Le printemps
n'est pas seulement la première saison de l'année, comme le précisent les
dictionnaires ou encore «l'année de jeunesse», mais il est aussi la floraison
des plantes, le réveil des animaux hibernants, comme l'escargot par exemple,
qui, pour se protéger de la neige et du gel, se retire au fond de sa coquille,
après l'avoir fermée avec un opercule calcaire. Mais, dés la fin du mois de
mars, aux heures fraîches et pluvieuses, il sort de sa léthargie hivernale.
Et c'est dans ce
sens là que les historiens du dix-neuvième siècle qualifièrent les
contestations et insurrections révolutionnaires qu'a connues la France puis presque toute
l'Europe durant l'hiver 1848. Ils l'employèrent d'abord pour son côté
métaphorique : éclosion, réveil de la nature, bourgeonnement des plantes,
symboles de renaissance des consciences et d'espoirs après un long hiver.
Donc,
L'expression de «Printemps arabe» est une vraie référence historique au
«Printemps des peuples» de 1848 auquel il a été comparé. Ce dernier commença
aussi en hiver à Paris puis s'étendit sur tout le territoire français et gagna
tout le continent. Les barricades comme celles de «Tahrir»
au Caire se dressèrent contre les fusils. La contestation exigea le changement
du régime. La similitude des deux «printemps» ne s'arrête pas là : les
contestataires ou «révolutionnaires» des deux printemps, hommes, femmes,
enfants, étudiants, ayant subis la dictature et le despotisme, sortirent avant
quelques décennies d'une révolution prometteuse de beaucoup d'espoir : la
révolution de 1789 avec ses idéaux d'égalité et de liberté en France ;
mouvement national et révolution en Egypte et en Algérie par exemple.
Ce n'est pas la
première fois que l'expression éclot dans l'espace public. En automne 1956, le
peuple hongrois, sous l'impulsion des écrivains, des étudiants se soulevèrent contre le despotisme.
Pendant quelques
jours, un vent de liberté souffle sur toute la Hongrie ; les ouvriers
forment notamment des conseils qui ont pris en main la gestion des entreprises
revendiquant entre autres : un socialisme modéré, l'abolition de police
secrète, le retrait des soviétiques du territoire, les libertés politique et
syndicale, la gestion ouvrière des usines et l'amnistie.
Mais
l'insurrection hongroise est rapidement écrasée par les chars soviétiques sans
que la réprobation internationale n'aille plus loin que le seul discours indigné. Les gouvernements occidentaux avaient la tête
ailleurs, car au même moment des faits, les troupes d'élites françaises,
britanniques et israéliennes envahissaient le canal de Suez en Egypte, en
réponse à la nationalisation du Canal par le président égyptien Nasser, et à
son soutien infaillible à la révolution algérienne, semant ainsi un grand
désarroi et une destruction presque totale des villes surplombant le canal.
Jean Paul Sartre résumait ainsi la situation «les communistes sont déshonorés,
les socialistes se plongent dans la boue.Oui la droite
aujourd'hui jouit, grâce à Guy Mollet, d'une espèce de pureté, ce n'est pas
elle qui torture en Algérie, ce sont les socialistes qui ont débarqué à Suez.»
Le bilan de
l'intervention soviétique à Budapest, selon quelques estimations était de 720
morts et 200 000 réfugiés, fuyant l'arrestation ou la déportation. Quant au
bilan de la deuxième intervention, il se chiffrait à des milliers de morts et
une crise qui perdure encore.
De même, l'année
1968, de février à août, les Tchécoslovaques, en grande partie des jeunes
patriotes, manifestent à Prague sur la place Wenceslas pour réclamer la
démocratisation du pays : c'est ce qu'on appelle aujourd'hui le Printemps de
Prague. Prônant un socialisme à visage humain, et des libertés individuelles,
ces révoltes furent écrasées par l'intervention armée de cinq pays membres du
pacte de Varsovie.
Puis suivirent
encore d'autres «printemps».La république populaire de Chine en connut deux :
Le premier eut lieu en 1979 juste après la disparition de Mao. Les contestataires
de 1979 réclamaient la cinquième modernisation : l'avènement de la démocratie.
La place Tian'anmen, qui était l'épicentre de la
révolte, en plein cÅ“ur de Pékin, occupée par des milliers d'étudiants durant
près d'un mois, fut encerclée par l'armée et ses occupants exterminés. Le
résultat de ce tragique épisode n'est pas connu avec précision mais pourrait
monter à plusieurs milliers de victimes.
Le second
«printemps de Pékin» qui a secoué pendant près de deux mois la Chine, de la période allant
du 15 avril au 4 juin 1989, fut appelé le «massacre de la place Tian'anmen». Massacres qui se sont conclus par une violente
répression et la mort de milliers de personnes. Selon les sources, le nombre de
victimes se situait autour de 2000. Plusieurs dirigeants politiques propices au
mouvement étaient démis de leurs fonctions et placés en résidence surveillée,
notamment le secrétaire général du Parti communiste chinois, Zhao Ziyang.
Les pays
occidentaux n'étaient pas à l'abri des contestations populaires ou estudiantines.
Bien au contraire, un pays comme la
France, a renoué avec les contestations et les barricades au
mois de mai 1968. Contestations qui avaient des causes enracinées profondément
dans la société française de l'époque.
Et bien qu'elles
ne soient pas appelées «printemps» de
Paris, ces manifestations d'étudiants parisiens avaient les mêmes indications
que les révoltes qu'a connues Budapest ou Prague par exemple. Exaspérés par une
société autoritaire et paternaliste, ces jeunes, quadrillés par les intellectuels
de gauche et quelques hommes de Lettres tels Sartre, dénonçaient le
capitalisme, l'austérité morale gaulliste, et surtout la domination américaine
montante.
En Algérie,
excédés par des conditions sociales et économiques difficiles et l'absence de
démocratie, les Algériens eurent eux aussi en 1988 leur «printemps». Ils
investirent le 8 octobre les rues. Les troubles s'étendirent à tout le pays,
les émeutiers de presque toutes les villes et villages s'attaquèrent à tout ce
qui portait l'enseigne de l'Etat et le parti FLN comme les postes de police,
ministères ou mairies etc. Tel un séisme, Octobre 88, marqua la fin d'une
époque.
Il est une
évidence que dans tout événement qui se produit dans la vie, quelle que soit sa
nature, il y a toujours des causes endogènes et des causes exogènes. De ce
fait, les vagues de contestation et les exigences du changement des peuples,
depuis 1848 jusqu'à 2011 n'ont pas été tout à fait identiques, mais elles
s'entrecroisèrent dans certains points :
- Absence de démocratie
et alternance du pouvoir, vieillesse des dirigeants, corruption des hommes
d'Etat sont les points cardinaux qui ont alimentées les contestations et les
révoltes des peuples depuis au moins 1848, date de premier printemps. Dans
L'Europe de cette fatidique date, rares étaient les régimes démocratiques :
régimes autoritaires et oligarchiques. L'État policier : l'Empire d'Autriche,
le royaume Prusse, et cela, malgré le vent propice de la révolution de 1789 qui
n'était pas assez loin.
- Discrédit à
l'encontre du Pouvoir et les régimes totalitaires, soit en Europe occidentale
du dix-neuvième siècle soit en Europe des partis communistes du vingtième
siècle.
En France, par
exemple, là où la boule de neige connut son ébauche, la colère était forte
contre le roi Louis-Philippe , Roi de France à cette
époque, âgé de 74 ans et au pouvoir depuis 18 ans.
En 1847, une
année avant le réveil des contestataires, une affaire de corruption accentue la
colère des Français, l'ancien ministre des travaux publics est reconnu coupable
d'avoir reçu des pots de vin en 1842 pour faciliter l'attribution d'une
concession de mines.
La crise
économique et sociale de 1846-1848 causée par de mauvaises récoltes : chômage,
famine etc. donna lieu à une grande campagne de l'opposition contre le roi. Une
grande Révolution des ouvriers conduit à la chute de Louis-Philippe.
Louis-Philippe se réfugia en Angleterre. Le prince Louis napoléon est élu
président avec une immense popularité. Trois année plus tard, Le 2 décembre
1851, il fait un coup d'état et instaure un régime politique dictatorial qui
s'est transformé en Empire : la révolte échoue(!?).
- Quant aux
«printemps» de la seconde moitié du vingtième siècle, le constat fut presque le
même. Autoritarisme et corruption étaient monnaies courantes. Loin derrière le
rideau de fer, et sans aucune couverture médiatique, les révoltés parmi le
petit peuple et quelques intellectuels farouches subissaient les pires sévices
des polices secrètes et cela jusqu'à la chute du mur de Berlin.
Après avoir subi
les aléas du colonialisme : crimes, enfumages des tribus entières, famines,
despotisme, les peuples du monde arabe de la seconde moitié du vingtième siècle
virent enfin le bout du tunnel avec les indépendances, mais ne croyaient jamais
qu'ils seront mis au pied du mur par leurs propres «frères». Leurs libertés
tant espérées, achetées par le prix fort de leur sang et souffrances, volaient
en éclat. A défaut d'un pays «en voie de développement» et de chances égales
pour toutes et tous, ces peuples furent «guidés» par des pouvoirs
paternalistes, et virent leurs richesses «contrôlées» par leurs élites. Le
regard de ces mêmes peuples, tant au Machrek qu'au
Maghreb, après plus d'un siècle d'incarcération à ciel ouvert, privations,
humiliations, était braqué vers la justice, l'égalité, et les valeurs de l'Etat
de droit. Mais au lieu de cela, ils furent instruits par une armada de
théoriciens de tout bord, à voir les présidences à vie, les républiques
héréditaires, le trucage des élections, comme des fatalités.
Comme l'escargot
les jeunes révoltés du printemps arabe se retirent de leurs coquilles et
sortent leurs griffes pour décrier la «Hogra», ce
terme purement algérien qui désigne un mélange de mépris et d'abaissement en
raison du caractère corrompu des régimes.
Avec ou par les
outils que fournit l'ère de l'information, la génération «y» a fracassé, brisé
les bulles de verre que les régimes ont érigées pour la contrôler, cadrer,
tantôt au nom des «légitimités révolutionnaires», tantôt pour défendre la patrie
contre les ennemis de «l'intérieur» et de «l'extérieur».
Le contrôle de
l'information qui fut auparavant l'une des conditions de la survie des régimes
n'a plus aucun sens maintenant. La génération «y» de Tahrir
au Caire, ou dans n'importe quel épicentre de nos nombreuses villes et
villages, sait presque tout de la vie politique et économique de «son» pays.Mieux encore, ces jeunes qui prononcent à tout moment
les «why» à travers le net, connaissent en détail la
vie mondaine de tel responsable local ou telle «autorité», Ils savent par
exemple la réponse «vraie ou fausse», le pourquoi de la longévité de tel
responsable dans son poste et la source de richesse de l'autre.
Ces jeunes dont
la participation était active aux contestations du Caire, de Tunis ou encore de
Homs, savent pertinemment que leurs sacrifices ne leurs donnent pas le droit
d'être les nouveaux «guides» de leurs sociétés.
Au fait, ne
dit-on pas que les révolutions ne profitent qu'aux autres ?
*Université
d'Oran
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Posté Le : 09/02/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : Mohamed Sahbi*
Source : www.lequotidien-oran.com