Algérie

PRESIDENTIELLE FRANÇAISE



«La vie m'a appris qu'il y a deux choses dont on peut très bien se passer : la présidence de la République et la prostate.»
(Georges Clemenceau)
Le score réalisé par la candidate du Front national et la relative déception (ou relatif succès[ 1]) du Front de gauche ont dominé les commentaires du premier tour de l'élection présidentielle française. Très vite, les débats se sont portés sur les résultats du second tour et même bien au-delà du «troisième », cogitant le paysage politique qui émergerait du naufrage prévisible de N. Sarkozy et de l'UMP [2]. En fait, tout ce qui pense sur la place et au-delà est déjà en septembre, computant ce qu'il peut advenir d'une Europe en crise économique et financière profonde, aggravée par une crise politique qui a commencé en Grèce, à Chypre, en Italie, Espagne… et qui se propage peu à peu aux latitudes septentrionales. On comprend, dans ces conditions, l'inquiétude d'Angela Merkel qui voit peu à peu son pays et sa politique interpellés. L'Allemagne servie par un euro faible (au regard de ses performances), dont l'austérité et le mercantilisme à outrance assurent des excédents confortables, se retrouverait très seule si d'aventure Sarkozy devait s'éclipser comme semblent l'annoncer les résultats du premier tour et les sondages. Il sera très difficile de maintenir l'illusion d'un couple francoallemand, «clé de voûte de la construction européenne», qui ne recouvre plus aucune réalité. La plupart des observateurs, notamment français, voient bien que la zone euro devrait porter le nom qu'elle mérite, celui de «zone Mark», car c'est entre Francfort et Berlin que se décide désormais l'ordinaire de la vie économique et monétaire du continent. Ces premiers résultats attestent d'un grand nombre d'échecs du président français.
1.- C'est la première fois qu'un candidat sortant arrive derrière un opposant qui n'a jamais assumé de responsabilités ministérielles.
2.- Si on laisse de côté le cas de Bayrou (dont le parti a été plumé dès 2007 et qu'on ne voyait pas se ranger aux côtés de Sarkozy, sous peine de ruiner définitivement son chemin de croix solitaire) et celui de Le Pen dans un contexte différent, le candidat sortant avait fait le vide autour de lui en obtenant que tous les candidats plus ou moins déclarés à droite se retirent ou renoncent en se rangeant à ses côtés (Christine Boutin, Hervé Morin, Jean-Louis Borloo…). C'est dans ce sens qu'il convient d'interpréter le constat : «Sarkozy dispose de peu de réserves au second tour.» Il est vrai que le candidat sortant s'était donné comme objectif d'arriver en tête au premier tour pour enclencher une dynamique pouvant lui donner le maximum de chance au second. A l'évidence, même si c'est à un point et demi près, il a échoué à atteindre cet objectif et perd ainsi sur les deux tableaux. C'est sans doute à cela que l'on doit la forme qu'a prise l'entre-deux tour de l'élection.
3.- Il n'est pas moins évident que le modèle binaire que cherchait à introduire en France le locataire de l'Elysée en référence au binôme antagoniste anglosaxon, un parti démocrate vs un parti républicain qui alternent chacun son tour pour conduire une politique à peu près semblable, sous le contrôle d'un Congrès omnipotent sous l'influence de lobbys, s'est fracassé sur la Constitution de la Ve République qui résiste malgré les coups qui lui ont été portés depuis une trentaine d'années. La réduction du mandat présidentiel à cinq sous prétexte de synchronisation avec le mandat législatif (illusoire tant que subsiste le pouvoir élyséen de dissoudre l'Assemblée), n'est pas le moindre. Le paysage politique français demeure un jeu (certes complexe) à quatre. En tout état de cause, sûrement pas à deux.
4.- Le «siphonneur» siphonné
«Ce n'est pas Le Pen qui m'intéresse, c'est son électorat.» N. Sarkozy, 15 avril 2007. Une des clés du succès de N. Sarkozy en 2007 a consisté en une «politique d'ouverture» qui a pris l'allure d'un débauchage systématique de ses adversaires, profitant des inimitiés internes, aussi bien chez Bayrou qu'au Parti socialiste. Sarkozy s'était gaussé de ses adversaires socialistes en se déclarant meilleur directeur de ressources humaines qu'eux[3]. C'est ainsi qu'un certain nombre de «transfuges », à divers titres et sous divers prétextes, ont saisi la main tendue par l'Elysée : Claude Allègre, Eric Besson, Jean-Marie Bockel, Jacques Attali, Huber Védrine, Jack Lang, Michel Rocard, Michel Charasse, Dominique Strauss- Kahn, Bernard Kouchner… et de nombreuses personnalités classées à gauche. Même Roger Hanin s'était persuadé que le vote qu'il avait apporté à Sarkozy était conforme à ses engagements. Malheureusement, cette tactique est un fusil à un coup. Reprendre les thèmes du Front national à son compte et s'imaginer ainsi le dépouiller de ses électeurs, le procédé a fait long feu. Les résultats du premier tour semblent valider l'aphorisme de papa Le Pen : «Les Français préfèrent toujours l'original à la copie.» François Hollande, au contraire, comptait à gauche au premier tour de nombreux concurrents : deux candidats «d'extrême gauche», une écologiste, un communiste et même un gaulliste (Dupont-Aignan) qui défendait des thèses sur certains thèmes très proches de celles de Mélenchon. Il a eu dans ces conditions beaucoup de mérite à arriver en tête. En sorte qu'il faut accorder quelques crédits aux sondages qui avec constance — l'annoncent vainqueur du second tour avec un score très flatteur oscillant entre 53 et 56%, selon les instituts. En réalité, l'échec de Nicolas Sarkozy a été annoncé très tôt, au cours de la deuxième année de son mandat. De plus, il ne faut pas oublier que la majorité UMP a perdu toutes les élections intermédiaires (municipales, régionales, européennes, sénatoriales une première sous la Ve République). C'est d'ailleurs pourquoi tout au long du quinquennat, aucun référendum n'a été proposé aux Français : le Traité de Lisbonne ou le retour de la France dans le système militaire intégré de l'OTAN par exemple ont été ratifiés par voie parlementaire. En outre, tous les sondages sont défavorables au président depuis de nombreuses années et préfiguraient pour l'essentiel les résultats de ce premier tour. A un Front national près.
Double-bind lepéniste
Contrairement aux apparences, la marge de manœuvre du Front national est plutôt faible et la gestion de son succès relatif semée d'embûches. Le ralliement éventuel des voix lepénistes à la cause de Sarkozy en soutien à sa réélection paraît très problématique. Marine Le Pen ne le veut et ne le peut. Ceci en raison de la composition très hétéroclite de son électorat qui interdit que les votes FN et UMP mécaniquement s'additionnent. Les centres de gravité des électorats ne coïncident pas. Circonstance aggravante : une partie importante de ceux qui ont voté pour elle l'ont fait précisément en raison de son opposition à la politique de Sarkozy. Comment pourrait-elle, sans démonétiser son crédit politique et électoral, se rallier à celui qu'elle ne cesse de critiquer ' Ce serait de plus contraire à ses intérêts et à ses objectifs dans l'hypothèse où, en futur recours, elle parie sur l'éclatement de l'UMP aux lendemains de la présidentielle, espère ramasser ce qui restera de l'appareil sarkozyste et réorganise toute la droite autour de son parti. A noter au passage que Bayrou tente une configuration identique avec des moyens, et donc des perspectives, plus limités. Se préparant à cette éventualité (qui relègue l'alignement du candidat UMP sur les thèses frontistes de curiosité électorale), le FN, s'il n'envisage pas pour le moment de changer de nom, a choisi néanmoins de se présenter sous l'appellation «Rassemblement bleu Marine» aux élections législatives de juin. Ceci dans la poursuite d'une politique de communication (dite de «dédiabolisation») destinée à élargir son audience. Lors des prochaines élections législatives, ce choix ambitieux du FN induira des triangulaires compliquées qui confèrent généralement un avantage à la gauche et ne permettrait pas à Marine Le Pen de disposer d'un nombre d'élus proportionnel à son score de ce premier tour. Sans compter que si des compromis locaux sont envisageables, notamment dans les circonscriptions méditerranéennes, de nombreux électeurs de l'UMP ne lui sont pas favorables, une part importante du vote centriste lui échapperait ainsi que l'électorat juif très influent et très réticent[4], dans sa majorité, à une alliance avec une Marine Le Pen qui demeure fidèle aux choix idéologiques d'un père lequel quoi qu'il en dit reste dans les coulisses l'éminence grise qui pilote le FN avec une longue laisse. Ce fin connaisseur des rouages organiques de la vie des partis a fait ses classes dans les allées du parlementarisme de la IVe République, il a derrière lui plusieurs décennies de roublardises politiques et connaît toutes les subtilités tortueuses de la profession. Il tire les ficelles d'un «poker menteur» mortel tout en laissant sa fille exposée aux feux de la rampe. Bruno Gollnisch, lui qui disputait à «l'héritière» la tête de ce parti (et qui en est l'actuel «conseiller aux Souverainetés», a fini par en convenir. Une revanche sur l'histoire et contre l'establishment politique parisien qui ne l'a jamais admis en son sein. Cet homme a la rancune tenace. On peut, à la vue des derniers résultats et du score de sa fille, l'imaginer se réjouir avec délectation du mauvais tour qu'il fait à ceux qui l'ont tant «ostracisé». Il soupçonne cependant Sarkozy de n'avoir qu'un seul parti et qu'un seul principe : accéder et se maintenir au pouvoir à n'importe quel prix. Sous la menace de la justice qui l'attend défait de son immunité présidentielle, avec des dossiers difficiles (Bettencourt, Karachi…), le candidat-président qui défend une idéologie par jour, a plus d'une raison pour ne pas perdre. Hier, glorifiant la mémoire de Jaurès ou honorant avec conviction celle du Général de Gaulle, demain prêt à conclure un pacte avec Marine Le Pen et après-demain reniant amnésique tous ses engagements, sauf un : servir fidèlement et exclusivement les intérêts de Sarkozy. Tous les pouvoirs procèdent du président de la République. Hors de l'Elysée, point de salut. Et cela, tous les protagonistes le savent. Jean-Marie Le Pen qui a des convictions arrêtées n'est pas le dernier à s'en méfier. En ces circonstances, toutes les cogitations lepénistes seraient vaines si le FN ne parvenait pas à recomposer autour de lui sinon toute la droite, du moins une part critique, hors de portée d'un «centre» versatile et incontrôlable. Et cela reste encore loin d'être possible. 17,9% est un score intéressant, mais l'isolement du FN ne lui permet, dans un scrutin majoritaire à deux tours, pas d'en user tel un levier. Le tintamarre médiatique qui a accompagné ce résultat fait oublier que 82,1% des Français ne votent pas Front national. Deux hypothèses de travail pourront peut-être expliquer la «neutralité» du Front national qui selon les observateurs français proches du terrain s'apprêterait à voter «blanc» au second tour de la présidentielle.
1.- Les «visiteurs du soir»
Le réel pari du FN (ouvertement reconnu par certains de ses membres) est de ne pas contrarier l'élection de Hollande et d'attendre patiemment l'épuisement rapide de son quinquennat. Sachant que sa politique sera tout compte fait proche de celle de Sarkozy : européenne et austère, sous l'influence et le contrôle tout à la fois de Francfort, de Berlin, de Bruxelles, des marchés financiers et des Agences de notation. Certes, débarrassée du blingbling, des coups d'éclats sans lendemains, des thèmes xénophobes… mais peu ou prou comme son prédécesseur — soucieux d'équilibre budgétaire, il finira par échouer devant les problèmes traditionnels de la France, avec pour conséquences prévisibles (malgré quelques mesures en faveur des couches populaires - en tout état de cause insuffisantes), une aggravation de la situation économique et sociale de ceux qui forment le flot intarissable des électeurs dont le Front national s'échine à expliquer le calvaire : l'Europe, l'immigré en quête de prestations sociales, le musulman terroriste, l'Etat, les fonctionnaires parasites, les bolchevicks, les impôts... Ceci explique le soutien à reculons à Hollande d'un Mélenchon qui doutant des capacités réelles du PS à traiter efficacement des problèmes du pays — fait, à quelques nuances près, un calcul similaire. Comme à l'époque du Front populaire qui a bénéficié de la part des communistes d'alors d'un soutien critique sans participation. Mélenchon n'a jamais oublié les pétitions de reconversion de F. Hollande : «Pour celles et ceux qui ne s'en seraient pas encore aperçus, il y a longtemps que nous avons accepté l'économie de marché et, dans l'ensemble, nous l'avons plutôt bien géréée.» Emmanuelli ne s'en était pas plus caché : «Parvenus au pouvoir, les socialistes ont bel et bien accepté l'économie de marché. Ils l'ont fait très précisément le vendredi 23 mars 1983 à 11h du matin» lors du conseil des ministres qui décida, sous la direction de François Mitterrand, «de rester dans le système monétaire européen et de mettre en œuvre un plan d'austérité », avait-il ironisé, en évoquant le «tournant de la rigueur». (31 août 2007). Ceci explique cela.
2.- Une unique solution, la proportionnelle
Le Front national ne peut dans ces conditions accéder au pouvoir que sous une seconde condition (soutenue par d'autres partis comme celui des Verts) : achever de démanteler les institutions de la Ve République et en revenir dans l'idéal — à une proportionnelle intégrale à un tour qui, moyennant un jeu de levier avisé, déplaçant le centre de la décision de l'Elysée vers Matignon et le Palais Bourbon, lui donnerait la possibilité de peser de manière décisive sur les affaires de la République. Une dose de proportionnelle avait été concédée un temps par Mitterrand dans le but transparent de handicaper ses adversaires de droite. Sarkozy, semble-t-il, vient d'en faire la promesse dans l'espoir d'un soutien frontiste au second tour. Il serait toutefois douteux qu'il l'obtienne, pour toutes les raisons énoncées ci-dessus.[5] Ces règles du jeu (avec quelques nuances selon les contextes locaux) sont en usage un peu partout en Europe (Grande-Bretagne, Italie, Grèce, Belgique…) avec une instabilité chronique à l'origine de la crise gravissime qui vient de secouer les Pays-Bas. A moins d'une configuration politique surprenante, la réalisation de ces hypothèses paraît peu probable. Ce serait la première fois sous la Ve République que le «centre», ordinairement choyé, au cœur des seconds tours, serait complètement absent des débats aujourd'hui entièrement dominés par le syndrome Front national. «Ces événements nous dépassent. Feignons d'en être les instigateurs.»
A. B.
[1] Quand on songe au score qui était celui de J.-L. Mélenchon en octobre dernier (5.5%) ou à celui de Marie-George Buffet en 2007 (1.93%), à moins d'être de mauvaise foi, 11,10% c'est loin d'être un échec.
[2] L'une des plus intelligentes propositions de ce premier tour, une innovation rafraîchissante dans une campagne politique, a été tournée en ridicule par la quasi-totalité des médias et des politiques. Jacques Cheminade a repris et vulgarisé avec pertinence une idée lancée il y a longtemps, par un certain nombre de scientifiques et d'ingénieurs sur l'importance pour l'humanité de réfléchir sérieusement à l'occupation par l'homme de l'espace et en particulier à l'exploitation des richesses considérables situées entre Mars et Jupiter. Cette idée demanderait des développements qui ont été purement et simplement passés à la trappe par les journalistes. De nombreux ouvrages en traitent. Lire sur cette question à titre d'exemple le livre d'André Lebeau (1986) : L'espace en héritage. Odile Jacob, paris, 442 p.
[3] «Au fond, peut-être que je suis celui qui sait le mieux exploiter les richesses humaines du Parti socialiste. Ils ont des gens très bien, ils ne les utilisent point. Dans une autre vie, je pourrai peut-être faire directeur des ressources humaines.» N. Sarkozy, août 2007.
[4] Apartir des Etats-Unis, BHL s'est dit très préoccupé par la tournure prise par les élections françaises. Il accuse, dans un entretien accordé le 24 avril à une chaîne de TV US, le Front national d'héberger des «crypto-fascistes ».
[5] En mai 2010, le bureau politique de l'UMP avait hésité entre un projet de réforme des collectivités territoriales prévoyant un scrutin uninominal à un tour et une proposition déposée alors par Eric Ciotti visant à interdire les triangulaires au second tour des élections en stipulant que seuls les deux candidats arrivés en tête au premier pourraient se présenter au second, alors que tout candidat ayant recueilli 12,5% des inscrits peut aujourd'hui se maintenir aux législatives (10% pour les régionales).




Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)