Algérie

Presse, corruption et artistes en colère



«Toute révolution qui n'est pas accomplie dans les m?urs et dans les idées échoue» Chateaubriand

Le malaise est évident qui puise ses racines dans une gouvernance qui s'articule sur les décisions du président de la République et dans les attentes que ces dernières génèrent.

Avant l'annonce du gouvernement qui a fait suite à l'élection présidentielle, la majorité qui gère les affaires du pays est aux abonnés absents. Sans la presse privée qui habille les blancs, les silences dans le champ politique où est censée activer la coalition, l'Algérie ressemblerait à une planète sur laquelle le temps, la vie seraient suspendus jusqu'à une intervention de M. Bouteflika dévoilant une liste de ministres ou de grands commis de l'Etat. Bien entendu, un chef d'Etat doit prendre le temps nécessaire à la réflexion, aux choix qui seront portés sur des femmes et des hommes aptes à assumer de lourdes responsabilités qui dépassent ceux qui les portent, parfois au-delà de toute une génération. Cela ne doit empêcher chacun à exercer ses responsabilités comme s'il venait à peine d'être désigné. C'est tout simplement la continuité de l'Etat, la responsabilité.

Lors de sa campagne électorale, M. Bouteflika a marqué des préoccupations d'ordre stratégique et national qui étaient plus ou moins absentes du côté des responsables durant deux mandats présidentiels. Il s'agit de la culture, de la presse, donc de leur statut et leur fonction sociale dans un pays qui sort à peine d'une tragédie sans précédent. Une des causes de la décennie rouge s'est trouvée justement lovée dans l'absence d'une politique nationale d'envergure pour le champ culturel et celui de la presse et la communication dans toutes ses déclinaisons. Dans son discours d'investiture, M. Bouteflika avait épinglé le terrible mal qui a participé à déstructurer le pays en profondeur: la corruption qui a des réseaux et des agents très actifs. Or la presse n'est pas immunisée contre la corruption et le blanchiment d'argent qui surgit ex nihilo pour devenir «propre» à travers la captation d'une publicité massive en provenance du secteur public. Toute la profession voit émerger des titres et des publications qui engrangent très rapidement des sommes colossales à partir de rien du tout. Et il est très facile d'enquêter, à raison de deux ou trois auditions par jour, pour savoir qui est derrière qui et qui finance quoi.

L'Etat a tous les moyens, dans la transparence, de faire connaître publiquement le tirage de chaque publication, ses ventes, ses recettes publicitaires et toutes les charges (salaires, impôts, cotisations, mutuelle, assurances diverses...) qui mesurent la santé d'un journal, son ancrage réel correspondant à une fonction sociale, informative et culturelle. L'Etat a les moyens légaux de réguler la publicité, son volume en fonction de l'espace rédactionnel comme c'est la règle dans les pays où sont nées la presse et les machines qui lui donnent une vie et un écho dans l'opinion publique.

En un mot, il n'est pas moral que les espaces consacrés à la publicité soient égaux ou supérieurs à ceux où l'on donne à lire le pays et de monde. La norme est aussi valable pour les médias lourds au-delà du statut juridique dans les pays où il existe obligatoirement. Par-dessus la régulation, la publicité est de la responsabilité de l'annonceur (public ou privé) qui gère un budget et donne de l'argent selon des critères basiques aussi anciens que «la réclame» dans lesquels le politique n'a aucun pouvoir d'ingérence car le gestionnaire est comptable devant le conseil d'administration, le fisc, le commissaire aux comptes, l'IGF et éventuellement la justice.

De par le monde, il y a de puissantes internationales publicitaires qui font et défont la presse ou des chaînes de TV. Ce qui n'a rien à voir avec le bricolage national où la publicité est une donne politique aux mains de l'Etat ou de groupes privés qui, à juste raison, se battent pour le marché algérien. C'est leur raison d'être et ils défendent à juste titre les intérêts des actionnaires qu'ils soient en Algérie ou à l'étranger. Les débats et discussions qui animent les rédactions des titres nationaux attestent sans équivoque de l'opacité, des frustrations, des viols répétés de la clause de conscience inscrite dans la loi, toujours en vigueur, sur la presse et les médias lourds.

Qui s'en souvient ou la défend ? Du papier et des intrants sont importés en devises fortes, des tonnes d'invendus grossissent chaque jour des décharges et des usines de recyclage de papier et les sachets noirs décorent encore et toujours le paysage urbain, jusque devant des institutions nobles dont les murs s'effritent. Tout comme le vert kaki a remplacé définitivement le blanc et le bleu méditerranéens, dans les façades, les institutions, le secteur privé et les cités populaires encastrés dans la ferraille des portes et fenêtres. Tristes tropiques! Les réalisateurs cinéma et TV sont en colère. Cela arrive tout le temps dans les grands pays producteurs de son et d'images, de 3D, de HD et de choses féeriques pour le bonheur des grands et petits. Dans ces contrées, la colère est toujours tournée vers l'amélioration des systèmes, des lois et des industries. Et dans la défense des intérêts des créateurs et des techniciens, de tous ceux qui font tourner les industries et la consommation. En Algérie, les artistes sont en colère pour définir un système, ses lois, ses règles dans la transparence, pour qu'ils vivent bien de leur art irremplaçable, inaccessible à l'administration qui les traite comme des moins que rien. Ils ont un CNCA sur le papier.

Qui peut dire la composante des commissions spécialisées de ce sigle, ses experts juridiques, ses managers, ses ateliers de réflexion sur la production, la coproduction, ses spécialistes pour la concurrence imposée par le téléphone mobile, l'internet et les chaînes satellitaires ? Mais il y a un sigle et des articles énoncés dans le J.O. Mission accomplie pour l'administration.

Mais alors, que manque-t-il ? La volonté politique de voir un puissant syndicat des créateurs, un autre pour défendre les salariés de la presse et un autre pour les actionnaires des journaux. Ce ne sera pas pour cette décennie.
 





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