Algérie

Premier biopic de Camus Cinéma. Le premier homme de Gianni Amelio



Premier biopic de Camus Cinéma. Le premier homme de Gianni Amelio
Malgré les préventions à son endroit, c'est un film à voir.
Scénarisé et réalisé d'après l''uvre éponyme et posthume d'Albert Camus (lire encadré), le film Le premier homme est, depuis fin mars, en salle en France après l'avoir été, mais une année plus tôt, jour pour jour, en Italie. Curieux tout de même, alors que ce film ait été porté essentiellement par un producteur français et que l'auteur de L'Etranger, bien qu'universel, concerne davantage la France que l'Italie '
Curieux également que les trois seules adaptations cinématographiques des 'uvres de ce prix Nobel de littérature (1957) n'aient pas été réalisées par ses compatriotes, cela bien que son 'uvre et son parcours ' non sans arrière-pensées politiques ' se soient imposés ces dernières années sur le devant de la scène culturelle et politique en France, tandis que l'on y célèbre l'année du centenaire de sa naissance, en novembre 1913. En effet, sept années à peine après la mort de l'écrivain, le 4 janvier 1960, dans un accident de voiture, c'est l'illustre réalisateur italien, Luchino Visconti, qui s'était attaqué à L'Etranger (1967) puis, dans les années 1990, La Peste s'est vu transposé d'Oran en terre sud-américaine par le cinéaste argentin, Luis Puenzo. Et voilà que Le Premier homme est adapté à l'écran par Gianni Amelio, un autre Italien.
A croire que la singulière «ambigüité» de Camus installe le malaise, un malaise qu'accentue d'ailleurs la transposition filmique de sa dernière 'uvre, un roman inachevé et édité à titre posthume en 1994. D'évidence, et plus qu'auparavant, Camus inspire particulièrement aujourd'hui ceux qui clament la mort des idéologies. A cet égard, et pour en savoir plus, Gianni Amélio, sollicité par nous à un moment de pause lors d'une journée de tournage en la vieillotte gare d'El Amria (wilaya de Témouchent), transformée en celle de Mondovi (actuel Dréan, près d'Annaba), s'était refusé à tout entretien. Rien n'y fera encore, les jours suivants, en dépit de nos contacts avec ses collaborateurs pour intercéder en notre faveur. Normal, dira-t-on, tant le tournage en Algérie, principalement à Mostaganem, avait été entouré de suspicion.
Visionné en France, dans un multiplex cinématographique de Nantes, la première impression qui se dégage du film est que Gianni Amélio, qui en a été également le scénariste, a fait coïncider la ressemblance entre Albert Camus et Jacques Cormery, son double fictif dans le roman. Le récit filmique éclaté vogue dans un va-et-vient entre l'enfance de l'écrivain et une visite qu'il fit en Algérie en 1958, au plus fort de la guerre qui y sévissait.
Le scénariste-réalisateur y a ajouté ce que l'auteur n'avait pas écrit, mais qui est de notoriété publique, accordant près de la moitié de la durée de son film à Camus adulte, alors que l'écrivain ne lui a consacré que le dixième des 300 pages de son 'uvre. De la sorte, l'enfance évoquée, de loin la partie la plus attachante du film, n'est là que pour justifier l'attitude de l'adulte Camus, terriblement marqué par son attachement fusionnel, voire pathologique, à un humus qu'il refusait de dissocier, au point que lui, le brillant et honnête intellectuel, soit devenu sourd et aveugle à l'inéluctabilité du cours de l'histoire et porté à croire en une illusoire Algérie de l'interdépendance plutôt que de l'indépendance. Amélio Gianni, forçant sur le trait hagiographique, en fait un incompris, violemment contesté par ceux de sa propre communauté pour son appel à la cohabitation entre colonisés et colonisateurs sur la base de droits égaux. Il le montre pareillement mal aimé par ceux du camp adverse, les «musulmans» d'alors dont il se disait solidaire. Mais, à forcer le trait, est-ce rendre justice à la vérité historique, que de travestir, par exemple, un fait banal en soi, celui d'une querelle entre Camus écolier et un de ses camarades européens et la transformer dans le film en animosité entre lui et «un petit arabe» '
En fait, il semble bien que le piège dans lequel s'est enferré Amélio Gianni est de s'être identifié à l'auteur de Caligula car, lui aussi, a connu en Calabre une enfance misérable au sein d'une famille d'analphabètes. Lui aussi n'a pas été sevré de chaleur humaine dans un pays submergé de lumière. Et, comme lui, il a souffert de l'absence du père, dans son cas émigré. Il a vécu identiquement entre deux femmes exemplaires et, lui aussi, eut la chance de rencontrer sur son chemin de vie un instituteur qui crut en lui, ce qui l'éleva intellectuellement et socialement. Par ailleurs, il n'est pas étonnant qu'Amélio Guanni se soit intéressé à Camus, tant le thème de l'enfance est récurrent dans sa filmographie. Néanmoins, malgré la densité dramatique de certaines séquences du film, la présence époustouflante d'une Ulla Baugué en grand-mère et le jeu d'une rare justesse de Nicolas Giraud (l'oncle Etienne), on sort insatisfait du film. Cela, non pas tant en raison des considérations qui précèdent que pour le goût d'inachevé qui s'impose à l'issue de la dernière image.
On est loin, par exemple, de L'Etoile imaginaire, le captivant avant-dernier film d'Amélio Gianni. C'est qu'en forçant sur l'hommage, le grand réalisateur a vitrifié son personnage, au point de le muer en statue, le vidant de toute substance. L'acteur principal, Jacques Gamblin, se trouve engoncé dans ce rôle ingrat. La direction d'acteur, particulièrement pour la partie évoquant Camus adulte, baigne dans une théâtralité qui emprunte à la tragédie. Les personnages sont dans des attitudes figées, les échanges s'exprimant dans une étrange raideur et les dialogues sont prononcés avec une froideur de ton qui frise le détachement absolu. Avec un Gamblin qui dégage une humanité comprimée, cela en rajoute forcément.
Néanmoins, malgré toutes les préventions que l'on peut avoir à son endroit, Le Premier homme mérite, à l'instar de toute 'uvre artistique ' et même plus que pour cela ' d'être vu au pays natal de son auteur.


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