Algérie

Première mosquée en Algérie: la mosquée d’Agadir à Tlemcen 19 juin 790 - 19 juin 2003



Première mosquée en Algérie: la mosquée d’Agadir à Tlemcen 19 juin 790 - 19 juin 2003

De fidèles adeptes se rendent sur le parvis de ce que fut la première mosquée en Algérie, tous les 9 décembre et tous les 19 juin, pour se créer les séquences indélébiles de la fondation de la mosquée d’Agadir - Tlemcen par Idriss 1er, du 9 décembre 789 au 19 juin 790. Depuis que les résultats préliminaires des fouilles d’Agadir, effectuées par S.Dahmani et A.Khélifa entre 1973-1974, furent portés à la connaissance publique, un grillage rouillé permet à tous ceux qui traversent la route qui sépare le minaret, d’une part, la plate-forme de ce que fut la Grande Mosquée du Maghreb Central, d’autre part, de jeter un regard furtif sur l’un et sur l’autre comme s’il traversait un corridor dense en évènements et en symboles.

Que peut faire une route entre la mosquée et son minaret? Du haut du minaret d’Agadir, si l’on se retourne vers l’ouest, à l’horizon, l’on peut imaginer ce premier vendredi célébré par Aboul-Mouhadjer Dinar, le principal lieutenant de Oqba Ibn Nafi’ déjà en l’an 55 de l’Hégire, soit en l’année 675 avec les tribus berbères de Koceïla Ibn Melzem, de la Kahina et des populations environnantes, sur les hauteurs de Béni-Boulâan au lieu-dit depuis «Aïn Mouhadjir».

 Qui pourrait nous imaginer ce dialogue entre Aboul Mouhadjir, Koceïla Ibnou Melzem et la Kahina sur ces hauteurs encore capables de nous restituer un des jours les plus décisifs de l’histoire des rencontres des civilisations dans notre pays.

 Les Maghrawa de la région se rappellent encore le voyage que fit leur émir «Sawlat Ibn Wazmar» à Médine et se transmettent encore les détails de l’entrevue que leur ancêtre eut avec le Khalife Othmane Ibnou Affane.

 Leur descendance se souviendra de cette rencontre lorsqu’apparut à Tlemcen, une première fois, Soulayman Ibn Abdallah faisant campagne pour que parmi les descendants de Ali Ibn Talib, l’un d’eux devait accéder au pouvoir.

 Moussa Ibn En-Nouceïr a dû aussi s’arrêter en ces lieux en l’an 89 de l’Hégire, soit en l’année 708, et a dû faire ses prières avec ses compagnons, peut-être en ces lieux où Agadir - Tlemcen allait poser la première pierre de la principale mosquée du Maghreb Central, quelques décennies après.

 Au début du VIIème siècle aussi, Tariq Ibnou Ziyad avait reçu probablement dans ce corridor le Comte Julien venu lui proposer la conquête de l’Andalousie à partir du coeur du Maghreb Central.

 Il fallait que le Comte Julien laisse à Tlemcen deux de ses filles en garantie, et l’on peut imaginer les préparatifs qui ont dû avoir lieu avant l’épopée fantastique qui allait durer huit siècles consécutifs et mettre en scène des générations entières dans l’épopée de l’Andalousie.

 Bien sûr, avant ce 9 décembre de l’année 789, toute la population des Béni Yefren et des Maghilas se rappelle encore ce fils du pays, Abou Qorra Al-Yafrini, qui, en 732, reçut l’allégeance pour fonder un royaume près de la porte qui porta son nom, «Bab Abou Qorra», tout près de «Bab Sidi Boumédiène» et de «Bab Zir», en allant dans la direction d’Agadir.

 Qui rendra ce souvenir de l’année 732 à Tlemcen par la restauration de cette porte de «Bab Abou Qorra» si ceux-là mêmes ont pu extirper de leur subconscient ce qui leur a été enseigné avec force «qu’en 732 Charles Martel arrêta les Arabes à Poitiers» et que leurs ancêtres étaient «les Gaulois»?

 La légende veut qu’Abou Qorra partit de Tlemcen à la tête de 40.000 cavaliers et arriva aux portes de Kairouan avec 85.000 puis revint jusqu’à Marrakech. Après, il a dû s’éclipser en Andalousie et ne revenir à Tlemcen qu’en l’année 765.

 Soulaymane Ibn Abdellah était déjà à Tlemcen lorsqu’arriva, une première fois, Idriss Ibn Abdellah son frère, qui soutint sa campagne auprès des tribus berbères de la région.

 Idriss Ibn Abdellah repartit pour l’Orient puis revint, une seconde fois, à Tlemcen où il poursuivit la campagne, cette fois, pour son frère Yahya Ibn Abdallah après avoir échappé aux massacres de la bataille de «Fekh».

 Tlemcen était alors une plaque tournante dans le Maghreb de l’époque et c’est ainsi qu’ils s’y trouvèrent les trois frères: Idriss, Issaa et Soulaymane Ibn Abdellah (Ibn Hassan Al-Mouthenaa Ibn Hassan As-Sabt Ibn Fatima Ez-Zohra bint Sayidina Mohammad sur lui Prière et Salut) à faire campagne pour leur candidat et demi-frère Yahya Ibn Abdellah au Tabristan d’abord, puis, pourquoi pas, carrément pour l’un d’eux, Idriss Ibn Abdellah.

 

 Comme pour Tariq Ibn Ziyad, le séjour des frères Idriss, Isaa et Soulaymane, à Tlemcen, est passé sous silence par plusieurs chroniqueurs pressés de ne voir dans ces évènements qu’une ombre au déplacement du lieu géométrique vers l’ouest par le rôle joué patiemment par Tlemcen dans la turbulence des évènements sous les régimes omeyades et abbassides.

 Idriss Ibn Abdellah apparaît avoir atterri chez les Wallili, près de Tanger, par des voies autres que celles qui passent nécessairement par l’inévitable porte verrou du Maghreb.

 Pendant ce temps-là à Baghdad, les services de Haroun Er-Rachid s’inquiétaient de la popularité acquise par Idriss et ses frères à Tlemcen alors qu’ils venaient de faire échouer toutes les tentatives de prise du pouvoir à Médine, au Tabaristan, et de faire échouer toutes les autres tentatives.

 Les chroniqueurs ont retenu cette phrase célèbre de Haroun Er-Rachid lorsqu’il prit connaissance des activités de Idriss et de ses frères à Tlemcen:

 «Tlemcen est une des portes de l’Ifriquiya, celui qui tient cette porte, il tient aussi Ifriquiya!»

 Et c’est ainsi que fut dépêché, de Baghdad vers Tlemcen, le plus expert des cuisiniers du palais des Abbassides, Soulaymane Ibn Djarir, plus connu sous le nom d’»Ech-Chemmakh», avec son inévitable fiole pour mettre fin à cette autre épopée inachevée.

 Mohammed Ibnou Khazar Ibnou Sawat gérait à l’époque tous ces mouvements trépidants au Maghreb Central.

 Le destin frappait aux portes de ceux qui en avaient vu d’autres.

 La sagesse s’imposait devant les fantasmes les plus fous. La partie se jouait autour de Tlemcen.

 Des centres d’influence se développaient tout autour: Aïn Al-Hout, Rachgoun... Les Maghrawa, les Bani Yafren et les Maghilas de Tlemcen subissaient toutes les pressions.

 Leurs divisions vont les livrer aux uns et aux autres et Tlemcen va connaître un cycle infernal de destructions et de reconstructions successives.

 Idriss Ibn Abdellah arriva, cette fois-ci, à Tlemcen, avec une escorte comprenant plusieurs représentants des tribus du Maghreb.

 Les Bani Khazar le reçurent avec la déférence qui lui est due, n’étant pas un inconnu parmi eux, ces vingt dernières années.

 Depuis plus de vingt ans, Idriss Ibn Abdellah n’avait d’yeux que pour Tlemcen et voilà que c’est ici dans la capitale du Maghreb Central qu’il allait ériger la mosquée dont il nous laissera une inscription attestant de sa volonté d’y fonder une dynastie.


Les Banou Khazar lui offrirent le choix entre le plateau de Tagrart où plus tard sera érigée la Grande Mosquée par Ali Ibn Youcef Ibn Tachfin en 1136, et le parvis du temple Ausliva abandonné depuis longtemps et que la population d’Agadir aurait choisi pour continuer à exercer ses devoirs religieux et bénéficier du nouvel enseignement apporté par la nouvelle religion en expansion.

 Les travaux furent menés dans un temps record, ce qui laisse deviner la disponibilité des moyens de construction en place.

 Durant cette période, Idriss Ibn Abdellah fit connaître sa stratégie et ses khotbas nous éclairent sur ses orientations.

 Des appels répétés sur le retour au Livre Sacré et à l’application de la Tradition prophétique, mais aussi un appel à la justice entre les citoyens et à un partage équitable des richesses.

 Il insistait aussi comment suivre la voie du Bien et éviter la voie du Mal.

 Entre-temps, notre cuisinier de Baghdad était déjà à Tlemcen et ses qualités en firent de lui le cuisinier-chef du caravansérail et bientôt, il n’était que l’ombre d’Idriss dans tous ses mouvements.

 La cheville ouvrière d’Idriss «Sidi Er-Rached» pressentait un complot venant de Baghdad, lui qui avait pu sauver Idriss et ses frères de l’enfer de la bataille «Fekh». Il avait pu les accompagner jusqu’à Tlemcen et de là, il tenait à présenter Idriss à sa tribu de Wallili, près de Tanger, où il reçut les allégeances dues à son ascendance.

 Les travaux d’édification et d’ameublement de la mosquée d’Agadir s’achevaient avec mihrab et chaire de khotba où une inscription de la date put être déchiffrée par les chroniques qui se succédèrent sur le lieu.

 A peine l’inauguration eut lieu, un 19 juin de l’année 790, que Sidi Er-Rached organisa le départ d’Idriss de Tlemcen vers ses propres contrées, plus à l’ouest, pour le mettre à l’abri, car des renseignements lui étaient déjà parvenus que Baghdad avait envoyé quelqu’un pour mettre fin à l’épopée d’Idriss Ibn Abdellah.

 Mais le groupe restreint qui devait les accompagner comprenait notre maître cuisinier avec sa fiole préparée à Baghdad pour mettre fin à la vie d’Idriss.

 Fès n’existait pas encore, et le convoi s’arrêta près de Djebel Zerhoun, où «Ech-Chemmakh», se voyant de plus en plus cerné par les recherches et les méfiances de Sidi Er-Rached, présenta la potion dans une tisane censée réconforter Idriss du malaise qui l’avait atteint.

 Le forfait réalisé, «Ech-Chemmakh» prit la fuite et fut retrouvé et liquidé à «Oujda» par Sidi Er-Rached.

 Avant de quitter Tlemcen, Idriss avait pris soin d’envoyer un messager jusqu’en Tripolitaine pour que son frère Soulaymane puisse revenir à Tlemcen et continuer son oeuvre.

 Soulaymane et ses fils revinrent à Tlemcen, mais c’est à Aïn El-Hout qu’ils s’installèrent.

 L’épopée des Soulaymanyas est une autre histoire dans notre histoire!

 La mosquée d’Agadir va connaître d’illustres enseignants et élèves qui vont forger l’esprit d’études et de civilisations sur plusieurs générations qui auront à jouer un rôle décisif dans l’évolution du Maghreb.

 Le plus illustre d’entre eux est venu de M’sila, après avoir résidé à Tripoli, il s’agit d’Abou Djafer Ben Nasr Ed-Daoudi.

 

La mosquée d’Agadir eut pour élève le prestigieux Abdelmoumen Ibnou Ali et ses compagnons de classe regrettèrent par la suite de l’avoir désigné pour aller vers Béjaïa prendre contact avec un savant qui faisait tant parler de lui à cette époque.

 C’est que ce savant attendait cet élève impétueux pour mettre en oeuvre le projet le plus cher dans la conscience maghrébine, réaliser un Etat unifié.

 Les voilà de retour à Tlemcen et durant trois années, ils se retirèrent à El-Eurbad, dans la mosquée «Er-Rahma» sur les lieux de l’actuelle mosquée de Sidi Boumédiène, pour mettre au point la Constitution du nouvel Etat almouwahhad.

 Les compagnons de Abdelmoumen Ibn Ali n’acceptèrent pas sa démarche et celui-ci dut les quitter vers Marrakech avec son Maître El-Mahdi Ibnou Toumert pour fonder le nouvel empire qui, de l’Andalousie à Tripoli, allait constituer une autre épopée pour le Maghreb.

 Tlemcen venait, une autre fois, de refuser de jouer un rôle politique central pour le Maghreb, mais elle s’est suffi d’avoir formé le fondateur de cet Etat, en la personne d’Abdelmoumen Ibnou Ali.

 Si l’on revient à la mosquée d’Agadir et que l’on relève la tête pour admirer son minaret, une copie conforme du minaret de la Grande Mosquée de Tlemcen, on peut reconnaître à Sidi Mohammed Ben Aïssa, ce mathématicien et théologien du XIIIème siècle, qui accomplit vingt-cinq fois le pèlerinage à la Mecque, d’avoir gagné la confiance de Yaghmourassen qui lui rendait souvent visite et qui se décida à réaliser cette oeuvre en un hommage discret comme à son accoutumée «yessent rebbi», Dieu seul le sait!

 Visiter ce minaret, en escaladant ses marches, c’est accéder à l’une des vues les plus féeriques de l’environnement de Tlemcen. Rien n’arrête alors le regard pour se promener au loin de l’Est, vers le Nord et vers l’Ouest.

 Sidi Ali Ben Yahyia Es-Salaksani, au XVIème siècle, anima des cours restés célèbres dans la mosquée d’Agadir; il repose tout près de cette mosquée et il eut le privilège d’abriter près de sa tombe la nouvelle mosquée d’Agadir après l’indépendance.

 Mais Sidi Abderrahmane Ben Mohammed Ben Mohammed Ben Moussa, élève célèbre du précédent, a dû regretter, quatre siècles après, d’avoir été transféré au mausolée de Sidi Brahim Al-Masmoudy, bien qu’Agadir et Tlemcen aient conservé la mémoire de cette possession en un vendredi du mois de février de l’année 1603.

 Autour de la mosquée d’Agadir, que de souvenirs peuvent être réactivés face à la désolation culturelle vécue par ses habitants. Si d’abord les écoles pouvaient prendre l’initiative de faire visiter à leurs élèves les trésors des vestiges et légendes de leur région: la Cité d’Al-Gidar, Bab Er-Rouadh, les remparts et les tours de guet, les mausolées de la Princesse, de Sidi Wahb, de Sidi Ya’qoub? Le Bois Sacré, etc..

 Mais c’est sur le parvis de la mosquée d’Agadir que les enfants méditeront sur le poids de plus de douze siècles de prière, de culture et d’enseignements.

 Leur curiosité peut les amener à demander à savoir comment se fait-il que cette mosquée fut rasée?

 La réponse est dans un écrit en quelques lignes de l’abbé Bargès qui fit une promenade à Agadir en 1846 et qui nous dit en page 164 de son livre «Tlemcen, ancienne capitale du royaume de ce nom»: «C’est en 1845, pendant le siège de Tlemcen, que cet édifice fut rasé par les Français», ou ce que W. et G.Marçais nous disent simplement pour se justifier dans les «Monuments arabes de Tlemcen», p.137: «A l’entrée des troupes françaises à Tlemcen, le Jami’ El-Atiq ne présentait plus qu’un amas de décombres qu’on fit disparaître».

 Ceux qui ont eu le privilège de reprendre les fouilles en ces lieux de «l’amas de décombres» sauront constituer le dossier nécessaire au classement du quartier d’Agadir-Tlemcen dans le patrimoine universel avant de bénéficier d’une retraite dont Agadir aura été un des principaux leviers.

 Puisse le troisième millénaire permettre à Tlemcen de valoriser les joyaux réalisés durant son premier millénaire.




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