Algérie

Prends ma démocratie et tais-toi !



Prends ma démocratie et tais-toi !
S'il était un compatriote, Michel Colucci, le Coluche du rire philosophe, aurait été digne de l'Ordre national du mérite algérien. A défaut d'un Sadr ou d'un Âmid, il aurait été élevé à la dignité d'Athir ou accédé au grade de Djadir, peut-être même au rang d'Achir ou d'Ahid. S'il était parmi nous aujourd'hui, cet observateur impitoyable des turpitudes de la politique aurait dit encore que «s'il y avait un impôt sur la connerie, l'Etat s'autofinancerait», y compris sur la sienne propre. Le pouvoir algérien est encore plus riche de ses balivernes depuis qu'il a décidé de faire des législatives du 10 mai 2012 un acte démocratique cathartique. D'une valeur libératrice identique à celle du Premier novembre 1954 ou du Cinq juillet 1962, rien moins que ça ! Alors, comme dans une rigoureuse liturgie, la messe démocratique doit être dite, selon sa volonté, dans l'ordre et la sérénité et, selon ses v'ux, dans l'allégresse populaire. C'est dire si le manque d'enthousiasme des Algériens, ronchons et frondeurs, qui se mobilisent pour l'abstention et encore plus sur le front social, l'agace quand il ne lui donne pas des poussées d'urticaire. C'est ainsi qu'il s'est découvert des adversaires implacables, personnifiés par des gangs imaginaires de la patate et des chômeurs réels et solidaires de greffiers de justice en grève. Alliés politiques de circonstance, perçus comme des perturbateurs du bon climat électoral et des empêcheurs de voter en rangs serrés et en chantant Qassaman ! Le pouvoir semble dire à chacun d'eux «prends ma démocratie et tais-toi !» Alors, il a envoyé ses compagnies de CNS faire goûter aux protestataires et aux manifestants solidaires les caresses veloutées de gourdins maniés, avec dextérité, par des Robocops de bleu marine vêtus. A Alger et ailleurs, des greffiers et autres auxiliaires de justice ont été molestés et humiliés. Dans la capitale, à Skikda, Ouargla, Laghouat et Constantine, des chômeurs ont été arrêtés. Non content de faire jouer la trique cinglante, le pouvoir a déféré devant les juges Abdelkader Kherba, militant des droits de l'Homme et chômeur de longue durée, qui dort depuis quelques jours dans la prison cinq étoiles de Serkadji, à Alger. En grève de la faim depuis cinq jours, il risque d'y rester pour trois ans, sous le chef d'inculpation d'incitation à attroupement illégal, dans le cadre d'une procédure de flagrant délit. Ses avocats, une vingtaine de bénévoles, n'ont pas accès à lui et à son dossier alors qu'il n'y a aucune nouvelle au sujet de l'évolution de son état de santé. La loi ignore presque le droit, disait Victor Hugo. C'est le cas dans le dossier d'Abdelkader Kherba et de bien d'autres compatriotes, tels ces nombreux adjoints de l'Education, empêchés de protester devant la présidence de la République, brutalisés et emmenés dans différents commissariats de la capitale. C'est également le cas d'autres concitoyens, dont un candidat à la députation à Alger, arrêtés en même temps qu'Abdelkader Kherba et relâchés ensuite, accusés de délit de solidarité avec le détenu de Serkadji. C'est encore le cas, entre autres, de Hichem Derim, arrêté et accusé d'usage et de commerce de stupéfiants après une intervention dans une émission en direct de la radio publique. Cet algérois de Bab El Oued, qui a probablement cru que les législatives du 10 mai seraient l'acte fondateur d'une démocratie algérienne à la suédoise, a, de simple bon sens, affirmé que «les dirigeants du pays sont corrompus et doivent rendre des comptes.» Ce jeune aspirant démocratique à «pris la démocratie» octroyée par le régime mais ne s'est pas tu. Toutes ces atteintes caractérisées aux droits de l'Homme, sont les signes cliniques d'une pathologie politique. Maladie qui consiste à réprimer, grâce à l'usage sournois d'une brutalité policière savamment dosée, toutes les manifestations de mécontentement social et d'insatisfaction politique. Alors même qu'il n'y a pas forcément de relation de cause à effet, le régime estime que tout mouvement de contestation, donc tout rassemblement sur la voie publique, est à la fois une atteinte à l'ordre public et une déstabilisation du processus électoral en cours, prélude aux élections thaumaturgique du 10 mai 2012. Le délire paranoïaque est tel que le chargé de mission permanent du pouvoir pour les droits de l'homme, celui du fameux CNCPPDH, a cru bon de préconiser des sanctions pour les abstentionnistes. A sa suite, d'autres grands serviteurs du régime ont crié au complot ourdi par une camorra cachée de la patate et par une cinquième colonne de blogueurs et de facebookers. Tous des harkis de l'abstention, à la solde des ennemis permanents de l'Algérie avec laquelle le pouvoir en place toujours se confond ! Greffiers tabassés, fonctionnaires de l'Education nationale maltraités, chômeurs persécutés et incarcérés, le préposé gouvernemental aux droits de l'Homme ne dit rien. En revanche, il porte atteinte lui-même à un droit de l'Homme fondamental, celui de la liberté de choisir. De voter ou de s'abstenir. De ne pas croire que le 10 mai 2012 serait le 5 juillet 1962 ou le 1er novembre 1954. Peut-être que c'est à ce chargé permanent des droits de l'Homme officiel qu'Emmanuel Kant a pensé en disant que «l'Homme a été taillé dans un bois si tordu qu'il est douteux qu'on puisse tirer quelques chose de tout à fait droit.»
N. K.




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