Algérie

Privatisation des «dupes», socialisme pour étrangers, béton «taïwan» Ciment : les vraies raisons de la crise



1° - Crise, 2° - spéculation, 3° - importation massive. Après tant d'autres produits stratégiques, le triptyque touche aujourd'hui le ciment.

L'Algérie va importer un million de tonnes pour faire baisser les prix. Une solution pour cacher le soleil avec un tamis, répondent les chefs des grands chantiers algériens.

La nouvelle crise par A+B: entre 500 et 600 DA le sac, le ciment fait à nouveau parler de lui comme sujet national. Avec le rond à béton, il fait, alternativement, l'actualité des chantiers d'équipement et de l'immobilier de «masse» ou même individuel chez les autoconstructeurs et ceux confrontés à l'obligation de finir leurs chantiers sous peine de sanction selon de nouvelles lois. Selon une analyse «prêt-à-porter» en mode permanente chez les pouvoirs publics, il s'agit encore une fois d'une crise de «spéculation». En conséquence, l'Etat y répond par ses habituelles chasses aux spéculateurs, ciblés opportunément par les services de la DCP et dénoncés par les ministères de tutelle ; ou en solutionne abusivement la crise par une décision d'importation massive (un million de tonnes cette fois-ci et l'appel est déjà lancé aux fournisseurs internationaux), pour assurer les grands chantiers et casser le cycle de la surenchère. Le schéma est validé comme analyse finale pour toute situation de pénurie depuis des décennies et ne se penche jamais sur les raisons réelles et «structurelles» de ces crises du marché de l'offre. «La production est tout simplement insuffisante», nous répond l'un des plus gros promoteurs immobiliers en Algérie. «Avec 18.000 tonnes/an, on ne peut qu'assurer un équilibre précaire avec la demande du marché. Il suffit que l'usine de Zahana à l'ouest baisse sa production de 40 %, comme c'est le cas, ou qu'une usine soit obligée à un arrêt technique au centre ou à l'est, pour que tout le marché soit déséquilibré». Pour notre interlocuteur, «il faut arrêter de parler de spéculation, produire plus et faire jouer les mécanismes des stockages et des excédents».

Une solution simple ? Oui, mais quasiment impossible. Pour comprendre les crises cycliques du ciment en Algérie, surtout depuis le lancement des grands chantiers nationaux comme l'autoroute Est-Ouest, il faut revenir à un constat évident : «la production est non maîtrisée» et s'interroger sur cet handicap pour un pays «qui avait amassé un capital savoir-faire sur la production de ciment, en avance sur tous les pays de l'Afrique». En effet, et pour les professionnels du secteur du bâtiment, la grande erreur a été la privatisation et l'ouverture sélective du capital des entreprises, au seul bénéfice des partenaires étrangers, «aujourd'hui en position de force pour contrôler le marché et ses prix». Sur toute la liste des nouveaux leaders étrangers du marché du ciment algérien, «seul Pharaon, à Beni-Saf à l'ouest, a pu assurer ses engagements et tenir ses promesses en passant de 700.000 à un million de tonnes de production. Pour les autres, il s'agit toujours de production à la baisse et de jeux de dupes», soutient l'une de nos sources. Ce procès régulier de la privatisation des cimenteries algériennes ne préconise cependant pas un retour à la situation du monopole public. «Nous disposons d'un capital de ressources humaines incroyable dans le domaine du ciment et qui a toujours été handicapé par la bureaucratie, grand barrage à l'initiative et à la concurrence. Ce qu'il fallait faire, c'est «privatiser» la gestion en quelque sorte et pas les entreprises. Intéresser les cadres, leur faire confiance et libérer leur gestion au lieu de les «vendre» aux plus offrants», répondra un professionnel du secteur. Selon les sources de notre enquête, la privatisation a opté pour le partenariat étranger «parce qu'il n'y a pas d'intérêts avec les Algériens» et qu'on a succombé à l'illusion des années 90 et de l'investisseur étranger en sauveur de l'économie nationale. Certains parlent même d'une élimination volontaire des Algériens avec «cette condition de 1 million 200 mille tonnes de capacité de production pour prétendre s'inscrire sur la liste des souscripteurs». A la fin, on se retrouve avec une carte d'usine de production très hétéroclite et impossible à réguler : plus d'une quinzaine de cimenteries, entre celles privatisées (Orascom/Lafarge), publiques (Saïda, Chlef, Raïs Hamidou... etc) ou en partenariat avec capital participatif. Dans tous les cas de figure, «nous en sommes encore et toujours dans l'état de l'insuffisance de l'offre et au lieu d'imposer aux partenaires de respecter leur cahier des charges et leurs engagements, on recourt à l'importation». Certains nouveaux propriétaires «ont fini par amortir le prix d'achat des cimenteries algériennes en deux ans seulement et peuvent aujourd'hui contrôler les prix autant qu'ils le décident et en toute légalité, avec le bénéfice des largesses de l'Etat en ce qui concerne les privilèges et les assistances», nous affirme l'une de nos sources. «Etant donné la crise, on ne peut rien imposer aux cimenteries» tout simplement.



De la ségrégation auto-algérienne



L'autre grand procès fait aux pouvoirs publics, depuis toujours par les opérateurs nationaux, reste relatif au système d'exclusion dont «nous sommes victimes», disent-ils. Dans tous les secteurs, et surtout ceux à gisements financiers très importants, la priorité semble être donnée aux partenaires étrangers. L'argument «public» étant qu'ils sont à même d'assurer les grands chantiers, de respecter les délais et de démontrer la maîtrise de chantiers trop «grands pour les compétences algériennes».

«C'est un argument faux. D'abord, il n'encourage en rien le transfert des techniques et des technologies, ne permet pas l'émergence de compétences algériennes et procède par une sorte d'apartheid entreprenarial honteux», nous répond un opérateur économique algérien. Ainsi, et selon presque tous les «interrogés», et surtout dans le secteur en plein boom du bâtiment, les partenaires étrangers sont privilégiés autant pour les facilités administratives que pour l'approvisionnement stratégique en ciment ou autres entrants et agrégats. Selon presque la quasi-totalité de nos interlocuteurs, les Algériens doivent attendre que les partenaires «étrangers, entre Chinois, Turcs, Japonais ou autres», soient servis pour se permettre d'introduire leur demande. «Pourquoi mes camions doivent attendre et pas ceux des Chinois !», s'exclamera un promoteur interrogé. «Cela se traduit pour moi en surcoût pour le transport, j'opère une rotation au lieu de deux ou trois par semaine, je suspends mes chantiers selon les calendriers des livraisons et à la fin, on nous reproche à nous les Algériens de ne pas être viables !!!!».

Pire encore que ce constat de privilège «d'usine», la question des prix offerts et payés par l'Etat pour les marchés publics. En règle générale, et selon nos sources, les «prix offerts aux Chinois et aux partenaires étrangers pour les grands chantiers ou chantiers moyens sont 4 fois supérieurs à ceux consentis pour les opérateurs nationaux». D'où la grande question : faut-il que l'Etat importe aujourd'hui du ciment à la place des partenaires étrangers ? Il y a même contradiction entre ces discours «ministériels» qui promettent des booms de production pour 2012 avec des usines en chantiers virtuels à Djelfa, Relizane et Béchar et cette décision d'importer, déjà expérimentée en novembre 2008.



Le socialisme...pour les partenaires étrangers ! :



«Oui il y a sous production, oui il y a insuffisance, oui il faut importer pour répondre à la crise, pour le moment», insistent nos interlocuteurs, mais «ce n'est pas à l'Etat de le faire !!!!». Selon nos sources, il est en effet irrationnel de lancer de grands ouvrages au profit exclusif d'entreprises étrangères «qui travaillent à des prix internationaux et de les assister ensuite lorsqu'elles manquent de ciment». L'explication étant que si ces entreprises imposent d'être grassement payées aux tarifs «mondiaux», «elles n'ont qu'à importer le ciment selon les prix internationaux lorsqu'elles en manquent pour livrer des chantiers finis, au lieu d'attendre que les pouvoirs publics le fassent à leur place et aux détriment des règles de base de la concurrence saine». «Je ne sais pas pourquoi quand il s'agit des prix, on leur accorde les meilleures et on nous plafonne les nôtres, nous obligeant à rogner sur les qualités pour retomber sur nos pieds, et quand il s'agit d'une crise du ciment, on fait les courses à leur place !», s'indigne un promoteur. Plus que cela, cette décision, endossée par le Gouvernement et en instance d'exécution par l'ERCC qui a déjà lancé l'appel aux fournisseurs internationaux, confirme indirectement l'échec de la politique de privatisation et d'ouverture des capitaux des cimenteries algériennes au profit de partenaires étrangers «incapables de tenir leurs engagements». Pour les professionnels, il s'agit d'une solution urgente mais populiste car, évitant de s'attaquer aux raison des crises cycliques du ciment en Algérie. Des raisons résumées en quelques points par tous les professionnels rencontrés : «Privatiser» la gestion des cimenteries publiques «au profit des nationaux», rationaliser les techniques et les technologies, investir dans le marché des «adjuvants» (ces «sous produits» capables de modifier les techniques de production et d'utilisation), «pousser à la rationalisation de l'utilisation du ciment» encore utilisé aujourd'hui selon des méthodes artisanales dépensières et dépassées (études, matériaux des chantiers transports, spécialisation en usine à béton... etc.).



Usine à béton et adjuvants



«En matière de savoir-faire, les Algériens étaient leaders en ciment en Afrique», nous répèteront quelques hauts cadres du secteur et des promoteurs professionnels. Ce capital sera pourtant quelque part bradé au profit d'une politique de privatisation massive. «On avait tout pour lancer une véritable industrie spécialisée en ciment, avec, en exemple, les fameuses usines à béton quasiment inexistantes en Algérie et qui sont la norme dans d'autres pays», nous dira un interlocuteur. Ces usines à béton, qui seraient en position de sous-traitance et de fournisseurs pour les grands promoteurs publics ou privés, permettraient en effet un «contrôle à la source de l'industrie du ciment et de son marché, règleront le problème de la qualité et de la disponibilité ainsi que celui de la rationalisation de la consommation», nous explique-t-on. Car, la crise cyclique du ciment en Algérie, conjuguée à l'impérative «politique» des délais et à la peur des surcoûts, a fini par masquer et faire oublier «le risque national du béton frauduleux souvent en mode dans les grands et petits chantiers algériens. «Tout le monde sait en Algérie que le béton est hors norme. Tout le monde le sait : les promoteurs locaux ou étrangers ainsi que les pouvoirs publics». Engagé dans une course aux délais ou prompt à la solution de l'importation abusive, l'Etat «ne fait rien pour encourager une politique de maîtrise du béton et donc du ciment. En termes de délais, un réseau d'usines à béton permettrait la spécialisation, un gain de temps pour les entreprises de réalisation qui seraient déchargées de la corvée et de l'angoisse de l'approvisionnement». «Vous savez, nous expliquera une source, le béton est une formule qui joue sur ses composants traditionnels : adjuvants, eau, sables et agrégats». Avec une telle formule, des technologies de contrôle sont possibles en jouant sur les résistances et les compositions «en fonction des besoins, des coûts, des modes de transports... etc». En situation de crise, et «dans l'impossibilité de contrôler réellement l'usage du béton dans les chantiers algériens, les pouvoirs publics ont développé un système de contrôle qui fait illusion». En effet et selon tous nos interlocuteurs, il suffit de «composer le béton que l'on veut sous forme d'un échantillon en éprouvettes pour le présenter aux services du CTC pour décrocher le PV de conformité, sans rapport avec l'usage réel du béton de masse dans les chantiers». Une vraie menace sur la sécurité nationale des chantiers mais «cela tout le monde le sait et ferme les yeux, contrairement à ce que l'on dit. Le système et la politique actuelle ne poussent pas à l'excellence» et encore moins à la rationalisation de l'usage du ciment et à sa maîtrise. Pour notre source, «le problème des centrales à béton n'est pas un problème d'argent mais de politiques et de volonté». C'est aussi un refus d'entamer une politique de maîtrise de techniques de pointe pour les chantiers de bâtiment. «On peut jouer à l'infini sur la maîtrise du béton en jouant sur les techniques des adjuvants, trop peu utilisés en Algérie, permettant la maîtrise du béton «ouvrable (c'est-à-dire utilisable en fonction d'un délai de temps), ou en maîtrisant l'industrie des adjuvants qui peuvent augmenter de 20 % les performances des cimenteries». Ce constat insiste aussi sur la non maîtrise des études, des chantiers et des nouvelles technologies de pointe pour réduire les consommations. «En Algérie, on continue de fonctionner sur deux principes de croyance : on croit que les cimenteries sont soit surdimensionnées, soit elles ne suffisent pas», conclut notre interlocuteur.

Une politique par défaut qui hypothèque aujourd'hui les immenses chantiers structurants, les promotions immobilières, les chantiers d'équipements et encore plus les particuliers ou les grandes entreprises algériennes.




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