commercial. Désignée comme étant une société à capital public par rapport aux capitaux marchands investis, l'EPE est la propriété de la Nation, de la collectivité nationale, représentée par l'Etat (sujet juridique). Quant à l'Etat actionnaire, il est propriétaire des actifs économiques, à ce titre, il a des droits sur l'entreprise, non la propriété. D'autre part, avec le principe de l'autonomie de gestion de la SPA, il y a suppression de l'Etat représenté par l'administration de tutelle avec la séparation de la souveraineté du commercial.
L'Etat s'étant détaché de la gestion de l'EPE/ Spa, droit et pouvoir de propriété reviennent aux gestionnaires de l'EPE. L'autonomie de gestion est ainsi juridiquement garantie quand bien même l'Etat serait actionnaire -unique ou majoritaire- dans une entreprise publique économique. Pour preuve, la société anonyme de personnes publiques existe bel et bien en droit libéral des sociétés.
2.2.2.- Le deuxième niveau de responsabilité tient compte du lien existant entre responsabilité et gestion imputables au dirigeant. En effet, au plan de la gestion des affaires de l'EPE/Spa, il s'est dégagé chez les dirigeants -certainement par fidélité envers la tutelle pour certains d'entre eux, ou par peur du risque pénal pour d'autres-, une faible implication dans l'entreprise et/ou un désintérêt pour les affaires sociales en focalisant sur les décisions venant d'en haut. Il s'agit là d'une entorse au comportement éthique du dirigeant, et d'une faute de gestion à l'évidence contraire à l'intérêt social, dont la conséquence a été l'absence de formulation de besoin de droit de l'EPE/Spa. L'absence de besoin en droit a lourdement handicapé l'EPE/Spa qui a fonctionné des décennies durant en confinant le juriste d'entreprise dans le contentieux, et en privilégiant le «droit en procès» au détriment du «droit en action» pourtant nécessaire à la bonne conduite des affaires de l'entreprise.
Il est donc temps pour le dirigeant de l'EPE/Spa de «changer son fusil d'épaule».
*Professeur (Annaba)
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