Algérie

Présentation de Aïssa Kadri, sociologue



Le jugement historique le plus simple portant sur la "signification" historique d'un "fait concret" est loin d'être le simple enregistrement du "donné".Max Weber
Parmi les recommandations du rapport Stora, la construction d'une stèle en hommage à l'Emir Abdel Kader comme acte fort de réconciliation franco-algérien semble la plus consensuelle et représenter par-là même un geste symbolique autour duquel Algériens et Français pourraient se retrouver. Les réflexions développées ci-dessous par l'historien britannique Neil MacMaster montrent que c'est plus complexe que cela et que le rapport de la mémoire à l'histoire ne procède pas seulement de v'ux, fussent-ils animés par les meilleures intentions. Il y a en effet sur ce cas précis un paradoxe du "symbole de l'Emir".
La volonté des nationalistes algériens de détruire en 1949 un monument dédié par le tristement célèbre Naegelen à l'Emir témoigne de l'ambiguïté de l'usage du symbole. Ambiguïté aussi forte dans les modalités de l'appropriation par les Algériens de leurs représentations de l'Etat-nation et de la place de l'Emir dans sa définition historique, que dans l'instrumentalisation, selon les contextes, par l'Etat français du rôle de l'Emir dans ses rapports à l'Algérie comme pays qui serait né de la colonisation.
Chez les jeunes générations du Hirak, ce sont d'autres figures historiques, notamment Larbi Ben M'hidi et Ali La Pointe dont on sait la fin tragique, qui sont revendiquées. La guerre d'Algérie par ailleurs reste elle-même un moment de la redéfinition de l'Etat-nation français ; on l'observe aujourd'hui dans une espèce de retour de l'histoire, sans doute trop vite mécaniquement liée aux seuls effets coloniaux.
On voit bien là que le rôle de l'histoire est fondamental. Cependant, objectiver les faits est une démarche qui ne va pas de soi. La difficulté majeure qui est une quasi-aporie des sciences sociales est que, si l'on pose comme prérequis épistémologique, à la suite du linguistique Saussure, que "c'est le point de vue qui crée l'objet", une part de subjectivité interfère toujours sur l'interprétation même si celle-ci fonctionne comme explicitation au sens wébérien. C'est en effet le point de vue qui permet de voir ou de ne pas voir, d'occulter ou de révéler, de se poser les bonnes ou les mauvaises questions. La position de nombre d'historiens a souvent dissimulé des partis pris déguisés. Ceci a notamment fait que s'est développée à propos de l'Algérie une école révisionniste d'historiens français.
La démarche positiviste, pour heuristique qu'elle soit, ne peut à elle seule révéler toute "la vérité" des faits, et elle est souvent accompagnée par des engagements dans des combats politiques du présent. Par ailleurs, souhaiter tenir l'équidistance n'est pas plus objectiviste comme démarche. Dans un rapport de domination où les protagonistes de la confrontation, historiens compris, sont situés, la distanciation reste faible, et c'est souvent par les marges que ce rapport de domination peut être le mieux interrogé.
C'est pourquoi les points de vue d'autres historiens que ceux du couple franco-algérien, appuyés sur un comparatisme explicitant les conditions de la comparabilité, peuvent être plus éclairants. C'est dans cette perspective que l'apport de ce texte me semble être très important.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)